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« La Bastille pour lui, un couvent pour elle, sire, et cela leur vie durant mais pas la hache ! Pas le bourreau ! »

Navré de voir pleurer cet homme âgé, brisé de douleur, Henri IV hésita. Peut-être allait-il faire grâce mais la reine entra sans se faire annoncer à cause de certaine bonne habitude qu’elle avait d’écouter aux portes. Malheureusement pour les jeunes Ravalet, la reine, c’était Marie de Médicis qui fut sans doute la plus bornée et l’une des plus détestables parmi les reines de France. Son étroitesse d’esprit n’avait d’égale que sa sécheresse de cœur et, malheureusement, Henri IV ne savait pas dire non à une femme, même à la sienne. La grâce fut refusée.

Le lendemain 2 décembre, par un froid vif, Julien et Marguerite, qu’Antoine Fusi en larmes avait obtenu permission d’escorter jusqu’au bout, furent menés en place de Grève. Pour ces derniers jours, on les avait vêtus avec élégance et leur beauté éclatait à l’étonnement de tous. Julien avait un pourpoint de drap gris brodé d’or sur des chausses de satin noir. Un court manteau gris était fixé à son épaule par une agrafe précieuse. Marguerite avait une robe de satin gris moucheté d’or avec un col et des manchettes de dentelle. Des mules de velours noir chaussaient ses petits pieds.

Ils marchèrent à la mort en se tenant par la main, comme s’ils allaient à un bal et, autour d’eux, les femmes pleuraient, les hommes se découvraient.

La première, Marguerite monta sur l’échafaud, relevant sa longue jupe d’un joli geste et refusant poliment la main que lui tendait le bourreau. Elle se signa, s’agenouilla, écarta elle-même ses boucles blondes et posa le cou sur le billot. D’un geste paternel, Antoine Fusi avait saisi Julien dans ses bras et lui cachait le visage contre son épaule mais on eut à peine le temps de voir luire la lourde hache.

Les aides s’empressèrent alors de faire place à l’autre condamné. Mais, en écartant le corps de Marguerite, l’un d’eux, trop ému peut-être, releva la jupe de la jeune femme laissant voir ses jambes gainées de soie rouge. La foule gronda. Le bourreau bondit.

À toute volée, il gifla le maladroit puis il le força à s’agenouiller devant le corps décapité en signe de repentir. La foule, calmée, approuva. Quelques instants plus tard, Julien avait, lui aussi, cessé de vivre. Les corps furent remis à Antoine Fusi qui, avec l’aide d’un jeune étranger, un Espagnol de bonne maison touché par la beauté de ces deux malheureux, les enterra dans le petit cimetière de l’église Saint-Jean-en-Grève, une église aujourd’hui disparue ainsi que la dalle sur laquelle on avait gravé :

« Ci-gisent le frère et la sœur. Passant, ne t’informe pas de la cause de leur mort. Passe et prie Dieu pour leur âme. »

Le parking de la rue Lobau, derrière l’Hôtel de Ville, occupe la place de cette église, de ce cimetière. Qui, en y garant sa voiture, donnera une pensée à Julien et Marguerite de Ravalet ?

HORAIRES D’OUVERTURE

Toute l’année 8 h 30-19 h

Seul le parc, labellisé « Jardin remarquable », est ouvert à la visite. Il est agrémenté d’une serre à rotonde, l’une des plus spectaculaires d’Europe.

Trécesson

La mariée assassinée

Noir est ton cheval, noire ta cape

Noire ta face, noir toi-même,

Oui, tout noir.

Chant gaélique attribué à Merlin

C’est peut-être le plus joli château de Bretagne et c’est, à coup sûr, le plus romantique. Au fond d’un vallon forestier, l’un de ces brumeux vallons de l’antique Brocéliande toujours hantée par les ombres légères de l’enchanteur Merlin et de la fée Viviane, Trécesson campe ses schistes mauves et ses poivrières d’ardoise bleue au bord d’un étang silencieux qui prolonge et magnifie ses douves. Le lieu est solitaire et empreint d’une étrange poésie qui s’exalte quand vient la nuit dans le cri des grenouilles et l’appel angoissé des engoulevents. C’est l’heure où le passé revient, où les fantômes reprennent vie.

