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En 1814, le gouverneur, c’est le général Daumesnil qui a perdu une jambe à Wagram. L’Empire s’écroule mais Vincennes, qui renferme encore une grande quantité de poudre, d’armes et de munitions, n’a pas cessé de se défendre avec acharnement. Et tandis que Marmont capitule à Belleville, Daumesnil réussit à faire rentrer encore d’autres armes.

Désespérant d’en venir à bout, les Alliés lui envoient un ambassadeur pour le prier de rendre sa forteresse.

« Je vous rendrai Vincennes quand les Autrichiens me rendront ma jambe ! » déclare Daumesnil, et comme l’autre insiste, menaçant de bombarder le château, il ricane : « Je ferai tout sauter avec vous et si je vous rencontre en l’air, je ne réponds point de vous égratigner. »

Il faudra l’abdication de l’Empereur pour convaincre l’héroïque mutilé des droits que Louis XVIII a désormais sur le château. Pour le punir de sa résistance, on lui offre un exil à peine déguisé à Condé. Mais Louis-Philippe, devenu roi, rappellera Daumesnil et c’est à Vincennes que finalement il mourra du choléra.

Horaires d’ouverture

Du 2 mai au 31 août 10 h-18 h Du 1er septembre au 30 avril 10 h-17 h

Fermé le 1er janvier, le 1er mai, les 1er et 11 novembre et le 25 décembre.

http://www.chateau-vincennes.fr/

1- Voir Château-Gaillard.

2- Voir Saverne.

Vizille

Marie Vignon, duchesse

Une belle femme qui a les qualités d’un honnête homme est ce qu’il y a au monde d’un commerce plus délicieux.

Elles sont légion, en France, les anciennes forteresses remises au goût du jour pour le caprice d’une jolie femme. Vizille ne fait pas exception. Quand, en 1600, François de Bonne, seigneur de Lesdiguières et lieutenant général des armées du roi Henri IV pour le Dauphiné, le Piémont et la Savoie, entreprend la reconstruction du vieux château, mal retapé par les troupes catholiques en 1562 pour y tenir garnison, c’est dans l’unique intention de plaire à la dame de ses pensées et de ses « joyeux esbatements », Marie Vignon, une jolie marchande de soieries grenobloise dont Lesdiguières est fou depuis dix ans déjà. Il faut bien avouer qu’il y a de quoi.

La première rencontre a eu lieu le 16 décembre 1590.

Ce jour-là, Lesdiguières entre dans Grenoble à la tête des troupes protestantes dont il est le chef au nom du roi Henri IV qui, à cette époque, n’est pas tout à fait roi car il ne lui est pas encore apparu que Paris valait bien une messe.

Donc, Lesdiguières entre. Sur son passage, la foule se presse, clame son enthousiasme. Au premier rang, une adorable créature blonde, ronde et rose crie plus fort que tout le monde. Bien mieux, elle écarte ses voisins, s’avance au risque de se faire fouler aux pieds par le cheval et tend à Lesdiguières une petite branche de gui, ce qui oblige le héros à la regarder : « Dieu quel morceau ! » écrit René Fonvieille, biographe du couple. Et en vérité on ne saurait mieux dire. Lesdiguières est ébloui et quand il se penche pour embrasser la jolie créature, il y met tout son cœur. On se reverra ! Et bientôt même : quelques jours plus tard la dame à la branche de gui tombe dans les bras de Lesdiguières et n’en sortira plus avant que la mort ne les sépare, trente-deux ans plus tard.

Est-elle à ce point amoureuse la jolie Marie aux yeux vifs ? À première vue on a peine à le croire. Lesdiguières a déjà cinquante-sept ans mais, rompu depuis la prime jeunesse à la vie des camps – il a choisi l’armée parce qu’il lui était tout à fait impossible de reprendre la charge de son royal notaire de père – c’est un gaillard tout en muscles, sec comme un sarment avec une figure qui ne manque ni de noblesse ni d’une certaine beauté. Et si ses cheveux grisonnent, du moins sont-ils toujours tous présents à l’appel.

