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Un premier messager parut sur la terrasse, annonçant au Pharaon que Tahoser ne se retrouvait pas.

Le Pharaon étendit son sceptre; le messager tomba mort, malgré la dureté proverbiale du crâne des Égyptiens.

Un second se présenta; il heurta du pied le corps de son camarade, allongé sur la dalle; un tremblement le prit, car il vit que le Pharaon était en colère.

«Et Tahoser? dit le Pharaon sans changer de posture.

– O Majesté! sa trace est perdue», répondit le malheureux agenouillé dans l’ombre, devant cette ombre noire qui ressemblait plutôt à une statue osirienne qu’à un roi vivant.

Le bras de granit se détacha du torse immobile, et le sceptre de métal descendit comme un carreau de foudre. Le second messager roula à côté du premier.

Un troisième eut le même sort.

… De maison en maison, Timopht arriva au pavillon de Poëri, qui, rentré de son excursion nocturne, s’était étonné le matin de ne pas voir la fausse Hora. Harphré et les servantes qui la veille avaient soupé avec elle ne savaient pas ce qu’elle pouvait être devenue; sa chambre visitée était vide; on l’avait cherchée vainement dans les jardins, les celliers, les greniers et les lavoirs.

Aux questions de Timopht, Poëri répondit qu’en effet une jeune fille s’était présentée à sa porte avec l’attitude suppliante du malheur, implorant à genoux l’hospitalité, qu’il l’avait accueillie favorablement, lui offrant le couvert et la nourriture, mais qu’elle s’en était allée d’une façon mystérieuse, et pour une cause qu’il ne pouvait soupçonner. Quel chemin avait-elle pris? il l’ignorait. Sans doute, un peu reposée, elle avait continué sa route vers un but inconnu. Elle était belle, triste, couverte d’une simple étoffe, et semblait pauvre; le nom d’Hora qu’elle s’était donné déguisait-il le nom de Tahoser? il laissait la sagacité de Timopht décider cette question.

Muni de ces renseignements, Timopht revint au palais, et, se tenant hors de la portée du sceptre du Pharaon, il lui raconta ce qu’il avait appris.

«Qu’est-elle allée faire chez Poëri? se dit le Pharaon:

si vraiment Hora cache Tahoser, elle aime Poëri. Non, car elle ne se serait pas enfuie de la sorte après avoir été reçue sous son toit. Ah! je la retrouverai, dussé-je bouleverser l’Égypte, des cataractes au Delta.»

XI

Ra’hel, qui du seuil de la cabane regardait Poëri s’éloigner, crut entendre un faible soupir; elle écouta. Quelques chiens aboyaient à la lune; la chouette poussait son cri funèbre, et les crocodiles vagissaient entre les roseaux du fleuve, imitant le cri d’un enfant en détresse. La jeune Israélite allait rentrer lorsqu’un gémissement plus distinct, qui ne pouvait être attribué aux vagues plaintes de la nuit, et sortait à coup sûr d’une poitrine humaine, frappa une seconde fois son oreille.

Elle s’approcha avec précaution, redoutant quelque embûche, de l’endroit d’où venait le son, et près du mur de la cabane elle aperçut dans l’ombre bleuâtre et transparente comme la forme d’un corps affaissé à terre; la draperie mouillée moulait les formes de la fausse Hora et trahissait son sexe par de pures rondeurs. Ra’hel, voyant qu’elle n’avait affaire qu’à une femme évanouie, perdit toute crainte et s’agenouilla près d’elle, interrogeant le souffle de sa bouche et le battement de son cœur. L’un expirait sur des lèvres pâles, l’autre soulevait à peine une gorge froide. Sentant l’eau qui trempait la robe de l’inconnue, Ra’hel crut d’abord que c’était du sang, et s’imagina avoir devant elle la victime d’un meurtre, et pour lui porter un secours plus efficace, elle appela Thamar, sa servante, et à elles deux elles portèrent Tahoser dans la cabane.

