Le comté a d’abord traité sa femme-enfant avec indulgence mais peu à peu, à mesure que passaient les années, l’inquiétude puis l’angoisse remplacèrent le sourire car, en dépit de la naissance de cinq enfants – dont elle ne s’occupe guère –, Églé ne change pas. Elle ne s’intéresse qu’à elle-même, à ses toilettes, à ses bijoux et à l’effet qu’elle produit sur les autres hommes. D’ailleurs des bruits d’adultère de plus en plus fréquents se sont élevés autour d’elle au point que Persigny a songé au divorce. Puis il y a renoncé. Pour ses enfants d’abord puis parce qu’il ne peut guérir de son amour.
Le scandale véritable éclate dans l’été 1862, au château de Chamarande qui est la résidence estivale du couple. Une grande fête, honorée de la présence de l’empereur et de l’impératrice, vient d’avoir lieu. Les chambres du château sont pleines. Il y a là lord Malmesbury, la comtesse Walewska, le ministre Pietri et beaucoup d’autres. Mais on a pu remarquer la mine maussade affichée par la comtesse Églé tout au long de la réception. Et chacun d’ailleurs en découvre sans peine la raison : le duc de Gramont-Caderousse, dont on chuchote qu’il est l’amant en titre de la dame, ne s’est pas montré. Le couple impérial est à peine parti qu’Églé monte s’enfermer dans ses appartements.
Pas pour longtemps : une heure plus tard, elle quitte le château dans sa voiture sans prévenir personne. Intrigué, Persigny interroge d’abord son secrétaire, Henri de Laire, puis la femme de chambre de la comtesse. Celle-ci finit par avouer que sa maîtresse, ayant appris dans la journée que Gramont-Caderousse la trompait avec la Mogador, une danseuse de bal public, vient de partir pour ledit bal : le Château des Fleurs, situé rue des Vignes, aux Champs-Élysées.
Pensant que dans un tel endroit un scandale peut éclater, Persigny à son tour fait atteler et, en compagnie de Laire, se rend lui aussi au Château des Fleurs. Trop tard ! Au beau milieu de la salle, Églé est en train de se disputer avec la Mogador comme le feraient deux harangères. Gramont-Caderousse s’efforce de les séparer avant le pugilat. C’est Henri de Laire qui, pour épargner l’honneur et la sensibilité de Persigny, plongera dans la fournaise pour en sortir Églé, sans trop de douceur.
Hélas, quand elle retrouve son mari c’est pour l’accabler de sa cruauté : elle a vingt-cinq ans de moins que lui et le considère comme un vieillard, malade de surcroît, et qui ne présente plus pour elle le moindre intérêt.
Le lendemain, le drame éclate, énorme en dépit des précautions prises. L’empereur s’en mêle, car il aime bien son vieux compagnon. Sur son ordre, Gramont-Caderousse devra refuser de se battre avec Persigny mais celui-ci doit rendre son portefeuille de ministre de l’Intérieur. Pour le consoler, Napoléon III le fait duc en espérant que, devenue duchesse, l’insupportable Églé se tiendra enfin tranquille.
Certes, le titre l’enchante un court instant mais, son mari n’étant plus ministre, on ne quitte guère Chamarande où elle s’ennuie ferme. Tout à coup, elle décide de faire un séjour en Angleterre. Elle a fini en effet par s’enticher de ce pays qu’elle déclare le plus agréable du monde. Elle en copie les modes, les habitudes et truffe son langage de tant de locutions anglaises, inventant ainsi le franglais sans s’en douter, que les Britanniques amusés l’ont surnommée lady Persington.
Deux mois après l’aventure du Château des Fleurs, Églé s’embarque pour Douvres, sans même laisser d’adresse, pensant qu’elle donnera de ses nouvelles quand il lui plaira.
Habitué, Persigny se résigne mais il n’en va pas de même de sa belle-mère. La princesse de La Moskowa, mère d’Églé, passait pour avoir l’esprit légèrement dérangé ; en fait elle était beaucoup moins folle que sa fille. De son père, le banquier Laffitte, elle tenait du bon sens. Elle le prouva en débarquant un beau matin à Chamarande où elle trouva son gendre entouré à la fois de ses enfants et de lettres anonymes qu’elle lut après avoir pris soin de mettre ses gants.
