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Des prières qui ne sauveront pas ses descendants d’un sort tragique dont, souvent, Vincennes sera le cadre. Et d’abord son fils, le nouveau roi Philippe III.

Quand il revient de la croisade à laquelle il a suivi son père, il ramène avec lui à Vincennes trois cercueils : celui de son père, naturellement, mais aussi celui de sa femme, Isabelle d’Aragon, morte en couches sur le chemin du retour, et celui du fils qui lui était né, lequel ne vécut que quelques jours.

Le mot cercueil est peut-être un bien grand mot d’ailleurs car il s’agissait en fait de coffres de dimensions plus réduites : il était d’usage, en campagne, lorsqu’il fallait ramener des corps précieux, de les faire bouillir afin d’en détacher les chairs après avoir prélevé le cœur et de ne garder que les os. Il est difficile d’imaginer comment un jeune homme, très épris de sa belle épouse, pouvait supporter cet épouvantable pot-au-feu.

Quoi qu’il en soit, le tragique retour frappe le peuple : « Le roi, dit-il, ne rapporta de croisade que des coffres vides et des tombeaux pleins d’ossements. »

Néanmoins, c’est à Vincennes que, trois ans après le dramatique retour, Philippe épouse Marie de Brabant qui est belle et qui lui plaît. Mariage d’inclination plus que mariage de nécessité car, en neuf ans de mariage, Isabelle d’Aragon lui a donné cinq enfants dont deux seulement, le futur Philippe le Bel et son frère Charles de Valois, survivront. Mais au moment du second mariage, le beau Philippe n’est pas l’aîné : c’est Louis qui meurt subitement un an après le remariage de son père. Or, à cette époque, le roi a un favori dont il a fait son chambellan : Pierre de La Brosse.

C’est un homme de peu, un ancien barbier qui doit à la faveur royale une fortune trop évidente pour ne pas causer de scandale. La reine et lui ne s’aiment pas et, quand le jeune prince meurt brusquement à Vincennes, le chambellan n’hésite pas à accuser Marie d’avoir empoisonné son beau-fils. Il espère ainsi se débarrasser d’une femme qui le gêne.

Le roi refuse de croire pareille accusation. D’autant que la reine se défend avec énergie et même en appelle au jugement de Dieu. Un jugement de Dieu auquel l’ancien barbier est incapable de faire face et pour lequel il ne trouve aucun champion. Du coup, la cause est entendue : Pierre de La Brosse sera pendu en dépit des protestations du peuple qui se retrouvait solidaire de l’un des siens. Mais ce n’était ni la première ni la dernière affaire judiciaire qui ne serait jamais élucidée.

Philippe le Bel se marie à Vincennes en 1284. Il épouse Jeanne de Navarre qui sera son unique amour et qui apporte aux rois de France le complément de titres qu’ils porteront désormais : « roi de France et de Navarre ». C’est à Vincennes que Jeanne met au monde la plupart de ses enfants : les trois fils qui seront Louis X, Philippe V et Charles IV, une fille qui sera reine d’Angleterre et dont l’Histoire gardera le surnom, la Louve de France.

On sait ce que fut la fin du règne de Philippe le Bel : le procès des Templiers, la malédiction du grand maître à l’heure des flammes, le scandale amoureux qui envoie deux des belles-filles du roi à Château-Gaillard et la troisième à Dourdan1. On sait moins que ce fut sous les voûtes enluminées de Vincennes que la mort continua de frapper les rois.

Après la mort de Marguerite de Bourgogne, étranglée dans son cachot de Château-Gaillard, Louis X, qui a succédé à son père Philippe, se remarie avec Clémence de Hongrie. Il n’a même pas le temps de voir l’enfant qu’elle lui prépare : dans la nuit du 4 au 5 juin 1316, Louis le Hutin meurt dans sa chambre de Vincennes d’« un flux de ventre ». En dépit de l’apparence, le terme est discret car, pour la majorité de ceux qui composent l’entourage royal, l’affaire est claire : le roi a été empoisonné et l’empoisonneuse c’est Mahaut d’Artois, dont les filles Blanche et Jeanne croupissent encore en prison et dont la nièce, Marguerite, a été étranglée pour que le Hutin puisse se remarier.

Quelques mois plus tard, dans la nuit du 13 au 14 novembre, Clémence de Hongrie endure les souffrances de l’enfantement. Le jour va bientôt se lever sur la forêt quand le château s’emplit de joie : c’est un garçon. Suit immédiatement un second cri : Vive le roi Jean ! Et les cloches de sonner.

Cinq jours plus tard, les cloches sonnent encore mais en glas. Que s’est-il donc passé ?

