Celle-ci s’installe au troisième étage de la maison en compagnie de Mlle de Kersabiec. Leur logis est une mansarde succinctement meublée mais pourvue d’une cheminée intéressante car la plaque qui en constitue le fond bascule, dévoilant une cachette. Les repas sont pris en commun au second étage et la duchesse se trouve bien dans cette maison amie. Il y a autour d’elle Stylite et sa sœur Eulalie venue la rejoindre, le bon Mesnard… le cher Guibourg ! Elle entreprend sans tarder une énorme correspondance avec toute l’Europe, que son courage et son obstination finissent par remuer un peu.
À Paris, cependant, on s’inquiète, on s’énerve. M. Thiers vient de prendre le portefeuille de l’Intérieur et aimerait inaugurer son ministère en mettant la main sur la duchesse de Berry. Il trouvera, hélas, l’homme qu’il lui faut dans un misérable, un certain Simon Deutz, un juif converti au catholicisme. La duchesse connaît ce Deutz depuis Massa où il s’était présenté à elle comme mandataire du pape. Du pape qui n’a jamais voulu lui confier quelque message que ce fût. Mais, ignorant ce détail, Marie-Caroline a confiance en lui, et c’est cette confiance qu’il va monnayer : il demande 500 000 francs !
Thiers a tiqué. Judas était moins cher, mais qui veut la fin veut les moyens et Deutz aura son argent quand la duchesse sera prise. Deutz assure qu’il réussira et part pour Nantes en compagnie du nouveau préfet.
Le 31 octobre, il est reçu par la duchesse à laquelle il « apporte des nouvelles du Portugal ». Une seconde audience lui est assignée pour le mardi 6 novembre. Deutz vient vers quatre heures, reste une heure et ne s’éloigne qu’après avoir constaté que la table est mise pour sept personnes et que Madame va souper ici. Ce soir-là, en effet, outre les habitués, il y a la baronne de Charette.
Vers cinq heures et demie, comme, réunis dans la chambre de Mlle Pauline, on bavarde en regardant se lever la lune, Guibourg qui est debout près de la fenêtre voit soudain luire des baïonnettes et constate que des troupes encerclent silencieusement la maison. Aussitôt, on se précipite au troisième, on ouvre la plaque de la cheminée. Mesnard et Guibourg se glissent les premiers dans la cachette, puis la duchesse et Stylite. Il est temps. La maison est envahie. On fouille partout mais on ne trouve rien. On commence à sonder les murs. Sans succès. Alors le gros de la troupe se retire, laissant des gardes dans toutes les pièces.
Deux gendarmes sont installés dans la chambre où se cachent les fugitifs. Comme la nuit est humide, ils font du feu avec des papiers, au grand affolement des captifs de la cheminée. Heureusement, le feu s’éteint. Les hommes n’ont pas cherché à l’entretenir et l’air qui passe à travers les tuiles du toit ranime les occupants de la cachette.
Hélas, au matin, ayant froid de nouveau, les gendarmes rallument le feu et cette fois ils l’entretiennent. La plaque devient brûlante. Le bas des robes commence à prendre feu et la fumée envahit l’étroit espace. Alors, Marie-Caroline se rend…
Sur son ordre, Mesnard et Guibourg ouvrent la plaque. On éteint le feu et les gendarmes éberlués voient une petite femme couverte de poussière, aux vêtements roussis, qui sort de la cheminée à quatre pattes et leur dit :
— Je suis la duchesse de Berry. Vous êtes français et militaires. Je me fie à votre honneur…
Et, sans rancune, elle leur sourit. Elle n’est même pas abattue par ces seize heures de cauchemar.
Une heure plus tard, au bras du général Dermoncourt, elle quitte la maison des demoiselles du Guiny pour les prisons du château de Nantes. Deutz a gagné son argent, qu’on lui tendra, dit-on, avec des pincettes. Il a gagné aussi la flétrissure que lui infligera Victor Hugo, indigné :
Rien ne te disait donc dans l’âme, ô misérable !
Que la proscription est toujours vénérable,
Qu’on ne bat pas le sein qui nous donna son lait,
Qu’une fille des rois dont on fut le valet
Ne se met pas en vente au fond d’un antre infâme
Et que n’étant plus reine elle était encor femme…
L’aventure de Petit-Pierre est terminée. Il va falloir, à présent, en payer le prix…
À la nuit close, ce 15 novembre, le bateau qui amène à Blaye la duchesse de Berry et ses deux derniers compagnons, Mesnard et Mlle de Kersabiec, jette l’ancre dans la Gironde. Le général Janin et son aide de camp prennent un canot pour aller chercher les prisonniers qu’accompagnent, depuis Nantes, le colonel Chousserie et son officier d’ordonnance. Un officier qui s’appelle… Petitpierre ! Le destin a de ces jeux !
Le roman cependant n’est pas terminé. Au bout de quelques mois, le général Bugeaud, qui est commis à la garde de la duchesse, constate que la taille de sa prisonnière a tendance à s’arrondir. Certes, elle n’a jamais perdu son bel appétit, mais tout de même ! Et il finit par lui faire avouer l’invraisemblable : elle est enceinte ! Mais de qui ?
La duchesse déclare qu’elle s’est mariée secrètement en Italie mais refuse de donner un nom.
Le gouvernement de Louis-Philippe pourrait étouffer le scandale, mais il n’en fait rien. Bien au contraire. Il faut donner le plus de publicité possible à cet événement qui ridiculise les Bourbons aînés. Il faut plonger dans la honte le courageux « Petit-Pierre ». Plus il y aura de boue sur sa légende et mieux cela vaudra !
Dès lors, la duchesse est surveillée plus que jamais. Le général Bugeaud couchera pratiquement devant sa porte et il assistera à l’accouchement qui a lieu le 10 mai 1833. Il s’agit d’une petite fille que l’on baptise Anne-Marie-Rosalie.
Cependant, affolés, les partisans, les amis cherchent une solution. Ils ont repris celle que Madame a proposée : elle est secrètement mariée… Et l’on cherche. Et l’on trouve : « Madame » a épousé le comte Hector Lucchesi-Pali, des princes de Castel Franco, qui lui a parfois rendu visite à Massa. Et c’est lui qui, un beau jour, vient gravement chercher « son épouse » quand, enfin, les portes de la forteresse de Blaye s’ouvrent devant celle qui n’est plus que Mme Lucchesi-Pali. Donc, à présent nullement dangereuse.
Mais personne n’est dupe. Au moment de la conception de l’enfant qui n’a pu avoir lieu qu’à Nantes, Lucchesi-Pali était en Hollande. Mais Achille Guibourg, lui, était là. Achille Guibourg qui était jeune, beau, plein de charme et qui était passionnément amoureux de la duchesse « Vif-Argent »…, de son gentil compagnon de combat.
Achille Guibourg que Marie-Caroline ne pouvait pas épouser… et qu’elle ne reverra jamais…
Aujourd’hui, la citadelle de Vauban est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
En saison, visite de la citadelle par les souterrains pour comprendre le génie de Vauban.
Pour les jours et heures de visite, se renseigner auprès de l’Office du Tourisme : 05 57 42 12 09.
Bonneval
Les aventures de Bonneval-Pacha