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« Ces jours-là, raconte Olga de Ségur, les Nouettes devenaient une succursale de la Trappe pour le silence, notre bien-aimée malade ne pouvant supporter aucun bruit. »

Mais, de migraines en réceptions, les enfants grandissent. L’aîné, Gaston, entre dans les ordres et part pour Rome où, à l’ambassade du Vatican, il se lie d’amitié avec le baron Paul de Malaret que, naturellement, il ramènera aux Nouettes. Et, en 1848, Paul épouse Nathalie de Ségur, future dame d’honneur de l’impératrice Eugénie – elle figure sur le célèbre tableau de Winterhalter – et future mère des petites filles modèles, Camille et Madeleine de Malaret.

À cinquante-sept ans, Mme de Ségur, sept fois grand-mère, se déclare infiniment heureuse. Elle adore ses petits-enfants : trois Malaret, un Pitray, une Fresneau et deux Ségur. Et elle en est adorée car elle sait leur raconter de merveilleuses histoires quand ils viennent se rassembler autour de sa chaise longue. Mais si le cœur de Bonne-Maman est vaste, il ne peut se défendre d’une toute petite préférence pour Camille et Madeleine.

Or, en 1855, c’est la catastrophe : le baron de Malaret est nommé secrétaire à l’ambassade de Londres. Il doit partir et emmener sa famille. Autant dire au bout du monde ! Pour leur part, les petites sont si désolées que leur grand-mère leur fait une promesse : elle leur racontera ses histoires par écrit.

C’est ainsi que, peu à peu, s’accumulent les récits qui deviendront un jour Les Nouveaux Contes de fées et que les petites Malaret rapporteront aux Nouettes dans leurs bagages. Or, à cette époque, le château reçoit l’écrivain Louis Veuillot qu’une chaude amitié lie à la comtesse.

Il dirige alors le journal L’Univers et a entendu parler, par Mme de Malaret, du manuscrit que composent à présent les histoires reçues par ses filles. Il demande à le lire :

« Comment, dit la comtesse, vous tenez à connaître mes compositions nigaudes ? »

Bien sûr qu’il y tient. Après avoir passé une nuit entière à sa lecture, il repart le lendemain pour Paris avec le manuscrit sous le bras. Cela représente une petite victoire car il lui a fallu vaincre les réticences de son amie qui ne se voit guère en femme de lettres. Pour cela, Veuillot lui a fait entendre qu’il serait criminel de priver des centaines de petits enfants de ses charmantes histoires. Et, en février 1857, Les Nouveaux Contes de fées paraissent avec un tel succès que les éditions Hachette proposent aussitôt à l’auteur un contrat pour toute sa production.

Il n’est plus possible de reculer et la comtesse de Ségur s’y met pour de bon. Coup sur coup paraissent Les Malheurs de Sophie, passablement autobiographiques, Les Petites Filles modèles, Les Vacances, Le Général Dourakine, Les Mémoires d’un âne à propos desquels Louis Veuillot écrit à son amie : « Je suis jusqu’au cou dans Les Mémoires d’un âne. Je crois souvent lire ma propre histoire. J’y trouve bien des choses que j’ai pensées et un certain mépris pour l’espèce humaine qui me revient fort en ce moment. »

La comtesse est, en effet, devenue un véritable écrivain. Chacun de ses petits romans constitue une sorte d’étude sur une société et un monde rural qu’elle connaît bien et qu’elle aime mais, sous sa plume, certains portraits n’en sont pas moins impitoyables.

Pour surveiller les éditions de ses livres, elle reprend l’habitude de passer les hivers à Paris, dans son hôtel de la rue de Varenne. Mais, après la mort, en 1853, d’un époux un peu volage sans doute mais toujours tendrement aimé, elle délaisse l’hôtel pour un appartement plus petit, situé au 91 rue de Grenelle et qu’elle appelle en riant sa garçonnière.

