En effet, la situation était désespérée.
Devant les Hébreux, le front de la bataille; derrière, la mer profonde.
Les femmes se roulaient à terre, déchiraient leurs habits, s’arrachant les cheveux, se meurtrissant le sein. «Que ne nous laissais-tu en Égypte? la servitude vaut encore mieux que la mort, et tu nous as emmenés au désert pour y périr:
Avais-tu donc peur de nous voir manquer de sépulcres?» Ainsi vociféraient les multitudes furieuses contre Mosché, toujours impassible: les plus courageux se jetaient sur leurs orales et se préparaient à la défense; mais la confusion était horrible et les chars de guerre, en se lançant à travers cette masse compacte, devaient y faire d’affreux ravages.
Mosché étendit son bâton sur la mer après avoir invoclué l’éternel; et alors eut lieu un prodige que nul hiéroglyphite n’eût pu contrefaire. Il se leva un vent d’orient d’une violence extraordinaire, qui creusa l’eau de la mer des Algues comme le soc d’une charrue gigantesque, rejetant à droite et à gauche des montagnes salées couronnées de crêtes d’écume. Séparées par l’impétuosité de ce souffle irrésistible qui eût balayé les Pyramides comme des grains de poussière, les eaux se dressaient en murailles liquides et laissaient libre entre elles un large chemin où l’on pouvait passer à pied sec; à travers leur transparence, comme derrière un verre épais, on voyait les monstres marins se tordre, épouvantés d’être surpris par le jour dans les mystères de l’abîme.
Les tribus se précipitèrent par cette issue miraculeuse, torrent humain coulant à travers deux rives escarpées d’eau verte. L’innombrable fourmilière tachait de deux millions de points noirs le fond livide du gouffre, et imprimait ses pieds sur la vase que raie seul le ventre des léviathans. Et le vent terrible soufflait toujours passant par-dessus la tête des Hébreux, qu’il eût couchés comme des épis, et retenant par sa pression les vagues amoncelées et rugissantes. C’était la respiration de l’éternel qui séparait en deux la mer!
Effrayés de ce miracle, les Égyptiens hésitaient à poursuivre les Hébreux; mais Pharaon, avec son courage altier que rien ne pouvait abattre, poussa ses chevaux qui se cabraient et se renversaient sur le timon, les fouaillant à tour de bras de son fouet à double lanière, les yeux pleins de sang, l’écume aux lèvres et rugissant comme un lion dont la proie s’échappe! il les détermina enfin à entrer dans cette voie si étrangement ouverte!
Les six cents chars suivirent: les derniers Israélites, parmi lesquels se trouvaient Poëri, Ra’hel et Thamar, se crurent perdus, voyant l’ennemi prendre le même chemin qu’eux; mais, lorsque les Égyptiens furent bien engagés, Mosché fit un signe: les roues des chars se détachèrent, et ce fut une horrible confusion de chevaux, de guerriers, se heurtant et s’entrechocluant; puis les montagnes d’eau miraculeusement suspendues s’écroulèrent, et la mer se referma, roulant dans des tourbillons d’écume hommes, bêtes, chars, comme des pailles saisies par un remous au courant d’un fleuve.
Seul, Pharaon, debout dans la conque de son char surnageant, lançait, ivre d’orgueil et de fureur, les dernières flèches de son carquois aux Hébreux arrivant sur l’autre rive:
les flèches épuisées, il prit sa javeline, et, déjà plus qu’à moitié englouti, n’ayant plus que le bras hors de l’eau, il la darda, trait impuissant, contre le Dieu inconnu qu’il bravait encore du fond de l’abîme.
Une lame énorme, se roulant deux ou trois fois sur le bord de la mer, fit couler bas les derniers débris: de la gloire et de l’armée de Pharaon il ne restait plus rien!
Et sur le rivage opposé, Miriam, la sœur d’Aharon, exultait et chantait en jouant du tambourin, et toutes les femmes d’Israël marquaient le rythme sur la peau d’onagre. Deux millions de voix entonnaient l’hymne de délivrance!
XVIII
Tahoser attendit en vain Pharaon et régna sur l’Égypte, puis elle mourut au bout de peu de temps. On la déposa dans la tombe magnifique préparée pour le roi, dont on ne put retrouver le corps, et son histoire, écrite sur papyrus avec des têtes de chapitre en caractères rouges, par Kakevou, grammate de la double chambre de lumière et gardien des livres, fut placée à côté d’elle sous le lacis des bandelettes.
Était-ce Pharaon ou Poëri qu’elle regrettait? Le grammate Kakevou ne le dit pas, et le docteur Rumphius, qui a traduit les hiéroglyphes du grammate égyptien, n’a pas osé prendre sur lui de décider la question. Quant à Lord Evandale, il n’a jamais voulu se marier, quoiqu’il soit le dernier de sa race.
Les jeunes misses ne s’expliquent pas sa froideur à l’endroit du beau sexe; mais, en conscience, peuvent-elles imaginer que Lord Evandale est rétrospectivement amoureux de Tahoser, fille du grand prêtre Pétamounoph, morte il y a trois mille cinq cents ans? Il y a pourtant des folies anglaises moins motivées que celle-là.