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En 1816, Eugène-Hercule de Castries, qui sera aide de camp de Davout et général, qui est marquis mais sera duc, épouse avec le faste qui convient Henriette de Maillé, fille du duc de Maillé, dotée d’une grande beauté et surtout d’une grâce souveraine. Philarète Chasle a tracé d’elle un portrait curieux : « La figure longue et chevaleresque, le profil plus romain que grec, les cheveux rouges sur un front très élevé et très blanc, elle effaçait littéralement l’éclat des bougies… » Quoi qu’il en soit, la marquise de Castries est l’une des reines de Paris et se plaît à la société des écrivains et des artistes. Ce qui n’est aucunement le cas de son époux.

En 1819, le couple va se séparer sans jamais, pourtant, sacrifier les apparences. Mme de Castries vit une passion qui sera celle de sa vie avec le prince Victor de Metternich, fils du chancelier d’Autriche, passion partagée qui coûtera à la jeune femme sa réputation, ce qu’elle ignore superbement, et s’achève en 1829 par la mort du prince. Dès lors la marquise mène sa vie comme elle l’entend dans son magnifique hôtel de la rue de Grenelle, où elle reçoit les esprits les plus brillants de la capitale.

Cependant, l’un d’eux manque à sa collection. C’est ainsi qu’en juillet 1831 Honoré de Balzac, qui séjourne alors au petit château de Saché, en Touraine, reçoit d’elle une lettre signée d’un pseudonyme anglais. Sa correspondante inconnue lui dit apprécier fort son œuvre, tout en formulant quelques réserves sur la moralité de certains personnages. Piqué au jeu, Balzac répond et reçoit en retour une invitation, signée cette fois du nom véritable de la dame. Et le voilà rue de Grenelle, véritablement ébloui « par les frontons altiers de cette demeure patricienne ». Plus ébloui encore par la maîtresse de maison qui, à l’instar de Mme Récamier, aime à recevoir étendue sur une chaise longue. Disons-le tout de suite, ce n’est pas chez elle une attitude : Mme de Castries a été victime d’une chute de cheval qui lui a endommagé la colonne vertébrale sans pourtant rien lui ôter de sa grâce.

Autour de la jeune femme, Balzac rencontre la fine fleur du monde légitimiste : le duc de Maillé, père d’Henriette, le duc de Fitz-James son oncle, et se retrouve en train de professer, sans même s’en rendre compte, les opinions de ceux qu’il fréquente. Car, venu un soir, il va revenir tous les soirs. Sans d’ailleurs obtenir autre chose, pour apaiser sa flamme, qu’une blanche main à baiser…

Car il est véritablement subjugué et, dans l’été 1832, lorsque Mme de Castries part pour Aix-les-Bains, il n’a de cesse d’aller la rejoindre. « La transformation du romancier était grande, écrit Émile Henriot. Il était devenu fort dandy, préoccupé de sa personne et délicat sur les habits. Il avait acquis un cabriolet, s’était luxueusement installé rue Cassini, un appartement orné avec goût de meubles, de tapis chinois, d’étoffes rares, d’objets d’art et de bibelots. »

Le séjour à Aix est un moment d’enchantement. Balzac est follement amoureux, ce qui ne l’empêche pas de travailler comme un forcené de cinq heures du matin à cinq heures du soir, nourri d’un œuf et de café noir. Mais les soirées sont toutes pour l’enchanteresse avec laquelle il fait, sur le lac, de délicieuses promenades. Il semblerait même qu’au cours de l’une de ces promenades Mme de Castries se soit laissé prendre un baiser.

Elle a tort car Balzac va vouloir davantage et, à son amie Zulma Carraud, il écrit : « Je suis venu chercher peu et beaucoup. Beaucoup parce que je vois une personne gracieuse, aimable ; peu parce que je n’en serai jamais aimé. C’est le type le plus fin de la femme… mais toutes ces jolies manières ne sont-elles pas prises aux dépens de l’âme ? »

Sur ces entrefaites, Mme de Castries décide de partir pour l’Italie en compagnie du duc de Fitz-James, son oncle. Elle invite Balzac à la suivre, et le romancier, toujours à court d’argent, écrit Le Médecin de campagne en trois jours et trois nuits pour s’en procurer. Et les voilà partis !