En douze ans, la comtesse de Ségur écrit vingt-quatre livres mais elle travaille trop : en 1869, elle souffre d’une congestion cérébrale qui la mène aux portes du tombeau. Cependant, elle sait toujours se battre contre la maladie et résiste encore cinq longues années. C’est seulement le 9 février 1874 qu’elle meurt à Paris après deux mois d’une cruelle agonie, veillée par son fils, Mgr de Ségur, devenu aveugle mais approchant d’autant plus la sainteté.

C’est auprès de ce fils qu’elle repose, non en Normandie mais en Bretagne, dans le petit cimetière de Pluneret en Morbihan. Sa tombe est une simple dalle de granit qui porte quatre mots : « Dieu et mes enfants. »

Quant au château des Nouettes qui demeura encore de longues années dans la famille, il a cessé d’être une demeure particulière mais n’en reste pas moins fidèle au but profond que lui avait assigné la comtesse de Ségur : le bien-être des enfants. C’est à présent une maison de santé, un préventorium pour les petits, qui n’est pas ouvert à la visite.

Offémont

Les poisons de la Brinvilliers

Ainsi que les vertus, les crimes enchaînés

Sont toujours, ou souvent, l’un par l’autre traînés.

ROTROU

Vers le temps de Pentecôte de l’année 1668, le conseiller d’État Dreux d’Aubray, maître des requêtes et lieutenant civil de la ville, prévôté et vicomté de Paris, décide de quitter son hôtel parisien de la rue du Bouloi pour sa terre d’Offémont dans le Noyonnais. Il aime ce beau domaine et surtout le château qu’il a acheté quelque vingt ans plus tôt, séduit par la beauté des bâtiments et refusant de tenir compte de la réputation fâcheuse qui s’y attache. Offémont, en effet, a été le domaine d’élection de cet Henri de Montmorency qui fut gouverneur du Languedoc et décapité à Toulouse par ordre du cardinal de Richelieu pour avoir trahi la cause de son roi.

Le lieutenant civil ne croit pas aux fantômes et il est secrètement flatté, lui dont la noblesse est de robe et plutôt récente, de posséder un château dont les anciens propriétaires appartenaient à la plus haute noblesse du royaume. Mais, ce printemps-là, il s’y rend avec plus d’empressement encore que d’habitude. Il compte en effet sur le bon air des grands arbres pour rétablir une santé qui, naguère encore sans problèmes, se détériore étrangement depuis le dernier hiver. M. d’Aubray a pris froid, sans doute, mais ce petit rhume, soigné cependant par les moyens habituels, s’est soudainement compliqué de brûlures et de nausées qui se sont poursuivies alors même que le rhume n’était plus qu’un souvenir.

Naturellement, M. d’Aubray emmène avec lui la majeure partie de sa maison et singulièrement certain valet nommé Gascon qui lui a été chaleureusement recommandé par sa fille aînée Marie-Madeleine, marquise de Brinvilliers, et qui en effet s’est révélé le meilleur et le plus dévoué des serviteurs. Peut-il en être autrement d’ailleurs puisque l’homme vient d’une fille dont le conseiller est fier et qu’il aime tout particulièrement ? Une fille pleine de tendresse et d’attentions. N’a-t-elle pas promis de venir prochainement rejoindre son père à Offémont afin de veiller elle-même sur cette santé qui l’inquiète ? Et c’est avec un vif sentiment de joie et de soulagement que M. d’Aubray s’en va à Offémont.

Comment pourrait-il deviner que son adorable fille le fait empoisonner doucement, petite dose par petite dose, et que le dévoué serviteur a été tout justement introduit par elle dans la maison paternelle pour y faire la vilaine besogne ? Elle est si douce, si expansive, si charmante, si frêle et si jolie cette Marie-Madeleine qui, à trente-cinq ans, n’en paraît guère plus de vingt et dont les grands yeux bleus semblent refléter toute l’innocence, toute la luminosité d’un ciel d’été ! En fait cette enveloppe exquise dissimule un féroce appétit de jouissance, un orgueil intransigeant et une sensibilité à fleur de peau qui réagit impulsivement aux orages de passions profondément dissimulées. L’une de ces passions est la sensualité. L’autre est l’argent.