Le conseil qu’elle donne est énergique : il faut que Persigny fasse rentrer Églé au plus tôt en la menaçant du divorce. Ce qui fut fait : huit jours plus tard, la nouvelle duchesse réintégrait Chamarande mais pour s’y montrer plus odieuse que jamais, s’il était possible.
En 1869, Églé réussit à se faire inclure dans la suite de l’impératrice qui s’en allait en Égypte inaugurer le canal de Suez mais, si Eugénie partit avec elle, ce fut sans elle qu’elle en revint : Mme de Persigny s’était trouvé un nouvel amant…
Cela lui évita les horreurs de la guerre de 1870, et Persigny, lui, suivit en Angleterre l’empereur et l’impératrice déchus. Ses enfants l’accompagnaient. Hélas ! le climat anglais lui fut meurtrier. Quand il revint à Chamarande, en août 1871, il se savait perdu. La mort approchait et il voulut revoir celle qu’il avait tant aimée. Il lui écrivit mais elle ne répondit même pas.
Le mal cependant allait s’aggravant. À la suite d’une première attaque d’apoplexie, le chirurgien Ricord, qui soignait Persigny, lui conseilla le Midi. Le duc alors gagna Nice toujours escorté de ses enfants et du fidèle Henri de Laire qui ne l’avait jamais quitté. Malheureusement le climat chaud n’arrangea rien.
Alors Persigny attendit, attendit longtemps celle qui semblait avoir tout oublié. Ce fut un télégramme comminatoire d’Henri de Laire qui la persuada enfin de bouger. Non par tendresse mais par intérêt : ne fallait-il pas qu’elle veille à ses biens puisque son époux était mourant ? Elle traversa donc la Méditerranée mais arriva trop tard :
« Il est écrit, ma mère, que vous arriverez toujours trop tard », lui dit amèrement sa fille Marguerite.
Vexée et peu désireuse de contempler longtemps des visages en larmes, Mme de Persigny prit le premier bateau pour Alexandrie.
HORAIRES D’OUVERTURE
En janvier, novembre et décembre 9 h-17 h En février, mars et octobre 9 h-18 h
En avril et mai 9 h-19 h De juin à septembre 9 h-20 h
Ouverture du château et des fabriques uniquement pendant les périodes d’exposition.
Le parc est labellisé « Jardin remarquable ».
http://www.essonne.fr/culture-sports-loisirs/lieux-culturels/domaine-departemental-de-chamarande/
Chambord
L’étrange mort d’un soldat
La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont toujours rêvée.
À château fantastique, histoire fantastique. À ce rêve de pierre blanche ne pouvait correspondre que la démesure. Son bâtisseur ? Un jeune roi haut de deux mètres. Son but ? Le sourire d’une femme. François Ier, roi chasseur, roi galant et fastueux mécène, qui d’un diamant désabusé gravera un jour sur l’une de ses vitres : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie », l’a construit pour plaire à Mme de Châteaubriant, sans doute, mais aussi pour que les siècles à venir eussent quelque idée de la splendeur de sa cour et des extrêmes beautés auxquelles il était destiné à servir de cadre. Les femmes aimèrent toujours Chambord qui convenait si bien à leur éclat mais qui, pourtant, jamais n’appartint à une femme…
À l’aurore de leur commune passion, Louis XIV y mène la superbe Montespan et, pour elle, le 14 octobre 1670, Molière donne la première du Bourgeois gentilhomme. Tant que le fabuleux Versailles n’éclatera pas sous le ciel d’Île-de-France, le grand roi, à huit reprises, y donnera chasses et festins. Après quoi le château s’endort.
Il ouvre un œil quand le roi Louis XV y installe ses beaux-parents, le roi de Pologne Stanislas Leczinski et sa femme la reine Catherine. Mais l’humidité forestière ne vaut rien à leurs rhumatismes et moins encore les émanations des étangs voisins. Aussi la petite cour de l’ex-souverain se hâte-t-elle d’aller se mettre au sec. Chambord ne la regrettera pas : elle était trop modeste pour lui.