La Trémoille cherche aide et protection. Il en trouve sans peine car, auprès du roi, une haute et grande dame est là, qui veille de son mieux sur le malheureux royaume et lutte de toutes ses forces contre la série des favoris. Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, comtesse de Provence et reine des Quatre Royaumes, est aussi la belle-mère de Charles VII. C’est elle qui l’a recueilli, élevé quand sa mère, l’odieuse Isabeau, le proclamait bâtard…
Yolande veut la perte de Giac et le retour du connétable de Richemont, la meilleure épée de France qu’un caprice du roi a écarté. À eux trois, ils vont comploter. La reine obtient, au début de février 1427, que la cour se rende à Issoudun, tout près des terres du connétable. Dans la nuit du 7, Richemont, grâce à des intelligences intérieures, parvient à entrer dans le donjon et va, à deux pas de la chambre du roi, sortir Giac de son lit et l’enlever des bras de sa femme. Puis, comme il a fait naguère de Jeanne, on le jette ligoté sur un cheval pour le conduire à Dun-sur-Auron, chez le connétable. Là, des juges et des bourreaux l’attendent. Sous la torture, le misérable avoue tous ses crimes, sauf un : la mort de Jeanne. Mais quand la sentence de mort tombe sur lui, Giac s’effondre et supplie qu’avant de le tuer on lui accorde la grâce de lui trancher le poing droit, celui qui appartient au diable dont, à présent, il a une peur bleue.
Et cette fois, il dit tout. Un moment plus tard, le bourreau lui tranche la main puis, cousu dans un sac de cuir, Pierre de Giac est jeté à l’Auron. Sur le sac, un écriteau : « Laissez passer la justice du roi. » Charles VII, en effet, ne tentera rien pour venger la mort d’un favori dont il était peut-être las.
Après sa mort, Louis de Giac, l’un des fils de Jeanne de Naillac, reprit Châteaugay. Il n’eut pas d’enfants et ce fut sa sœur Louise qui fit entrer le château dans la famille de La Queilhe, titrée par la suite du marquisat de Châteaugay et qui devait s’illustrer jusqu’à la Révolution. Le château subit, naturellement, quelques transformations mais, presque en ruine à présent, il appartient à plusieurs propriétaires qui exploitent les vignes d’alentour.
La découverte du site est libre à l’extérieur et dans la cour.
http://www.chateaugay.fr/index.php?page=contenu&id=60
Chinon
Des rois, un ange et quelques démons
De la part de Dieu, je te dis que tu es vrai héritier de France et fils de roi.
Les eaux changeantes de la Vienne reflètent Chinon, ses blancheurs doucement patinées, ses maisons coiffées d’ardoises bleues, Chinon qui porte, avec une fierté de reine en exil, la couronne prestigieuse de sa forteresse à demi ruinée. Mais ruinée avec tant de majesté romantique, tant de splendeur, que l’on regrette à peine que le château ne soit plus ce qu’il était en face de ces nobles victimes du poids des siècles. Reste le poids de la gloire d’un étrange destin.
Clovis, déjà, édifia sur le coteau une première place forte, peut-être la plus puissante du royaume en gestation. Y furent ensuite les comtes de Blois, mais ce sont les comtes d’Anjou qui, en 1044, commencent à édifier les premiers murs de pierre. Ce sont des bâtisseurs, ces comtes d’Anjou. Sous leur règne, Touraine et Anjou se hérissent de donjons mais, à partir de 1154, quand Henri Plantagenêt, le dernier, passe la Manche, c’est l’Angleterre qu’ils vont aller bâtir.
Devenu le roi Henri II, le Plantagenêt construit la plus grande partie de Chinon qui sera pour lui résidence de prédilection mais le sera sans doute moins pour Aliénor d’Aquitaine, son épouse révoltée.
« Dis-moi, Aigle à deux têtes, dis-moi, où étais-tu quand tes aiglons, volant de leur nid osèrent lever leurs griffes contre le roi de l’Aquilon ? C’est toi, nous l’avons appris, qui les as poussés contre leur père. C’est pourquoi tu as été arrachée à ta propre terre et conduite en terre étrangère », adjure le poète.