Le plus touchant de ces fantômes est sans doute celui d’une jeune fille inconnue qui subit là un sort abominable. Si atroce même que le mystère est peut-être né de cette horreur même. Comment oser revendiquer pareil forfait ?

Quoi qu’il en soit, l’histoire se situe vers la fin du XVIIIe siècle, aux vigiles de Noël. Un braconnier de Campénéac, le petit bourg voisin, est venu, de nuit, tendre des pièges aux abords du château dont il peut supposer que le maître, le comte de Châteaugiron, est absent.

L’homme connaît bien le château et ses abords, l’étang surtout où les bêtes vont boire. Il commence à poser des pièges quand un bruit l’arrête, l’oreille aux aguets. Aucun doute, une voiture approche à l’allure réduite qu’impose le mauvais chemin.

Peu soucieux d’être surpris, le braconnier avise un grand arbre, l’escalade et s’arrête le plus haut qu’il peut, comptant sur la nuit et l’entrelacement des branches pour le cacher. Il y est à peine installé que deux hommes masqués apparaissent, menant en bride les chevaux d’une voiture à caisse sombre. Les hommes marchent avec précaution mais l’obscurité totale qui règne au château les rassure vite.

Ils mènent la voiture un peu au-delà de l’étang, allument une torche, sortent pelles et pioches et commencent à creuser un trou juste sous l’arbre où le braconnier guette, partagé entre la peur et une curiosité où se mêle peut-être une agréable attente : pour que ces gens viennent creuser un trou en pleine nuit dans cet endroit retiré, il faut que ce soit pour y cacher quelque chose de bien précieux… et de vaste car le trou s’agrandit. On va sans doute y mettre un gros coffre.

Quand le trou, qui est plus long que large, leur paraît assez grand, les deux hommes masqués s’arrêtent, boivent un grand coup à une gourde que porte l’un d’eux, puis vont ouvrir la portière du carrosse.

À la vue de ce qu’ils en sortent, le braconnier a besoin de toute sa force pour ne pas crier ou se laisser choir car il s’agit d’une jeune fille, bâillonnée qui s’efforce désespérément de se débattre. La lumière de la torche permet de voir qu’elle est aussi belle que terrifiée et, surtout, qu’elle porte une somptueuse toilette de mariée à laquelle rien ne manque, ni le voile de dentelle ni le bouquet. Aucun bijou pourtant.

Ce qui suit est aussi rapide qu’atroce. En dépit de sa résistance, la jeune fille est jetée dans la fosse boueuse.

« Voilà votre lit nuptial, ma sœur, dit l’un des deux hommes, j’espère qu’il vous conviendra. »

En dérisoire linceul, on rabat son voile sur elle puis on se met en devoir de combler la fosse. C’est vite fait et, plus vite encore, les deux misérables font tourner leur voiture, remontent dedans et disparaissent.

Ils ont à peine quitté les lieux que le braconnier est à bas de son arbre. Il n’a rien qui lui permette d’ouvrir la fosse mais il pense qu’au château, même si le maître est absent, il y a des serviteurs. Et il court, il appelle, il réclame du secours. Il ne songe plus à sa propre sécurité car un braconnier risque toujours une sévère punition.

Il parvient à attirer du monde, à commencer par le comte de Châteaugiron qui n’est pas encore parti pour Rennes. Il raconte ce qu’il a vu. On s’empresse. On ouvre la tombe et l’on en tire la malheureuse dans l’état qu’on imagine. Mais son cœur bat encore. Alors on l’emmène au château, on la soigne. En vain. Quelques minutes plus tard, l’inconnue expire pour de bon. Elle sera enterrée dans la petite chapelle du château où, selon la légende, on pouvait, jusqu’à la Révolution, voir son voile et son bouquet exposés.

Selon la légende, en effet. Car l’actuelle propriétaire du château, la comtesse de Prunelé, m’a dit avoir fait fouiller le sol de sa chapelle pour retrouver trace de la jeune victime. En vain. Faut-il supposer que la mariée retrouva le souffle de vie qui lui manqua officiellement et que, pour la soustraire à la vengeance de frères dénaturés, on choisit de laisser croire à sa mort ? C’est ce que, personnellement, j’ai fait dans l’un de mes romans dont la mariée de Trécesson est le personnage féminin central1.