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En 1848, nouveau mariage à Boursault : celui de la seconde Marie-Clémentine, fille de la première, avec le comte de Mortemart. Et, pour la circonstance, la Veuve fait des folies : à côté du vieux château médiéval, s’élève maintenant un superbe château Renaissance. Le mariage sera un triomphe où se presseront les plus grands noms de France.

La vie à Boursault est fastueuse. On y donne des fêtes, des chasses, et seul le champagne maison y a droit de cité : « Madame Clicquot, par un despotisme concevable, n’admettait que ses champagnes à sa table. Paraphrasant Louis XIV, elle aimait à répéter : le Vin c’est moi… Effectivement, il n’y avait pas une goutte de vin rouge sur la nappe », écrit Charles Monselet qui fut reçu au château.

Une des nièces de la Grande Dame a laissé un récit imagé de la vie à Boursault, vue du côté des petites filles : « Vers douze ans, à l’âge où il est encore permis de regarder sans rien dire, je me retrouve en robe de mousseline rose dans le coin de l’immense salon. Tout y était froid comme dans les appartements de Versailles. On avait l’impression d’y être perdue : dans la salle à manger de proportions gigantesques également, la cheminée, aussi haute que celle du salon servait de piédestal à une statue de Diane grandeur nature. Ma cousine Anne de Mortemart et moi – Judith d’Anglemont de Tassigny – accompagnées de notre bonne Victoire, nous nous échappions dans le parc dès le matin… »

Comme on peut le voir, les grands noms de la noblesse étaient entrés dans la famille de Nicole. Elle devait être l’aïeule d’une série de grandes dames dont la moindre ne fut pas la duchesse d’Uzès. Le sang bleu et les joyeuses bulles du champagne se mélangèrent superbement.

Brissac

Grands seigneurs, grandes amours… et une dame blanche

Le chemin de l’amour est pavé de chair et de sang.

Vous qui passez par là, relevez le pan de vos robes !

HAFIZ

« C’est un château neuf à demi construit dans un château vieux à demi détruit », a dit un jour le duc de Brissac en évoquant son grand château des bords de Loire. En fait, s’il ne manque ni d’allure ni de majesté, Brissac n’en offre pas moins une image inhabituelle : celle d’une sorte de donjon que l’on aurait construit dans le plus pur style Louis XIII coincé entre des tours essentiellement médiévales. Cela donne cinq étages de hautes fenêtres, de chaînages de pierre, de frontons et de pilastres appartenant à des ordres divers. Mais ce sont cinq étages de grandeur sur lesquels a coulé l’histoire de France car cette demeure fut, de tout temps, celle de grands serviteurs du royaume, de ces serviteurs que l’on ne saurait contester.

Comme beaucoup de châteaux en pays angevin, Brissac fut à l’origine l’un de ces énormes quadrilatères de pierre comme aimait à en construire le Faucon noir, le redoutable comte d’Anjou. Évidemment, il ne reste rien en surface de cette première forteresse sinon peut-être quelques pierres qui eurent l’honneur de voir passer le roi Philippe Auguste au jour de l’Ascension de l’an 1200.

Il faut attendre le XVe siècle pour voir monter dans le ciel angevin les grosses tours de Brissac. À cette époque – en 1434 – le roi Charles VII, enfin maître chez lui et pratiquement débarrassé des Anglais, s’est donné pour ministre un homme qui représente à lui seul la chevalerie dans ce qu’elle eut de plus achevé, Pierre de Brézé.

Pour l’avoir rencontré plus d’une fois au détour de l’Histoire, j’avoue un faible pour cet homme exceptionnel, pour cette absolue réussite de la création. Rarement, en effet, on a vu autant de hautes qualités réunies en un seul homme. Pierre de Brézé fut un guerrier redoutable, un véritable preux, un ministre intelligent et avisé, un grand seigneur achevé. En outre, il portait le cœur le plus noble sous l’apparence la plus séduisante, la plus prestigieuse qui soit. C’était une assez bonne incarnation de Lancelot du Lac. Et pour que la ressemblance soit plus complète, ajoutons que Pierre de Brézé ne vécut que pour l’amour d’une femme mais que cette femme était reine d’Angleterre.