La veille de ce triste jour, le petit roi portant couronne et couvert du manteau royal a été, selon la coutume, présenté aux pairs du royaume et au peuple par Très Haute et Très Noble Dame Mahaut d’Artois, comtesse de Bourgogne et comtesse d’Artois. Et c’est dans la nuit qui a suivi cette présentation que le petit roi Jean Ier a été pris de convulsions violentes. Il est mort en quelques instants laissant la place à Philippe le Long, deuxième fils de Philippe le Bel et gendre de Mahaut. L’inconduite de Marguerite de Bourgogne a fait ressusciter en France la vieille loi salique et écarter sa fille de la succession : plus jamais femme ne régnera au royaume des fleurs de lys.

Cette mort d’un bébé fait planer sur Vincennes l’un de ses plus lourds secrets car il semble que l’enfant d’une nourrice ait été substitué au petit roi tandis que celui-ci était emporté à Sienne par le père de l’enfant sacrifié, un jeune banquier siennois, Guccio Baglioni.

Le successeur, Philippe V, s’installe à son tour à Vincennes qu’il reprend à Clémence de Hongrie, déclarant que le château est domaine royal et sera désormais inaliénable. Mais c’est à Longchamp qu’il meurt d’une dysenterie dont il souffrait depuis longtemps. Vincennes verra encore la mort de Charles IV le Bel le 1er février 1328, à la suite d’une longue et douloureuse maladie, à trente-trois ans.

Cette fois, les Capétiens directs sont éteints. La couronne passe à leurs cousins, les Valois. Philippe VI qui la coiffe est un incapable, une tête folle pleine de la plus délirante chevalerie en dépit de la phrase qu’il se plaît à répéter : « Nous qui toujours voulons raison garder. » La raison, il ne saura jamais ce que c’est et l’Anglais en profitera pour envahir la France. Mais il sait bâtir et, sous son règne, le superbe Vincennes des Très Riches Heures s’érige et s’étale sous le soleil. Superbe… mais déjà dépassé quand Charles V l’achève. Et s’en va mourir à côté, au château de Beauté.

Une autre mort royale va ramener le son du glas. Henri V d’Angleterre, le vainqueur d’Azincourt, s’est fait remettre la forteresse lors de son mariage avec Catherine de France. Marié le 2 juin 1420, il meurt à Vincennes le 31 août 1422 « de la colique », précédant dans la mort son triste beau-père, Charles VI le Fou, qui mourra en octobre. N’ayant jamais été roi de France, il devra regagner Westminster mais Vincennes respirera les effluves du bouillon royal qui tenait toujours lieu d’embaumement.

La mort du souverain anglais semble avoir dégoûté les rois de France de rendre à Vincennes leur dernier soupir. Il s’en trouvera pourtant encore un, un jeune roi de vingt-quatre ans, Charles IX. Passionné de chasse – durant la Saint-Barthélemy il a tiré les protestants comme perdreaux depuis les fenêtres du Louvre – il aime profondément son château du Bois. Le 30 mai 1574, il y meurt de shakespearienne façon dans des draps rougis par la sueur de sang qui sourd de son corps tuberculeux. Les victimes de la Saint-Barthélemy crieront à la damnation.

Comme les Capétiens, les Valois et les Bourbons ont tous été de grands chasseurs. Château forestier, Vincennes leur offre un relais aux dimensions plus que royales. Pourtant Louis XI, veneur aussi passionné que les autres, s’avise de deux détails : d’abord le donjon est sinistre – et du coup il se fait construire un petit manoir à l’endroit où s’élève aujourd’hui le Pavillon du Roi –, ensuite, pour sinistre qu’il soit quand il s’agit d’y loger un roi, il présente toutes les couleurs joyeuses qui devraient convenir à des prisonniers d’État. Et voilà Vincennes devenu prison. Un rôle qu’il va remplir pendant de longues décennies. Désormais, les funérailles que l’on y célébrera, le cas échéant, n’y gagneront ni en pompe ni en majesté : un linceul, un brancard, quatre soldats aux points stratégiques, un moine pour ouvrir la porte du Ciel et ce sera tout. Néanmoins et en dépit de ce nouvel avatar, il semblerait que les rois aient aimé y recevoir des ambassadeurs. La raison en est simple : la formidable forteresse donnait de leur puissance une idée beaucoup plus impressionnante que le Louvre. Les envoyés de Soliman le Magnifique y furent peut-être sensibles lors de la réception que leur offrit François Ier. Et aussi ceux de Philippe II d’Espagne quand ils vinrent s’incliner devant Henri II. Mais, en tant que château royal, Vincennes a tout de même beaucoup perdu. Sur la Loire s’élèvent à présent des demeures de rêve et le climat est infiniment plus doux au jardin de la France qu’au cœur de la rude forêt capétienne.