Hélas, pour Balzac, le voyage s’achève à Genève. Que s’est-il passé ? En vérité, on n’en sait rien mais, plus tard, le romancier dira à Mme Hanska, avec laquelle il correspond déjà, qu’il a quitté Genève « désolé, maudissant tout, abhorrant la femme ».

Réduit aux conjectures et au roman qui va naître de cette déconvenue, on peut supposer qu’après avoir beaucoup promis, la belle marquise s’est reprise et définitivement refusée. Une page inédite et superbe retrouvée par Émile Henriot apporte de l’eau à ce moulin :

« Là est toute mon histoire horrible ! C’est celle d’un homme qui a joui pendant quelques mois de la nature entière, de tous les effets du soleil dans un riche pays et qui perd la vue… Quelques mois de délices et puis rien ! Pourquoi m’avoir donné tant de fêtes ? Pourquoi m’a-t-elle nommé pendant quelques jours son bien-aimé si elle devait me ravir ce titre, le seul dont le cœur se soucie… Elle a tout confirmé par un baiser, cette suave et sainte promesse. Un baiser ne s’essuie jamais. Quand a-t-elle menti ? Comment s’est passée cette affreuse catastrophe ? De la manière la plus simple. La veille j’étais tout pour elle, le lendemain je n’étais plus rien… »

Deux ans plus tard, Balzac exhalait son besoin de vengeance en faisant paraître La Duchesse de Langeais qui est, comme l’on sait, l’histoire d’une coquette qui se refuse à un homme après l’avoir enflammé… Naturellement, tout Paris reconnut sous les traits de l’héroïne celle qui était devenue duchesse de Castries. Mais celle-ci avait l’âme plus haute que son amoureux déconfit car elle ne cessa jamais de lui écrire et d’entretenir avec lui des relations amicales. Alfred de Musset et Sainte-Beuve se virent aussi sacrifiés sur l’invisible autel que Mme de Castries avait élevé dans son cœur au prince Victor de Metternich, son seul et véritable amour…

Mais laissons fuir l’ombre légère de la duchesse pour retrouver nos grands messieurs de Castries. Le fief fut acquis en 1495 par Guillaume de La Croix qui, en cette occasion, prit le titre de baron de Castries. Il était alors gouverneur de Montpellier. Son fils Jacques fit élever le château sur les ruines du vieux bâtiment médiéval mais, dès le siècle suivant, celui-ci subissait de sérieux dommages par la faute du duc de Rohan, chef des réformés. Dégâts vite réparés : René Gaspard, qui s’est distingué durant la guerre de Trente Ans, obtient l’érection de sa baronnie en marquisat. Il remet alors en état son château, fait construire le grand escalier, dessiner le parc par Le Nôtre et demande à Riquet, à qui il a fait obtenir la commande du canal du Midi, d’élever l’aqueduc dont dépend la verdure de ses jardins.

Son fils, Joseph-François, épouse la nièce de Mme de Montespan, étonnante jeune femme dont Saint-Simon a tracé le portrait vivant :

« Madame de Castries était un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau : ni derrière, ni gorge, ni menton ; fort laide, l’air toujours en peine et étonné ; avec cela une physionomie qui éclatait d’esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes et jamais il ne paraissait qu’elle sût mieux que parler français ; mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes avec ce tour unique qui n’est propre qu’aux Mortemart. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans le vouloir être et assenant aussi les ridicules à ne jamais les oublier… Avec sa gloire, elle se croyait bien mariée par l’amitié qu’elle eut pour son mari ; elle l’étendit à tout ce qui lui appartenait et elle était aussi glorieuse pour lui que pour elle. Elle en recevait la réciproque et toutes sortes d’égards et de respects. » Quel portrait, quand on connaît la plume acerbe du mémorialiste !