Les deux femmes l’étendirent sur le lit de repos. Thamar tint la lampe élevée, pendant que Ra’hel, penchée sur la jeune fille, cherchait sa blessure; mais aucune raie rouge ne tranchait sur la blancheur mate de Tahoser, et sa robe ne présentait pas de tache pourprée; elles lui enlevèrent son vêtement humide, et jetèrent sur elle une étoffe de laine rayée dont la douce chaleur eut bientôt fait reprendre son cours à la vie suspendue. Tahoser ouvrit lentement les yeux et promena autour d’elle son regard effaré, comme une gazelle prise.

Il lui fallut quelques minutes pour renouer le fil rompu de ses idées. Elle ne pouvait comprendre encore comment elle se trouvait dans cette chambre, sur ce lit où, tout à l’heure, elle avait vu Poëri et la jeune Israélite assis l’un près de l’autre et les mains enlacées, se parlant d’amour, tandis qu’elle, haletante, éperdue, regardait à travers la fissure de la muraille; mais bientôt la mémoire lui revint, et avec elle le sentiment de sa situation.

La lumière donnait en plein sur la figure de Ra’hel, et Tahoser l’étudiait en silence, malheureuse de la trouver si régulièrement belle. En vain, avec toute l’âpreté de la jalousie féminine, elle y chercha un défaut; elle se sentit non pas vaincue, mais égalée; Ra’hel était l’idéal israélite comme Tahoser était l’idéal égyptien. Chose dure pour un cœur aimant, elle fut forcée d’admettre la passion de Poëri comme juste et bien placée. Ces yeux aux cils noirs recourbés, ce nez d’une coupe si noble, cette bouche rouge au sourire éblouissant, cet ovale allongé avec tant d’élégance, ces bras forts près des épaules et terminés par des mains enfantines, ce col rond et gras qui se tournait en formant des plis plus beaux que des colliers de pierres précieuses, tout cela, rehaussé d’une parure exotique et bizarre, devait immanquablement plaire.

«J’ai commis une grande faute, se disait Tahoser, quand je me suis présentée à Poëri sous l’humble aspect d’une suppliante, me fiant à mes charmes trop vantés par des flatteurs. Insensée! j’ai fait comme un soldat qui s’en irait à la guerre sans cuirasse et sans harpé. Si j’avais paru armée de mon luxe, couverte de bijoux et d’émaux, debout sur mon char d’or, suivie de mes nombreux esclaves, j’aurais peut-être intéressé sa vanité, sinon son cœur.

– Comment te trouves-tu maintenant?» dit Ra’hel en langue égyptienne à Tahoser; car à la coupe du visage et aux cheveux nattés en cordelettes elle avait reconnu que la jeune fille n’appartenait pas à la race israélite.

Le son de cette voix était compatissant et doux, et l’accent étranger lui donnait une grâce de plus.

Tahoser en fut touchée malgré elle, et répondit:

«Je vais un peu mieux; tes bons soins m’auront bientôt guérie.

– Ne te fatigue pas à parler, répondit l’Israélite en posant sa main sur la bouche de Tahoser. Tâche de dormir pour reprendre des forces; Thamar et moi nous veillerons sur ton sommeil.»

Les émotions, la traversée du Nil, la longue course à travers les quartiers perdus de Thèbes avaient épuisé la fille de Pétamounoph. Son corps délicat était brisé, et bientôt ses longs cils s’abaissèrent, formant un demi-cercle noir sur ses joues que coloraient les rougeurs de la fièvre. Le sommeil vint, mais agité, inquiet, traversé de songes bizarres, hanté d’hallucinations menaçantes; des soubresauts nerveux faisaient tressaillir la dormeuse, et des paroles sans suite, répliquant au dialogue intérieur du rêve, balbutiaient sur ses lèvres entrouvertes.