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Pour ne pas mettre en danger celle qui l’abrite quand la Terreur fait rage, Condorcet quitte la rue Servandoni et erre, du côté de Clamart, à la recherche d’un asile qu’il ne trouvera pas. Arrêté sous un déguisement et emprisonné à Bourg-la-Reine, il finit par s’empoisonner dans sa prison, pour éviter l’horreur de la guillotine. C’est seulement après Thermidor que Sophie, qui a vécu comme elle pouvait en faisant de petits portraits et autres travaux de peinture, apprend la mort d’un époux qu’elle croyait jusqu’alors réfugié en Suisse.

Sa douleur est profonde et ne s’apaise que lentement. C’est à Villette qu’avec sa fille elle viendra chercher, non pas l’oubli, mais une nouvelle sérénité. Là, rien n’a vraiment changé sinon que la vie y est moins large mais la chaleur familiale est juste ce qu’il faut à la jeune femme. L’un après l’autre les anciens amis réapprendront, eux aussi, le chemin du château où vit toujours son père.

Le Directoire est là avec ses folies et son appétit de vivre et d’oublier le cauchemar. Sophie, comme les autres, se laisse emporter par le tourbillon. À nouveau, elle aime. Mais cette fois avec passion, avec folie. Malheureusement, elle aime mal. Ou plutôt, elle est mal tombée.

L’objet de son amour, Mailla-Garat, neveu du conventionnel Joseph Garat et frère du fameux chanteur, est un petit Basque maigre et brun, vif comme l’éclair et roué jusqu’à l’âme mais doué d’une faconde intarissable, d’un toupet de première grandeur et d’une paire d’yeux qui affolent les dames. Vaniteux comme un paon par-dessus le marché, il se croit des dons littéraires et pense faire carrière dans le journalisme.

Conquise dès le premier regard, Sophie s’est prise pour lui d’une passion désordonnée et ne tarde pas à devenir sa maîtresse à l’infinie stupeur de sa sœur Charlotte, de son frère et du cercle d’amis fidèles qui ne comprennent rien. Ils se hasardent alors à quelques remarques en forme de douce mise en garde.

Sophie est trop fine pour ne pas comprendre et, craignant de choquer son vieux père, elle acquiert à Meulan, non loin de Villette, les restes d’un ancien couvent qu’elle rebaptise la Maisonnette. Là elle pourra recevoir en toute liberté son Mailla bien-aimé à qui elle écrit, entre-temps, des lettres enflammées :

« Je vais aller sur cette belle terrasse par un soleil ravissant te regretter, te presser dans mon cœur. » Ou encore : « Si jamais il exista sur terre une femme à laquelle tout au monde ait donné le besoin du lien le plus intime, le plus complet, c’est moi certainement qui suis cette femme. »

Passion dépensée en pure perte. Sophie ignore que son Mailla bien-aimé la trompe abondamment et va jusqu’à amener certaines de ses conquêtes dans l’appartement que Mme de Condorcet a conservé, pour y passer les quelques semaines de l’hiver. Au nombre de celles-là se trouve, en premier plan, Aimée de Coigny, ex-duchesse de Fleury, ex-Jeune Captive du malheureux André Chénier et en passe de devenir ex-comtesse de Montrond1. C’est l’une des créatures les plus incandescentes qui se puissent rencontrer et elle est très belle. La considérant comme une amie, Sophie, en toute innocence, l’invite à la Maisonnette en compagnie de Garat. C’est là qu’un jour cruel elle apprend quel usage ces deux-là font de son hospitalité, de son amour et de son amitié. Avec beaucoup d’élégance et de magnanimité, Mme de Condorcet mettra fin à cet indigne amour.

Heureusement, un autre amour venait, un an plus tard, apaiser une blessure irritée par les procédés inqualifiables de Mailla-Garat qui n’a pas hésité à vendre à un collectionneur les lettres de Sophie. Cette fois, il s’agit du savant botaniste Claude Fauriel auprès de qui la charmante marquise de Condorcet achèvera les quelques années qui lui restent à vivre.