La liaison rapidement affichée cause un vrai scandale. Marie Vignon est mariée et elle a même trois filles en dépit de son jeune âge. Son époux, Ennemond Matel, le marchand de soieries de la rue Revenderie, n’est pas de ceux qui aiment à porter des cornes. Il bat sa femme comme plâtre chaque fois qu’il la voit rentrer au logis avec, aux yeux, certains cernes révélateurs. Quant à Lesdiguières, il est marié, lui aussi, depuis le 11 novembre 1566 où il a épousé Claudine de Bérenger. Mais il ne s’en soucie que par moments car on la dit fort malade, tandis que Marie, c’est la santé, la fraîcheur. Les pasteurs calvinistes du Graisivaudan peuvent crier au scandale, invoquer Sodome et Gomorrhe, ils ne peuvent rien contre une telle passion.

Comme des libelles venimeux commencent à circuler, Lesdiguières en vient à penser qu’il faut tout de même sauver les apparences : pour rencontrer Marie plus commodément et sans faire hurler toute la ville, il achète un petit château des environs, y installe Jean Vignon, le père de Marie, et peut ainsi rejoindre sa maîtresse sans attirer trop de monde aux fenêtres. Voilà pour le confort amoureux. Reste le mari, pratiquement privé de sa femme : Lesdiguières en fait un troisième consul de la ville, ce qui a au moins pour résultat d’obliger les rieurs à rire plus discrètement. Ennemond Matel pourrait refuser dignement le présent de son rival mais il ne résiste pas aux attraits des honneurs et une vie assez agréable s’instaure entre ces trois personnages.

En 1608, les travaux de Vizille sont déjà bien avancés et le couple irrégulier peut y passer quelques jours d’été. Le reste du temps, on vit au palais delphinal qui fut jusqu’en 1962 la mairie de la ville. Voyant son époux bien calmé Marie a fini par venir s’y installer tout à fait. C’est là qu’une triste nouvelle arrive : la pauvre épouse malade vient de mourir.

On ne sait de quel cœur Lesdiguières apprit la mort de sa femme. Son chagrin, en tout cas, fut de courte durée : Marie était là. Et puis le roi venait de le nommer maréchal de France. Ce sont de ces choses qui font plaisir. Mais il fut plus content encore lorsqu’en 1611 le nouveau roi Louis XIII le fit duc et pair.

Marie voyait avec un vif plaisir tous ces titres superbes couronner son amant mais soupirait un peu en songeant qu’elle ne pouvait pas les partager. Être duchesse c’était pourtant un joli rêve et elle le serait tout de suite sans doute si le malencontreux Ennemond Matel ne s’obstinait à s’épanouir sous le soleil. Mais comme elle était à la fois bonne catholique et pieuse, Marie s’interdisait sagement des rêves aussi dangereux.

Il se trouva alors que le destin jugea opportun de lui apporter une aide parfaitement inattendue. En 1614, Lesdiguières reçut un envoyé du duc de Savoie qui l’appelait au secours car sa réputation du plus grand soldat de son temps n’était plus à faire. La grande Élisabeth d’Angleterre ne soupirait-elle pas : « Plût à Dieu qu’il y eût en France deux Lesdiguières et que j’en puisse obtenir un du roi ! » ?

Donc un envoyé arrive. Il se nomme le colonel Alard et, à peine arrivé à Grenoble, il s’enquiert de ce qui pourrait faire vraiment plaisir à celui qu’il vient solliciter. L’affaire, en effet, n’est pas simple : le duc de Savoie a des démêlés avec le roi d’Espagne et le jeune roi Louis XIII vient d’épouser l’infante Anne. Si puissant que soit Lesdiguières, il lui sera peut-être difficile d’intervenir dans un réseau diplomatique aussi délicat. Et tout à coup, Alard trouve le cadeau idoine : la belle Marie a un époux, cet époux est encombrant, supprimons l’époux ! Et un beau soir, alors qu’il revient de ses vignes, Ennemond Matel est tué d’un coup d’épée discret.