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«Le Dieu des Hébreux s’est manifesté à nous. Nous voulons donc aller à une distance de trois jours dans le désert et y sacrifier à l’éternel, notre Dieu, de peur qu’il ne nous frappe de la peste ou du glaive.» Aharon confirma par un signe de tête la demande de Mosché.

«Pourquoi détournez-vous le peuple de ses occupations? répondit le Pharaon. Allez à vos travaux. Heureusement pour vous que je suis aujourd’hui d’humeur clémente, car j’aurais pu vous faire battre de verges, couper le nez et les oreilles, jeter tout vifs aux crocodiles. Sachez, je veux bien vous le dire, qu’il n’y a d’autre dieu qu’Ammon-Ra, l’être suprême et primordial, à la fois mâle et femelle, son propre père et sa propre mère, dont il est aussi le mari; de lui découlent tous les autres dieux qui relient le ciel à la terre, et ne sont que des formes de ces deux principes constituants; les sages le connaissent, et les prêtres qui ont longtemps étudié les mystères dans les collèges et au fond des temples consacrés à ses représentations diverses. N’alléguez donc pas un autre dieu de votre invention pour émouvoir les Hébreux à la révolte et les empêcher d’accomplir la tâche imposée. Votre prétexte de sacrifice est transparent: vous voulez fuir; retirez-vous de devant ma face et continuez à mouler l’argile pour mes édifices royaux et sacerdotaux, pour mes pyramides, mes palais et mes murailles. Allez; j’ai dit.» Mosché, voyant qu’il ne pouvait émouvoir le cœur du Pharaon, et que, s’il insistait, il exciterait sa colère, se retira en silence, suivi d’Aharon consterné.

«J’ai obéi aux ordres de l’éternel, dit Mosché à son compagnon lorsqu’il eut franchi le pylône, mais Pharaon est resté insensible comme si j’eusse parlé à ces hommes de granit assis sur des trônes à la porte des palais, ou à ces idoles à tête de chien, de singe ou d’épervier, qu’encensent les prêtres au fond des sanctuaires. Qu’allons-nous répondre au peuple quand il nous interrogera sur le succès de notre mission?» Pharaon craignant que les Hébreux n’eussent l’idée de secouer le joug d’après les suggestions de Mosché, les fit travailler plus rudement encore et leur refusa la paille pour mêler à leurs briques. Aussi les enfants d’Israël se répandirent-ils par toute l’Égypte, arrachant le chaume et maudissant les exacteurs, car ils se trouvaient très malheureux et ils disaient que les conseils de Mosché avaient redoublé leur misère.

Un jour Mosché et Aharon reparurent au palais et sommèrent encore une fois le roi de laisser partir les Hébreux, pour aller sacrifier à l’éternel, dans le désert.

«Qui me prouve, répondit Pharaon, que vraiment l’Éternel vous envoie vers moi pour me dire ces choses et que vous n’êtes pas, comme je l’imagine, de vils imposteurs?» Aharon jeta son bâton devant le roi, et le bois commença à se tordre, à onduler, à se couvrir d’écailles, à remuer la tête et la queue, à se dresser et à pousser des sifflements horribles. Le bâton s’était changé en serpent. Il faisait bruire ses anneaux sur les dalles, gonflait sa gorge, dardait sa langue fourchue, et, roulant ses yeux rouges, semblait choisir la victime qu’il devait piquer.

Les oëris et les serviteurs rangés autour du trône restaient immobiles et muets d’effroi à la vue de ce prodige. Les plus braves avaient tiré à demi leur épée.

Mais Pharaon ne s’en émut aucunement; un sourire dédaigneux voltigea sur ses lèvres, et il dit:

«Voilà ce que vous savez faire. Le miracle est mince et le prestige grossier. Qu’on fasse venir mes sages, mes magiciens et mes hiéroglyphites.» Ils arrivèrent; c’étaient des personnages d’un aspect formidable et mystérieux, la tête rasée, chaussés de souliers de byblos, vêtus de longues robes de lin, tenant en main des bâtons gravés d’hiéroglyphes: ils étaient jaunes et desséchés comme des momies, à force de veilles, d’études et d’austérités; les fatigues des initiations successives se lisaient sur leurs visages, où les yeux seuls semblaient vivants.