Elle est bien jeune la petite Marguerite d’Anjou, nièce de Charles VII, quand le 23 mai 1445 – il y a alors onze ans que Brézé a acheté la terre de Brissac – les cloches de Saint-Martin de Tours sonnent ses fiançailles avec le jeune roi d’Angleterre Henri VI ; mais sa beauté est déjà célèbre. Les mots sont impuissants d’ailleurs à traduire l’éblouissement de ceux qui eurent le privilège de contempler cette enfant de quinze ans qui joignait la grâce et l’élégance à un éclat exceptionnel.

Durant l’hiver qu’elle passe à la cour de son oncle de France en attendant que sonne l’heure du départ pour l’Angleterre, Marguerite moissonne les cœurs. À commencer par celui de Brézé. Celui-ci se fait son chevalier et porte ses couleurs dans les tournois. Au Conseil, il ne cesse de défendre ses intérêts de future souveraine.

De son côté, Marguerite s’est sentie émue par cette grande conquête mais, à cette époque, l’échange de sentiments ne dépassera pas le plan de l’amitié. Brézé possède un sens de l’honneur trop élevé pour donner libre cours à son amour. Or, Marguerite est fiancée ; autant dire mariée. Elle est reine, en outre, et toutes ces choses la lui rendent sacrée. Quand viendra l’heure du départ, Brézé gardera le silence mais ce silence cache une profonde douleur. On ne sait alors ce que pense la jeune reine qui, déjà, regarde un peu trop tendrement vers l’ambassadeur anglais Suffolk.

Pierre et Marguerite se reverront quinze ans plus tard quand, fugitive après la bataille de Towton qui fut la plus cruelle de la guerre des Deux-Roses – cette lutte fratricide qui portait un si doux nom ! – Marguerite vient demander aide et asile à la France.

Le royaume est celui de Louis XI mais Pierre de Brézé, qui a cinquante-quatre ans à présent, en est encore le ministre. Marguerite pour sa part a changé : elle a trente-deux ans et une bonne moitié de l’Angleterre la hait. Ce sont de ces choses qui marquent une femme. Pourtant, elle est toujours aussi belle et aussitôt Brézé retombe sous le charme. Cette fois, il voit son amour récompensé et reçoit même le précieux privilège d’accompagner sa reine en Angleterre quand, avec l’aide de Louis XI, elle reprend pied dans son royaume révolté.

Mais sa cause est maudite. En dépit de sa vaillance, Brézé réussit tout juste à sauver la reine et son fils tandis que le malheureux Henri VI, tombé dans la folie, reste aux mains de la faction d’York, les gens de la rose blanche. Puis il les ramène en France. Hélas, la reine déchue ne gardera plus longtemps auprès d’elle cet amour si fidèle. Quelques mois plus tard, en 1465, Pierre de Brézé est tué à la bataille de Montlhéry en défendant son roi. Brissac change de maître.

Le fils que Pierre de Brézé a eu de son mariage avec Jeanne du Bec-Crespin devient, au château, le héros d’une sombre histoire : marié à Charlotte de France, l’une des filles légitimées que Charles VII a eue d’Agnès Sorel, il la surprend un soir en trop tendre compagnie alors qu’il rentre inopinément au château. La réaction est immédiate : il la tue ainsi que son amant. Cette tragédie qui pèsera sur toute la jeunesse de leur fils, futur grand sénéchal de Normandie et époux de Diane de Poitiers, garde à Brissac des prolongements : on dit que certaines nuits l’ombre blanche de Charlotte erre sur les tours et au long des salles obscures.