Выбрать главу

D’aucuns pensent que ce serait dommage car elle est charmante, cette enfant. Petite et brune avec de beaux yeux de velours sombre, elle est toute grâce et tout charme, un charme timide et discret mais prenant et dont elle a trop de naïveté et d’innocence pour deviner le pouvoir. Quelqu’un va s’en charger à sa place.

Ce quelqu’un, c’est le grand louvetier de France, Claude de Rouvroy de Saint Simon, le compagnon de chasse préféré du roi. L’un de ses plus proches aussi. Or M. de Saint-Simon aime sincèrement son maître et enrage de le voir en butte aux entreprises d’une coquette avertie : la belle, l’insolente, l’arrogante Marie de Hautefort qui s’est juré d’amener Louis XIII au plus servile esclavage1. Et elle mène, en face d’un homme pudique et chaste jusqu’à la sauvagerie, un jeu cruel et délibéré dont chacun, à la cour, surveille les passes d’armes. À la grande exaspération de Saint-Simon qui a bonnement conseillé au roi de mettre l’intrigante dans son lit pour en finir une bonne fois. Mais il s’est heurté à une morale intransigeante :

— À Dieu ne plaise, mon ami, que l’adultère entre jamais dans ma maison, lui a dit le roi avec un rien de sévérité.

Alors ? Alors, il faut détourner Louis XIII du danger que représente la belle Hautefort et, pour cela, diriger son cœur romantique sur un « objet plus doux ». Et, dans cet ordre d’idées, Mlle de La Fayette semble incarner l’idéal aux yeux du grand louvetier.

Il commence par conseiller à son roi de s’intéresser, en apparence tout au moins, à la nouvelle venue, pour remettre un peu Marie de Hautefort à sa place : elle se croit trop sûre de son pouvoir sur Louis et a grand besoin qu’on lui rabaisse son caquet. Être un peu jalouse lui fera le plus grand bien…

L’idée séduit Louis XIII mais il n’a seulement jamais vu cette Mlle de La Fayette. Qu’à cela ne tienne ! Ce soir, chez la reine, on la lui montrera, et il pourra constater qu’elle est non seulement jolie mais encore très douce et très aimable.

Le soir venu, chez sa femme, Louis XIII remarque, près d’une fenêtre, un groupe de trois jolies filles qui semblent s’amuser beaucoup. Il connaît deux d’entre elles, Mlles de Polignac et d’Aiches, mais il ne connaît pas la troisième qui rit de si bon cœur aux plaisanteries de ses compagnes. C’est vrai qu’elle est charmante, cette brunette, mais Louis XIII, comme tous les timides, est maladroit. Il s’avance vers les jeunes filles et, du ton mécontent qui lui est trop habituel, il décoche :

— Pourquoi donc riez-vous si fort, mademoiselle ?

Le résultat est désastreux. Louise perd contenance, plonge dans une révérence gauche, essaie de dire quelque chose et, finalement, éclate en sanglots. Du coup, voilà le roi affolé :

— Mon Dieu ! Je vous ai fait de la peine ? Je ne le voulais pas.

Et comme il perd contenance lui aussi et risque de se mettre à bégayer, il préfère battre en retraite sans plus d’explications. Cette première entrevue n’est pas une réussite, mais Saint-Simon en a vu d’autres et ne s’avoue pas vaincu. Il fait comprendre à son maître qu’il y va de sa réputation de gentilhomme d’effacer la peine injuste causée à une enfant. Il lui explique qu’à seize ans il est tout naturel de rire quand on vous raconte des choses amusantes. Mais cela, le roi ne peut pas le comprendre : il ne sait pas rire.

Le soir même, Louis XIII fait à une Louise rougissante des excuses pleines de délicatesse auxquelles la jeune fille répond avec tant de gentillesse que le roi, charmé, s’assoit auprès d’elle pour bavarder un moment. Il l’interroge sur sa famille, son enfance, et Louise, déjà séduite par cet homme timide et simple qui est son roi, lui répond avec naturel. Elle lui parle de son cher Vésigneux, des siens, de tout ce qui a été son paisible univers. Elle parle aussi de cette étrange attirance qu’elle a toujours éprouvée pour le couvent. Elle dit qu’elle aurait aimé prendre le voile…

— Oh, mademoiselle, dit Louis, trouvez-vous donc le roi un si mauvais maître qu’il vous faille, à votre âge, chercher Dieu ?

