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L’attelage s’engagea dans un dromos de sphinx au bout duquel s’élevait un gigantesque pylône couronné d’une corniche où le globe emblématique déployait son envergure; la nuit, déjà moins opaque, permit à la fille du prêtre de reconnaître le palais du roi. Alors le désespoir s’empara d’elle; elle se débattit, elle essaya de se débarrasser de l’étreinte qui l’enlaçait, elle appuya ses mains frêles sur la dure poitrine du Pharaon, raidissant les bras, se renversant sur le bord du char. Efforts inutiles, lutte insensée! son ravisseur souriant la ramenait d’une pression irrésistible et lente contre son cœur, comme s’il eût voulu l’y incruster; elle se mit à crier, un baiser lui ferma la bouche.

Cependant les chevaux arrivèrent en trois ou quatre bonds devant le pylône, qu’ils traversèrent au galop, joyeux de rentrer à l’étable, et le char roula dans une immense cour.

Les serviteurs accoururent et se jetèrent à la tête des chevaux, dont les mors blanchissaient d’écume.

Tahoser promena autour d’elle ses regards effrayés; de hauts murs de brique formaient une vaste enceinte où se dressait, au levant, un palais, au couchant, un temple entre deux vastes pièces d’eau, piscines des crocodiles sacrés. Les premiers rayons du soleil, dont le disque émergeait déjà derrière la chaîne arabique, jetaient une lueur rose sur le sommet des constructions, dont le reste baignait encore dans une ombre bleuâtre. Aucun espoir de fuite; l’architecture, quoiqu’elle n’eût rien de sinistre, présentait un caractère de force inéluctable, de volonté sans réplique, de persistance éternelle; un cataclysme cosmique seul eût pu ouvrir une issue dans ces murailles épaisses, à travers ces entassements de grès dur. Pour faire tomber ces pylônes composés de quartiers de montagnes, il eût fallu que la planète s’agitât sur ses bases; l’incendie même n’eût fait que lécher de sa langue ces blocs indestructibles.

La pauvre Tahoser n’avait pas à sa disposition ces moyens violents, et force lui fut de se laisser emporter comme une enfant par le Pharaon, sauté à bas de son char.

Quatre hautes colonnes à chapiteaux de palmes formaient les propylées du palais où le roi pénétra, tenant toujours sur sa poitrine la fille de Pétamounoph. Quand il eut dépassé la porte, il posa délicatement son fardeau à terre, et, voyant Tahoser chanceler, il lui dit:

«Rassure-toi; tu règnes sur Pharaon, et Pharaon règne sur le monde.» C’était la première parole qu’il lui adressait.

Si l’amour se décidait d’après la raison, certes, Tahoser eût dû préférer Pharaon à Poëri. Le roi était doué d’une beauté surhumaine: ses traits grands, purs, réguliers semblaient l’ouvrage du ciseau, et l’on n’eût pu y reprendre la moindre imperfection. L’habitude du pouvoir avait mis dans ses yeux cette lumière pénétrante qui fait reconnaître entre tous les divinités et les rois. Ses lèvres, dont un mot eût changé la face du monde et le sort des peuples, étaient d’un rouge pourpre comme du sang frais sur la lame d’un glaive et, quand il souriait, avaient cette grâce des choses terribles à laquelle rien ne résiste. Sa taille haute, bien proportionnée, majestueuse, offrait la noblesse de lignes qu’on admire dans les statues des temples; et quand il apparaissait solennel et radieux, couvert d’or, d’émaux et de pierres précieuses, au milieu de la vapeur bleuâtre des amschirs il ne semblait pas faire partie de cette frêle race qui, génération par génération, tombe comme les feuilles et va s’étendre, engluée de bitume, dans les ténébreuses profondeurs des syringes.

Qu’était auprès de ce demi-dieu le chétif Poëri? et pourtant Tahoser l’aimait. Les sages ont, depuis longtemps, renoncé à expliquer le cœur des femmes; ils possèdent l’astronomie, l’astrologie, l’arithmétique; ils connaissent le thème natal de l’univers, et peuvent dire le domicile des planètes au moment même de la création du monde. Ils sont sûrs qu’alors la Lune était dans le signe du Cancer, le Soleil dans le Lion, Mercure dans la Vierge, Vénus dans la Balance, Mars dans le Scorpion, Jupiter dans le Sagittaire, Saturne dans le Capricorne; ils tracent sur le papyrus ou le granit le cours de l’océan céleste qui va d’orient en occident, ils ont compté les étoiles semées sur la robe bleue de la déesse Neith, et font voyager le soleil à l’hémisphère supérieur et à l’hémisphère inférieur, avec les douze baris diurnes et les douze bans nocturnes, sous la conduite du pilote hiéracocéphale et de Neb-Wa, la Dame de la barque; ils savent qu’à la dernière moitié du mois de Tôbi, Orion influe sur l’oreille gauche et Sirius sur le cœur; mais ils ignorent entièrement pourquoi une femme préfère un homme à un autre, un misérable lsraélite à un Pharaon illustre.

Après avoir traversé plusieurs salles avec Tahoser, qu’il guidait par la main, le roi s’assit sur un siège en forme de trône, dans une chambre splendidement décorée.

Au plafond bleu scintillaient des étoiles d’or, et contre les piliers qui supportaient la corniche s’adossaient des statues de rois coiffés du pschent, les jambes engagées dans le bloc et les bras croisés sur la poitrine, dont les yeux bordés de lignes noires regardaient dans la chambre avec une intensité effrayante.

Entre chaque pilier brûlait une lampe posée sur un socle, et les panneaux des murailles représentaient une sorte de défilé ethnographique. On y voyait figurées avec leurs physionomies spéciales et leurs costumes particuliers les nations des quatre parties du monde.

En tête de la série, guidée par Horus, le pasteur des peuples, marchait l’homme par excellence, l’Égyptien, le Rot-en-ne-rôme, à la physionomie douce, au nez légèrement aquilin, à la chevelure nattée, à la peau d’un rouge sombre, que faisait ressortir un pagne blanc. Ensuite venait le nègre ou Nahasi, avec sa peau noire, ses lèvres bouffies, ses pommettes saillantes, ses cheveux crépus; puis l’Asiatique ou Namou, à couleur de chair tirant sur le jaune, à nez fortement aquilin, à barbe noire et fournie, aiguisée en pointe, vêtu d’une jupe bariolée, frangée de houppes; puis l’Européen ou Tamhou, le plus sauvage de tous, différant des autres par son teint blanc, ses yeux bleus, sa barbe et sa chevelure rousses, une peau de bœuf non préparée jetée sur l’épaule, des tatouages aux bras et aux jambes.

Des scènes de guerre et de triomphe remplissaient les autres panneaux, et des inscriptions hiéroglyphiques en expliquaient le sens.

Au milieu de la chambre, sur une table que supportaient des captifs liés par les coudes, sculptés si habilement qu’ils paraissaient vivre et souffrir, s’épanouissait une énorme gerbe de fleurs dont les émanations suaves parfumaient l’atmosphère.

Ainsi, dans cette chambre magnifique qu’entouraient les effigies de ses aïeux, tout racontait et chantait la gloire du Pharaon. Les nations du monde marchaient derrière l’Égypte et reconnaissaient sa suprématie, et lui commandait à l’Égypte; cependant la fille de Pétamounoph, loin d’être éblouie de cette splendeur, pensait au pavillon champêtre de Poëri, et surtout à la misérable hutte de boue et de paille du quartier des Hébreux, où elle avait laissé Ra’hel endormie, Ra’hel maintenant l’heureuse et seule épouse du jeune Hébreu.