Son frère Artus qui, à son tour, gagne Port-Royal, vend son duché de Roannez à son beau-frère pour la somme de 400 000 livres. La Feuillade est désormais le maître d’Oiron.
Lui aussi apporte sa touche au château. Il érige une chapelle qu’il relie au moyen d’une galerie à arcades. Il redessine les jardins. Auprès de lui Charlotte s’ennuie. L’homme est trop loin d’elle. C’est un militaire, un homme de guerre dans toute l’acception du terme avec, en plus, un goût prononcé pour les bâtiments glorieux. Paris lui doit tout de même quelque chose. En 1681, le duc de La Feuillade – donnons-lui son nom : François d’Aubusson, duc de La Feuillade en succession du duché de Roannez, colonel des gardes-françaises, maréchal de France et vice-roi de Sicile (Charlotte n’a pas épousé n’importe qui !) – voulant laisser à la postérité un monument fastueux et représentatif de sa dévotion à son roi fit sculpter à ses frais une superbe statue de Louis XIV.
L’objet réalisé, il fallut trouver un endroit où l’installer et pour cela il fallait une belle place. Le Roi-Soleil ne se voyait pas à un coin de rue. Du coup, il achète au maréchal de La Ferté Senneterre son hôtel parisien plus quelques maisons voisines. Emportée par l’exemple, la Ville de Paris achète l’hôtel d’Émery. On rase le tout… et la place des Victoires prend sa forme qui sera définitive.
Mais au milieu de tout cela, Charlotte n’oublie ni Dieu ni son frère qui le sert dévotement sous les rigueurs de Port-Royal ni surtout le souvenir du seul homme qu’elle ait jamais aimé. Elle est si loin de la terre que l’on se demande comment elle a pu donner naissance à des enfants.
Son fils, le « plus solide malhonnête homme qui ait paru de longtemps », selon l’impitoyable Saint-Simon, revend le domaine à Mme de Montespan pour une somme rondelette dont Louis XIV paiera une partie. La favorite, alors, n’est plus la favorite. On est en 1691 et Louis XIV a épousé morganatiquement l’ancienne gouvernante de ses bâtards. La superbe Athénaïs, atteinte par un puissant réveil de sa foi d’enfant, s’est retirée pour consacrer en grande partie à Dieu le temps qu’il lui reste à vivre. Elle achète Oiron pour le duc d’Antin, le seul enfant qu’elle ait eu de Montespan, et c’est là qu’elle se retire le plus souvent, en alternance avec le couvent de la rue Saint-Jacques.
Retraite fastueuse : les appartements qu’elle installe, dorés et somptueux, espéreront longtemps la visite de Louis XIV dont le grand portrait règne sur toutes ces splendeurs. Le roi ne viendra jamais, bien entendu.
Retraite bienfaisante aussi car, auprès du château, se dresse une maison de vieillards entretenue par la marquise qui s’y rend tous les jours. Retraite quasi royale peut-être enfin pour cette Mortemart dont le nom est l’un des plus hauts de France. Elle y entretient une cour de femmes et de jeunes filles qui doivent veiller sur son sommeil. Car Mme de Montespan ne supporte ni la solitude ni l’obscurité. Elle dort entourée de ses femmes au milieu d’une forêt de chandelles que l’on ne doit pas laisser éteindre. De même, quand elle s’éveille, elle veut trouver ses gardiennes bavardant ou mangeant. Ses gardiennes ? Contre quoi ? La nuit ? Les cauchemars… ou le souvenir de certaines heures atroces vécues en compagnie de la Voisin ? Peut-être seulement le cri d’un enfant égorgé durant une messe noire…
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Pau
Les grands Béarnais
J’ai plus durement péché que Sodome
Et j’ai failli plus que Gomorrhe.