Elle s’éteint à Paris le dimanche 8 septembre 1822 des suites d’une cruelle maladie et repose au cimetière du Père-Lachaise.

Villette, qui avait vu les noces d’Eliza de Condorcet avec le général irlandais O’Connor, cessa d’appartenir à la famille de Grouchy en 1816 pour devenir le bien de la fille de Fouché, la comtesse de La Barthe-Thermes. Ajoutons que le château, bâti au XVIIe siècle pour le comte d’Auffray, avait été remanié plus tard par Jules Hardouin-Mansart à qui l’on doit les cascades et les bassins qui donnent tant de charme à cette belle maison d’autrefois.

Aujourd’hui, le château a été transformé en hôtel.

1- Voir Mareuil-en-Brie.

Vincennes

La mort des rois

Nous n’irons plus aux bois

Les lauriers sont coupés.

Théodore DE BANVILLE

Qui veut voir Vincennes tel qu’il était lorsque, formidable forteresse féodale, il abritait les rois de France dont il était le « château du Bois » et peut-être la résidence préférée, doit regarder Les Très Riches Heures du duc de Berry. Servant de toile de fond à une brillante cavalcade, au milieu d’un bois vert, les neuf puissantes tours escortent l’énorme donjon. De ces tours il ne reste qu’une seule, la tour du Village qui regarde Vincennes et sert de portail d’entrée mais le donjon est toujours là et aussi la Sainte-Chapelle, ce joyau. Celle-ci plus ancienne que celui-là car si Saint Louis voulut la Chapelle, c’est seulement en 1337, au début de la guerre de Cent Ans, que Philippe VI ordonna la construction du géant.

Cependant, Vincennes existait depuis longtemps. Abandonnant pour quelques jours un Paris puant, étouffant dans son corset de murailles, les rois Capétiens, grands chasseurs devant l’Éternel, venaient y respirer la verte fraîcheur de la forêt tout en s’y livrant à leur sport favori. Ils y eurent d’abord un manoir dont la première mention est de 1162, que Philippe Auguste reconstruira, que Saint Louis agrandira. Plus que tous ses autres châteaux, le saint roi aime Vincennes. L’imagerie populaire a fait un triomphe aux goûts champêtres du monarque et à sa prédilection pour l’épais feuillage du chêne quand il s’agissait de rendre la justice.

Il est le principal acteur du premier grand événement qui s’y déroule. Le 19 août 1239, un cortège imposant s’approche du manoir au milieu de tout le petit peuple des environs. En tête, deux hommes pieds nus et en simple tunique blanche portent un brancard sur lequel repose un coffre de bois : le roi et son frère Robert d’Artois. Le coffre de bois en renferme un autre d’argent qui lui-même en renferme un troisième d’or pur. Et dans ce troisième coffre une relique insigne : la Très Sainte Couronne d’Épines que l’empereur Baudouin de Constantinople, à bout de ressources, a offerte au roi de France contre une très forte somme. Saint Louis est allé accueillir ce qu’il considérera toujours comme son plus grand trésor à Villeneuve-l’Archevêque, dans l’Yonne. À petites journées, il l’a ramenée par Sens jusqu’à son cher château de Vincennes où la Couronne passe une nuit avant de gagner Paris. Là, c’est l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs qui va la recevoir en attendant que s’érige pour elle l’étonnant joyau qu’est la Sainte-Chapelle de Paris.

Vincennes aussi aura sa Sainte-Chapelle mais elle devra se contenter, plus modestement, d’une seule épine sainte. L’ordre de construction viendra neuf ans plus tard. Entre-temps, le roi viendra et reviendra à Vincennes où, par deux fois, il réunit les États généraux. C’est de là qu’en août 1270 il part pour la fatale croisade, pour Tunis où la peste l’emportera. La dernière nuit précédant le départ, il l’a passée tout entière en prière.