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Il reçoit le choc sans broncher, s’enfuit après quelques paroles mais, le lendemain, il rencontre la jeune fille dans la galerie qui mène chez la reine. Et, cette fois, il ne peut plus feindre :

— Vous ne m’aimez donc plus ? Moi je vous aime plus que jamais…

C’est la première fois que Louis prononce des mots d’amour. Jusqu’ici ils ne lui étaient pas apparus indispensables : tous deux se comprenaient si bien ! Et puis, il aurait craint de faire rougir son beau lys… Et, de fait, Louise a rougi… Et elle avoue, elle aussi, son amour mais elle craint trop d’être entraînée dans une voie qu’elle regretterait. Et c’est au tour de Louis de commettre une bêtise. Que pourrait-elle regretter, protégée par son amour ? Il peut la faire puissante, heureuse. Qu’elle soit à lui et il lui fera quitter la cour. Il l’installera dans son pavillon de Versailles…

Le malheureux ! Il a prononcé les mots irréparables et Louise s’enfuit en se bouchant les oreilles. Quelques jours plus tard, le 19 mai, elle entrait au couvent des Filles de Sainte-Marie de la Visitation pour y devenir sœur Louise-Angélique. Comme une bête malade, le roi a fui et se terre dans ce Versailles dont, un instant, il a pensé faire le nid de ses amours…

Ils se reverront pourtant. De temps en temps, le roi va au couvent visiter sœur Louise-Angélique. C’est en la quittant, un soir d’orage, qu’il devra aller passer la nuit avec la reine. Une nuit dont Louis XIV sera le fruit. On dit que Louise était du complot fomenté pour rapprocher les deux époux, qui n’avaient plus aucune vie commune.

Six ans, presque jour pour jour, après leur séparation, Louis XIII se meurt. Au père Dinet, son confesseur, il remet discrètement un petit crucifix qu’il porte au cou.

— Pour sœur… Louise-Angélique !…

Le château de Vésigneux oublia Louise. En 1651, il recevait le prince de Condé. C’est à lui qu’un homme appelé Urbain Le Prestre vint confier son fils Sébastien pour qu’il en fît un soldat. Ce jeune Sébastien devint par la suite M. de Vauban, le grand maître des fortifications de France.

À la Révolution, le château fut pillé. Le comte de Bourbon-Busset mourut de chagrin en apprenant que son fils était emprisonné et attendait la mort au Luxembourg. Après être passé par diverses mains, dont celles des Chabannes, Vésigneux, racheté en 1926 par Mlle de Bourbon qui le fit restaurer, appartient toujours à la famille…

Le château n’est pas ouvert à la visite.

1- Voir Hautefort.

Villette

La Vénus lycéenne

Fragilité, ton nom est femme.

W. SHAKESPEARE

« Un paysage délicieux, une société charmante, tous les talents réunis à la beauté dans la personne des filles de la maison, la musique, la peinture, le latin, le grec, toutes les langues, toutes les sciences. » Ainsi s’exprime dans le dernier quart du XVIIIe siècle un habitué, admirateur inconditionnel du charmant château de Villette et de ses habitants, le marquis de Grouchy, de vieille souche normande – on dit que l’un de ses ancêtres escortait Guillaume le Conquérant –, sa femme et ses trois enfants. Ce sont Sophie, l’aînée, qui est aussi l’héroïne de cette histoire, Emmanuel, alors garde du corps du roi Louis XVI mais qui sera un jour le maréchal de Grouchy, l’homme qu’à Waterloo l’Empereur attendra en vain, et enfin la petite Charlotte.

Tout le monde vit le plus gaiement, le plus aimablement du monde dans ce joli château des environs de Meulan : une large maison au bout d’une allée de vieux tilleuls, une maison qui semblerait presque simple s’il n’y avait la splendeur du parc orné de cascades et de jeux d’eaux, une maison où il fait bon vivre.

Mais en ce mois de décembre 1786, c’est de Sophie surtout qu’il est question à Villette : elle va, en effet, se marier et ce mariage agite la ville et la campagne, le monde intellectuel et celui des sciences, jusqu’à la grave Académie où l’on se préoccupe d’envoyer aux noces une délégation : « On en prenait dans la classe de géométrie, dans celle d’astronomie », on cherchait les représentants les plus dignes de la docte assemblée. Et pas seulement à l’Académie des sciences mais aussi à l’Académie française dont le fiancé est un membre très représentatif.

