Que croyez-vous qu’il arriva ? La dame de Carrouges désespérée, ravagée de remords alla s’enfermer, sa vie durant, dans la cellule d’un couvent.
Pendant la guerre de Cent Ans, Robert de Carrouges prend parti pour les Anglais, change d’avis, ce qui lui vaut la confiscation de ses terres par le roi anglais Henri VI – Jeanne d’Arc est déjà passée d’ailleurs et la Normandie n’en a plus pour longtemps à être britannique. Quoi qu’il en soit notre Carrouges participe à la défense du Mont-Saint-Michel et se fait tuer à la bataille de Verneuil.
Après lui, le fief tombe aux mains de femmes puis passe à la famille de Blosset et, enfin, à Philippe Le Veneur, seigneur de Tillières. Les Le Veneur conserveront Carrouges jusqu’en 1936.
Il faut bien dire que c’est une famille étonnante. Au point d’avoir été surnommés les Montmorency de la Normandie, bien qu’en fait ils eussent été originaires de Bretagne. Leur nom vient de ce que la charge de veneur royal était, chez eux, héréditaire. Les grandes forêts normandes devaient être pour eux terre d’élection. Et ils vont monter très haut.
Abbé du Bec puis du Mont-Saint-Michel, évêque de Lisieux puis Grand Aumônier de France, Jean Le Veneur couronnera Éléonore d’Autriche au moment de son mariage avec François Ier en 1526. Il est l’ami de Rabelais. Mieux encore : c’est lui qui, en 1532, présente Jacques Cartier, le Malouin, au roi. Et quand son protégé prend la mer pour la grande aventure du Canada, c’est en partie grâce à la générosité du cardinal Le Veneur.
À son petit-neveu, Gabriel, Machiavel dédie l’un de ses ouvrages. Il est ami de la reine Catherine de Médicis mais c’est le frère de ce Le Veneur-là qui hérite de Carrouges où il recevra la cour en 1570. C’est un homme de bien, un modéré et, durant les guerres de Religion, s’il combat comme l’exige son devoir, dès l’instant qu’il y a guerre, du moins, refuse-t-il de punir, comme on le prie de le faire, Avranches qu’il gouverne :
« Je les ai combattus assez vaillamment sur les champs de bataille pour avoir le droit de ne pas être désigné pour leur bourreau ! »
Ce héros avait épousé en 1550 Magdelaine de Pompadour dont il eut deux enfants : Jacques et Marie qui, en épousant Paul de Salm, devint l’aïeule d’un duc d’Orléans et de ce François de Lorraine qui prit le titre d’empereur d’Autriche en épousant Marie-Thérèse.
Jacques Le Veneur entreprit, au château, des travaux considérables, reprenant l’œuvre du grand cardinal Le Veneur qui, lui, fit construire le pavillon d’entrée. Le château, après lui, atteignit à peu près l’aspect qu’il a aujourd’hui et que décrit La Varende :
« Carrouges se déploie et monte de ses fossés asséchés qu’entourent des balustrades. Maison énorme et compliquée où tous les siècles ont contribué – depuis le XIIIe – en brique et pierre. Le site est austère. Il devait être tout différent au temps où, vers le sud, s’étendait un vaste étang. »
La famille se déployait en même, temps que le château et l’on ne peut compter ici les alliances illustres, les grands noms qui, au cours des années, s’allièrent à la maison Le Veneur. On trouve Rohan-Chabot, Bassompierre – elle se nommait Catherine et était sœur du fameux maréchal compagnon d’Henri IV – d’Harcourt, du Gué de Bagnols, Louvois, d’Esparbès de Lussan et d’autres encore. Jamais les Le Veneur ne se mésallièrent et de décade en décade on en vient enfin à celui qui fut peut-être le plus curieux personnage de la famille : Alexis-Paul, dont la vie, étalée de 1746 à 1833, couvre près d’un siècle.
Entré jeune dans la carrière des armes, il se distingue au siège de Gibraltar puis se voit nommer député de la noblesse aux États généraux. Mais, comme beaucoup de jeunes officiers, Alexis est tourné vers les idées libérales nées de la guerre de l’Indépendance américaine. Il propose même l’abandon des privilèges dès le 20 mars 1789 et, à Carrouges, donne l’exemple en payant les études des plus méritants de ses vassaux ou en offrant des dots. C’est ainsi qu’on le voit payer la pension d’une religieuse, Marie-Françoise Goupil, dans un couvent de Paris. Marie-Françoise, qui épousera un jour Hébert, le farouche Père Duchesne, et finira comme lui sur l’échafaud.
Même après la mort du roi, Le Veneur reste fidèle à la République. Il a pour aide de camp le fils d’un de ses gardes-chasse sur son domaine de Tillières : Lazare Hoche. Et c’est Hoche qui en 1793, quand Le Veneur sera tout de même arrêté, comme Custine, comme Beauharnais, réussira à le sauver.
Sous l’Empire il est député, et Napoléon lui donne le titre de vicomte Le Veneur. Son nom est gravé sous la voûte de l’Arc de Triomphe de Paris. Mais c’est à Carrouges qu’il meurt le 26 mai 1833. Il avait épousé Charlotte-Henriette de Verdelin qui, durant la Terreur, se montra l’épouse la plus dévouée et la plus aimante qui soit. Elle osa paraître à la barre de la Convention et ne recula pas devant d’humiliantes visites à Robespierre.
Tous deux laissaient de nombreux enfants qui ont gardé Carrouges jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle. Mais le château était trop lourd financièrement. Il fallut bien finir par accepter de le vendre à l’État.
HORAIRES D’OUVERTURE
Du 1er avril au 15 juin et du 1er au 30 septembre 10 h-12 h et 14 h-18 h
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Castries
La vraie « duchesse de Langeais »
… une jeune femme fut passagèrement le type le plus complet de la nature à la fois supérieure et faible, grande et petite de sa caste…
Érigé sur une butte où se presse le village, entouré de jardins qui pourraient être italiens mais où, cependant, Le Nôtre mit la main, cerné d’eaux vives qui doivent tout au gigantesque aqueduc de sept kilomètres que Riquet construisit voici trois siècles, Castries attire et renvoie le soleil sur un paysage qui aurait pu tenter Hubert Robert… La gloire l’auréole, ce château où se succédèrent des hommes de valeur, dont certains furent grands et comptent parmi les plus authentiques serviteurs de la France.
La généalogie de la famille de La Croix de Castries – prononcez castre1 – s’établit sur pièces depuis le XVe siècle et jamais aucun de ses fils ne manqua à l’honneur ni à la noble maison qui les symbolise, et pourtant…
Et pourtant, c’est une femme que nous allons évoquer d’abord et, qui plus est, une femme qui faillit au mariage, tant est puissante l’attraction qu’exerce l’amour sur la plume de l’écrivain. À plus forte raison quand cet amour a fait vibrer le cœur d’un géant des lettres. L’inspiration romanesque et la morale ne font pas toujours bon ménage mais qu’importe, après tout, s’il en sort un chef-d’œuvre ?