Ils se rangèrent en ligne devant le trône de Pharaon, sans faire même attention au serpent qui frétillait, rampait et sifflait.

«Pouvez-vous, dit le roi, changer vos cannes en reptiles comme vient de le faire Aharon?

– O roi! est-ce pour ce jeu d’enfant, dit le plus ancien de la bande, que tu nous as fait venir du fond des chambres secrètes, où, sous des plafonds constellés, à la lueur des lampes, nous rêvons, penchés sur des papyrus indéchiffrables, agenouillés devant les stèles hiéroglyphiques aux sens mystérieux et profonds, crochetant les secrets de la nature, calculant la force des nombres, portant notre main tremblante au bord du voile de la grande Isis? Laisse-nous retourner, car la vie est courte, et à peine le sage a-t-il le temps de jeter à l’autre le mot qu’il a saisi; laisse-nous retourner à nos travaux; le premier jongleur, le psylle qui joue son air de flûte sur les places suffit à te contenter.

– Ennana, fais ce que je désire», dit le Pharaon au chef des hiéroglyphites et des magiciens.

Le vieil Ennana se retourna vers le collège des sages qui se tenaient debout, immobiles, et l’esprit déjà replongé dans l’abîme des méditations.

«Jetez vos cannes à terre en prononçant tout bas le mot magique.» Les bâtons avec un bruit sec tombèrent ensemble sur les dalles, et les sages reprirent leur pose perpendiculaire, semblables aux statues adossées aux piliers des temples; ils ne daignaient même pas regarder à leurs pieds si le prodige s’accomplissait, tellement ils étaient sûrs de la puissance de leur formule.

Et alors ce fut un étrange et horrible spectacle: les cannes se tordirent comme des branches de bois vert sur le feu; leurs extrémités s’aplatirent en têtes, s’effilèrent en queues; les unes restèrent lisses, les autres s’écaillèrent selon l’espèce du serpent. Cela grouillait, cela rampait, cela sifflait, cela s’élançait et se nouait hideusement. Il y avait des vipères portant la marque d’un fer de lance sur leur front écrasé, des cérastes aux protubérances menaçantes, des hydres verdâtres et visqueuses, des aspics aux crochets mobiles, des trigonocéphales jaunes, des orvets ou serpents de verre, des crotales au museau court, à la robe noirâtre, faisant sonner les osselets de leur queue; des amphisbènes marchant en avant et en arrière; des boas ouvrant leur large gueule capable d’engloutir le bœuf Apis; des serpents aux yeux entourés de disques comme ceux des hiboux: le pavé de la salle en était couvert.

Tahoser, qui partageait le trône du Pharaon, levait ses beaux pieds nus et les ramenait sous elle, toute pâle d’épouvante.

«Eh bien, dit Pharaon à Mosché, tu vois que la science de mes hiéroglyphites égale ou surpasse la tienne: leurs bâtons ont produit des serpents comme celui d’Aharon.

Invente un autre prodige, si tu veux me convaincre.» Mosché étendit la main, et le serpent d’Aharon se précipita vers les vingt-quatre reptiles. La lutte ne fut pas longue; il eut bientôt englouti les affreuses bêtes, créations réelles ou apparentes des sages d’Égypte; puis il reprit sa forme de bâton.

Ce résultat parut étonner Ennana. Il pencha la tête, réfléchit et dit comme un homme qui se ravise:

«Je trouverai le mot et le signe. J’ai mal interprété le quatrième hiéroglyphe de la cinquième ligne perpendiculaire où se trouve la conjuration des serpents… O roi! as-tu encore besoin de nous? dit tout haut le chef des hiéroglyphites. Il me tarde de reprendre la lecture d’Hermès Trismégiste, qui contient bien d’autres secrets que ces tours de passe-passe.» Pharaon fit signe au vieillard qu’il pouvait se retirer, et le cortège silencieux rentra dans les profondeurs du palais.