Ils sont deux. Deux hommes aux dimensions exceptionnelles qui ont marqué de leurs personnalités différentes et de leur art de vivre, encore plus dissemblable, la vieille forteresse féodale construite au fond des temps par la puissante famille de Moncade. Une forteresse dont il ne reste guère qu’une tour.
Le plus proche de nous se nommait Henri de Navarre avant de devenir le roi Henri IV de France. Mais près de trois siècles plus tôt le ciel de Béarn abritait un homme presque aussi grand que celui qui fut un si grand roi. Plus spectaculaire surtout.
Il se nommait Gaston, comte de Foix et d’une foule d’autres seigneuries. Il était beau, fastueux, superbe et son épaisse chevelure dorée le faisait comparer au soleil lui-même. Et, comme il avait assez d’orgueil pour accepter sans rire la comparaison, il en vint à ajouter lui-même le sobriquet à son nom. Il fut et signa : Gaston Phœbus.
Plus orgueilleux même que Louis XIV qui n’eut jamais, grâce à Dieu, l’idée saugrenue de signer Louis-Soleil, Gaston III de Foix, de Béarn et autres lieux avait de lui-même une très haute idée entretenue d’ailleurs par la véritable fascination qu’il exerça, sa vie durant, sur ses contemporains, hommes ou femmes. Surtout femmes car il ne connut guère de cruelles et on lui sait au moins deux bâtards.
Les débuts furent inquiétants. « En sa jeunesse, écrit le chroniqueur Michel de Bernis, il fut plein d’une mauvaise mollesse et très instable mais peu à peu, grâce aux admonestations de sa mère, Madame Aliénor (de Comminges), il se corrigea et commença à faire preuve de vertu et de noblesse. » En fait, c’était une sorte de jeune fauve, adonné dès la puberté à tous les démons de la luxure et de la violence. Pourtant, il avait reçu une formation intellectuelle exceptionnelle pour son époque. Il parlait avec une égale aisance la langue d’oc, le français et le latin. Il fut poète, composa des chansons et laissa au moins deux ouvrages : Phébus des déduiz de la chasse des bestes sauvaiges et des oyseaux de proye et le Livre des Oraisons où il a fait, sur le tard, sa propre autocritique, attribuant à la grâce divine sa transformation en un prince éclairé et sage… de temps en temps tout au moins.
Marié, à vingt ans, à Agnès de Navarre qui en avait quatorze – fille de Philippe d’Évreux, roi de Navarre, et de Jeanne de France –, le 4 août 1349 dans la chapelle du Temple à Paris, il n’accordera à sa jeune femme que trois mois de bonheur, les trois mois de lune de miel qu’ils passèrent ensemble au château de Conflans. Puis, la peste noire ravageant alors la France (la mère de la jeune femme venait d’en mourir), Gaston ramena Agnès en Béarn et l’installa au château de Moncade, en attendant que la dot lui soit payée rubis sur l’ongle.
Malheureusement pour la pauvre enfant, ladite dot ne devait jamais l’être intégralement. Ses parents étant morts à peu de distance, la Navarre trouva un nouveau maître en son frère Charles, devenu le roi Charles II, mais auquel l’Histoire a attribué un sobriquet transparent : Charles le Mauvais. Naturellement cet aimable personnage qui était avare autant que mauvais ne jugea jamais utile d’envoyer à son beau-frère l’or qu’il attendait. Le blond Phœbus finit par réexpédier Agnès en Navarre où elle fut reçue avec tous les honneurs dus à son rang et bien qu’elle eût donné à son époux un fils, Gaston.
Un fils qu’il n’aima jamais, lui préférant ses bâtards et singulièrement Yvain de Lescar qui était son favori et dont il fit son capitaine des gardes. Ulcéré, le jeune Gaston complota-t-il la mort d’un père qui le méprisait ou bien tenta-t-il simplement de lui faire avaler un philtre d’amour pour le ramener à sa mère ? Toujours est-il que Phœbus tua son fils de sa propre main.