Au fait, le fiancé, qui est-il donc ? Tout simplement Jean-Antoine de Caritat, marquis de Condorcet, le grand savant, auteur de brillantes recherches sur le calcul intégral et l’algèbre, celui que Voltaire a déclaré « l’homme le plus nécessaire de France ». On conçoit l’émotion suscitée par une telle union alors que le siècle des Lumières jette ses derniers feux avant de sombrer dans la marée sanglante de la Révolution.

Le moins que l’on puisse dire est que les fiancés ne sont guère appariés du côté de l’âge. Sophie, qui fut d’abord chanoinesse au chapitre de Neuville-les-Dames en pays de Dombes, a vingt-deux ans. Elle est ravissante avec le minois le plus éveillé et d’immenses yeux noirs vifs et intelligents. Condorcet, lui, en a quarante-trois et n’est pas mal du tout. Mais ce n’est pas là ce qui cause la surprise et l’émoi général. Simplement, un géomètre qui se marie semble enfreindre un principe de droit. Lorsque l’on est un mathématicien, on se doit de ne pas exécuter ce que d’Alembert appelle le « saut périlleux ».

Quoi qu’il en soit, Condorcet fait le saut périlleux et il le fait par amour. Il aime Sophie au point de refuser toute dot. Il se contente d’un contrat verbal. De son côté, Sophie, à ce qu’il paraît, aime, elle aussi, son mathématicien, bien que l’on ait vaguement fait allusion à un penchant pour La Fayette.

Le 28 décembre 1786, dans la chapelle de Villette, le curé de Condécourt bénit le couple en présence d’une assistance aussi nombreuse que choisie. La Fayette est témoin. Après quoi Sophie, sans trop de peine, quitte sa jolie maison pour l’hôtel des Monnaies dont son époux est le directeur. Elle est très heureuse et surtout immensément fière. Et puis Villette est si près ! On y reviendra fréquemment avec des amis.

Ils sont nombreux, ces amis, et célèbres pour la plupart : Mme de Staël, Beaumarchais, Franklin, Necker, Laplace, Volney, Cabanis qui un jour épousera la petite sœur Charlotte, Turgot, d’Alembert, Mirabeau, tout ce que Paris compte de grand, de brillant et de généreux car tous ne rêvent que de liberté et accueillent avec joie les prémices d’une révolution que l’on espère sereine. Ces sentiments sont d’ailleurs partagés par toute la famille de Grouchy et le jeune Emmanuel n’hésitera pas à s’engager dans les armées de la République.

Côté ménage, tout va bien chez les Condorcet. Sophie donne le jour à une petite Eliza dont, en dépit des mauvaises langues, il faut bien admettre qu’elle ressemble à Condorcet. Car, depuis le mariage, les langues vont leur train. Sophie, si jolie qu’Anacharsis Clootz l’a surnommée la Vénus lycéenne, a trop de charme et d’admirateurs pour que l’on ne ressorte pas toujours la fameuse différence d’âge. Mais cela n’entame en rien la sérénité du savant et, quand revient l’été, tout le monde se transporte à Villette où l’hospitalité du marquis est toujours sans défaut.

Naturellement, aucun membre de la famille ne songe à émigrer. Condorcet devient député de la Législative puis de la Convention. Mais la mort du roi le précipite d’un seul coup des hauteurs sublimes où il plane à une sanglante réalité. Une révolution qui tue ne saurait être la sienne. Bientôt, hélas, elle va s’emballer et l’entraîner sous les roues de son char devenu fou. Le 8 juillet 1793, après la chute de ses amis girondins, Condorcet, dénoncé par Chabot, est décrété d’arrestation. Prévenu à temps, il se réfugie d’abord chez Mme Helvétius, puis chez la veuve du sculpteur François Vernet, au numéro 15 de la rue Servandoni. Il y reste caché jusqu’au 25 mars 1794 et y compose son Esquisse des progrès de l’esprit humain qui est la preuve, chez ce proscrit, d’une bien grande magnanimité…