Depuis 1173, les fils d’Henri II, soutenus par leur mère, de son duché d’Aquitaine, sont en guerre ouverte contre leur père. Le plus acharné est Richard, au cœur de lion, qui reproche au roi d’avoir séduit et souillé sa fiancée, Alix de France. La victoire peut paraître proche mais, un soir de l’hiver, au nord de Poitiers, une troupe aux ordres d’Henri rencontre quelques chevaliers poitevins qu’à tout hasard elle fait prisonniers. Parmi ces chevaliers, habillée en homme, il y a la reine rebelle. Il y a Aliénor. Et c’est à Chinon qu’on la ramène captive et où elle demeurera six mois sous étroite surveillance en attendant qu’on l’embarque pour l’Angleterre et la tour de Salisbury. Elle y restera prisonnière seize interminables années. La longue détention s’achèvera seulement à la mort du roi. Henri, le 6 juillet 1189, meurt en effet, à Chinon, seul, abandonné des siens et désespéré d’avoir vu son fils Richard allié à Philippe Auguste, le roi de France.
Une légende prétend que Richard lui-même, blessé mortellement sous les murs du château de Châlus, le 6 avril 1199, exigea de revenir mourir à Chinon. Quoi qu’il en soit, c’est à l’abbaye voisine de Fontevrault qu’il repose, comme Henri II, comme Aliénor. Peu d’années après, en 1205, Chinon, comme la Touraine, fait retour à la couronne de France.
Cent ans plus tard, un drame s’y déroule, en 1308 : le procès des Templiers. Les murs du donjon du Coudray portent encore d’étranges inscriptions qui seraient dues aux Templiers incarcérés et, singulièrement, au dernier grand maître, Jacques de Molay.
L’an 1428, Charles VII dont le royaume, envahi par l’Anglais, se rétrécit de jour en jour comme une peau de chagrin, réunit à Chinon les États généraux. Cela ne l’empêche pas de mener joyeuse vie. Les énormes murailles du Plantagenêt retentissent des bruits du bal, des pavanes, des caroles et des sarabandes. Ce qui attire au jeune roi la remarque acerbe de La Hire, l’un de ses meilleurs capitaines :
« Pardieu, Sire, je n’ai jamais ouï qu’un roi eût perdu si gaiement son royaume. »
Mais qu’importe à Charles, après tout ? Il n’est même pas sûr d’être véritablement le fils de son père, le pauvre Charles VI le Fou, à cause des incessants débordements d’Isabeau de Bavière, sa déplorable mère.
Bientôt, pourtant, il en sera certain.
Le 8 mars 1429, une jeune fille vêtue d’un costume de garçon « noir et rude » monte au château et pénètre dans la grande salle où un homme, vêtu d’habits somptueux, la regarde entrer, assis sur le trône qu’abrite un dais fleurdelisé. C’est une belle fille solide mais le clair visage doit le plus pur de sa lumière à un regard plus bleu qu’un ciel d’été. Elle marche vers le trône, en regarde l’occupant puis, soudain, se détourne. Ce n’est pas là le roi, elle en est sûre. Et, de fait, elle n’a aucune peine à trouver, perdu dans la foule des courtisans, celui qu’elle est venue voir, des marches de Lorraine, poussée par une force qui n’est pas de ce monde.
Alors, devant cet être chétif et inquiet, elle plie le genou.
« Gentil Dauphin1, j’ai nom Jeanne la Pucelle. Et vous mande le Roi des Cieux par moi que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims, et serez le lieutenant du Roi des Cieux qui est le roi de la France ! »
Puis, elle l’entraîne à part et lui parle bas, un moment. On n’entendra que la dernière phrase :
« De la part de Dieu je te dis que tu es vrai héritier de France et fils de roi ! »
Elle a gagné. La prodigieuse aventure peut commencer. Bientôt, Jeanne entrera dans Orléans qui, à bout de souffle, est bien près de livrer le Val de Loire à John Talbot. Bientôt la France renaîtra.