Louise n’aura pas à répondre. Mme de Montbazon, qui surveille l’entretien, vient à point nommé demander à Louise de chanter. Celle-ci a une voix délicieuse et le roi devrait l’entendre. La soirée s’achève donc en musique mais, cette fois, Saint-Simon a gagné : quand il rentre chez lui, Louis XIII a oublié Mlle de Hautefort.

Dans les mois qui suivent, la cour ébahie assiste sans y comprendre grand-chose à l’éclosion d’un amour étrange, car il se défend de rien demander à la chair ni même à la terre. Professant tous deux une égale horreur du péché, Louis et Louise trouvent leur bonheur dans de longues conversations et dans une correspondance de plus en plus nourrie. Pour la première fois de sa vie le roi ose s’épancher, avouer les angoisses d’un cœur perpétuellement inquiet. Il ose aussi laisser deviner combien lui semble lourde parfois l’emprise du cardinal de Richelieu. Non sans ajouter aussitôt qu’elle est indispensable au bien du royaume. Mais Louise va tout de suite se ranger du côté de son ami et contre le cardinal.

Celui-ci d’abord ne s’inquiète pas de cette aventure, mais il commence à dresser l’oreille quand Louise, qui cependant ne demande jamais rien, obtient le poste de valet de chambre royal pour un M. de Boisenval, protégé de sa famille. En outre, Mlle de La Fayette prêche à son roi l’amour universel… quand une guerre serait nécessaire. Enfin sa famille, farouchement hostile à Richelieu, crée des troubles en Bourbonnais. Il faut faire quelque chose ! Et d’abord trouver à Louise un autre confesseur car le sien vient de mourir. Ce sera le père Carré, supérieur du noviciat des dominicains, un homme tout dévoué au cardinal.

Celui-ci n’a rien de plus pressé que de démontrer à Louise que c’est un grave péché qu’aimer un homme marié, et fait tant et si bien que, épouvantée, la jeune fille veut se retirer au couvent. Le roi en tombe malade. Alors, Mme de Montbazon qui, apparemment, s’est faite l’ange tutélaire des amours royales, vient chapitrer Louise : tient-elle tellement à tuer le roi ? Quelle mouche l’a piquée ?

Le nom du père Carré l’éclaire. La manœuvre est aisée à comprendre. Il faut tout de suite prendre un autre confesseur ! Louise ne demande pas mieux, bien sûr. Elle remercie le dominicain et, le soir même, vêtue de soie blanche, elle va chanter au chevet de Louis avec les musiciens de sa chapelle.

Ravi d’avoir retrouvé celle qu’il appelle tendrement son « beau lys », le roi se hâte de guérir et c’est le cardinal qui manque de tomber malade. Les jours qui suivent sont merveilleux. Louis XIII passe alors deux ou trois heures par jour auprès de son amie, sans se soucier de la guerre qui menace. Richelieu le rappelle au devoir mais Louise fait une véritable crise de désespoir et… commet une grosse sottise en déclarant que le cardinal ne veut cette guerre que pour séparer le roi de son amie…

Heureusement, Louis sait encore faire passer son devoir avant ses amours, mais le cardinal a compris : il lui faut se débarrasser au plus tôt de Mlle de La Fayette ! Alors, calmement, il organise la brouille entre ces « trop parfaits amants » et pour cela trouve le meilleur des agents : l’ingratitude. Acheté par lui, ce Boisenval qui doit sa place à Louise se fait son complice, subtilise des billets, colporte de faux bruits. On dit que le roi commence à être las des amours trop sages… que Mlle de La Fayette s’intéresse à un jeune seigneur… Tout cela réussit à merveille. Le roi et Louise souffrent le martyre chacun de son côté mais, trop fiers pour se plaindre, choisissent le silence… Louise, alors, se décide à entrer en religion, et l’annonce au roi.