La naissance d’une petite fille qui vient au bout d’un an de mariage n’arrange rien car le mari voulait un fils et il rend naturellement sa femme responsable de ce qu’il considère comme un échec. À peine remise de ses couches, Marguerite doit faire face à une recrudescence de jalousie qui lui vaut de mauvais traitements. L’aimable époux l’injurie et la bat.
Battue, insultée, méprisée, honnie dans sa propre maison où les servantes, sûres de plaire au maître, la dédaignent impunément et font de sa vie quotidienne un enfer, Marguerite va cependant tout endurer et demeurer encore une année entière à Valognes. Mais quand Hautpitois met un comble à sa méchanceté en la séparant de sa petite fille sous l’ignoble prétexte que son contact pourrait pervertir l’enfant, la jeune femme perd tout courage pour en supporter davantage. Ce n’est pas bien loin, Tourlaville. Et là, il y a les bras et le cœur d’une mère, il y a le souvenir de Julien.
Une nuit, grâce à l’aide d’une petite servante qui l’a prise en pitié et s’est attachée à elle, Marguerite réussit à s’enfuir, emmenant avec elle la jeune fille qui, au logis, ne serait plus en sûreté. Toutes deux sur le même cheval, elles galopent éperdument jusqu’à la demeure des Ravalet. Marguerite ignore que Julien, ses études terminées, vient tout juste de revenir pour un bref séjour avant d’entrer définitivement dans les ordres.
Tout de suite, on se retrouve en plein drame. Les sentiments des deux jeunes gens sont toujours les mêmes. Affolés en face de ce qu’ils considèrent comme une malédiction, les Ravalet font l’impossible pour convaincre Marguerite de rentrer chez son époux. Julien s’y oppose avec violence et il faut l’enfermer pour l’empêcher de courir embrocher proprement le mari indigne. D’ailleurs Hautpitois envoie une lettre, violente et agressive s’il en fut : l’affreux personnage y accuse formellement sa femme de relations incestueuses et annonce qu’il va déposer une plainte en ce sens auprès du tribunal royal.
Cette fois, Julien et Marguerite prennent peur. Ils savent qu’ils sont perdus si le mari, qui a tous les droits, parvient à leur mettre la main dessus. Alors, par une nuit de brouillard où l’on n’y voit pas à dix pas, ils s’enfuient, emmenant avec eux Marion, la petite servante dévouée.
S’ils étaient sages, ils se sépareraient pour chercher refuge, l’un dans le clergé qui l’attend, l’autre dans quelque bon couvent où elle serait inattaquable. Mais ils n’ont plus la force de résister à leur amour et, de cet instant, ils vont vivre ensemble, comme mari et femme. D’abord à Fougères où, dans une auberge à l’ombre des tours féodales du château, ils vivent six mois d’un bonheur qu’ils n’arrivent pas à se reprocher… mais qui, hélas ! ne va pas tarder à porter un fruit.
Cette découverte les affole d’autant qu’ils apprennent que Hautpitois a déposé une plainte auprès du lieutenant criminel du royaume et que la maréchaussée est à leurs trousses. Bientôt, leurs traces sont relevées et, s’ils ne sont pas arrêtés à Fougères, c’est uniquement grâce à Marion : l’un des sbires lancés à leurs trousses a fait, après boire, quelques confidences à une jolie fille de rencontre… une jolie fille qui n’est autre que la jeune servante.
Aussitôt Julien et Marguerite quittent Fougères discrètement. Mais pour aller où ? Cette fois, ce sera Paris. Avec quelque raison, Julien pense qu’il sera plus facile de se cacher dans la grande ville qu’en rase campagne. C’est ainsi que, le 17 septembre 1603, au soir, juste avant la fermeture des portes, le jeune couple arrive à Paris, exténué et affamé car on n’a guère osé s’arrêter dans les auberges.
Marguerite, dont la grossesse est avancée, est recrue de fatigue et de peur. Elle laisse Julien l’installer dans une confortable hostellerie de la rue Saint-Denis, l’auberge de Saint-Leu, tandis qu’il s’en va loger, lui-même, rue Tirechape à l’auberge du Petit Panier. Une prudence tardive les a incités, en effet, à reprendre leur qualité de frère et sœur et à se séparer. Peine perdue !
Pour un avare, Hautpitois a répandu l’or avec une grande abondance et ses espions ont fait de la bonne besogne. En fait, ils ont suivi les fugitifs à la trace et, ayant tenu leur employeur scrupuleusement au courant, celui-ci a débarqué dans la capitale presque en même temps que les deux coupables. Ceux-ci n’auront même pas le temps de tracer le moindre plan. Au matin du troisième jour, un groupe de quatre soldats conduits par un sergent et par Hautpitois vient les arrêter pour les conduire au Grand Châtelet.
À peine a-t-il appris la nouvelle qu’Antoine Fusi est accouru à la prison. Non sans un affreux serrement de cœur, il est descendu dans des geôles si humides que l’eau y suinte et il a fait de son mieux pour réconforter les jeunes prisonniers. Avec Julien la tâche a été facile : le jeune homme est résigné à n’importe quel sort mais il se tourmente beaucoup pour Marguerite, arrivée presque à son terme et affaiblie par les privations. Ensemble, ils ont mis au point un système de défense. D’abord nier, avec acharnement, le crime d’inceste. Quant à l’enlèvement, Julien s’en tient à une unique version : il a seulement voulu soustraire sa sœur à un époux tortionnaire.
Malheureusement, il reste à expliquer la prochaine maternité de la jeune femme et ce n’est guère facile. Bien sûr, pour sauver son frère, Marguerite va jusqu’à prétendre s’être donnée à un modeste tailleur de Tourlaville, nommé Robert Agnès, qui l’aimait depuis toujours. Mais quand le malheureux parut devant les juges, la vue de son ahurissement souleva les rires. La cause fut entendue immédiatement et le tailleur renvoyé à ses ciseaux.
Les coupables refusant d’avouer, on songea, naturellement à leur appliquer la torture mais l’état de Marguerite l’interdisait. On attendit donc la naissance de l’enfant – un garçon qui fut aussitôt confié à un couvent –, puis l’on reprit l’instruction. Or, Marguerite et Julien souhaitaient presque être torturés car, dans la folie de leur amour exalté, ils pensaient être capables d’endurer une éternité de souffrance sans avouer et, en ce cas, il n’aurait pas été possible de les condamner.
Hautpitois devina-t-il cette étrange disposition ou bien, enfin, un peu de pitié se glissa-t-elle dans son âme ? Toujours est-il qu’il usa de sa qualité de plaignant pour demander qu’on leur épargnât le chevalet. Il se faisait fort d’ailleurs d’amener une foule de témoins et se montrait certain d’emporter une sentence de mort.
Ce qui se passa exactement. Les « témoins » du mari furent accablants et, le 1er décembre, le président Molé condamnait Julien et Marguerite de Ravalet à avoir la tête tranchée.
Une seule chose, désormais, pouvait encore sauver les malheureux enfants : la grâce royale. Le roi Henri IV était bon et de cœur généreux. Il pouvait se laisser toucher par la pitié.
Tard dans la soirée, Jean de Ravalet, dévoré par le remords d’avoir, par un stupide mariage, mené Marguerite à sa perte, et Antoine Fusi obtinrent audience et vinrent se jeter aux pieds du roi, réclamant seulement la vie :