Mais, à mesure que le temps passe, les Donnesmarck deviennent indésirables à Paris. Il faut vendre Pontchartrain, l’hôtel des Champs-Élysées et se retirer en Allemagne. C’est là que meurt, le 12 janvier 1884, la comtesse Henckel von Donnersmarck, la veille du jour où l’empereur d’Allemagne élevait son époux à la dignité de prince !
Cette couronne fermée est sans doute la seule chose que Thérèse Lachmann ait jamais manquée.
Quelques mots tout de même du château et de la terre. Celle-ci avait été acquise en 1610 par Paul Phélypeaux, conseiller du roi, mais c’est son petit-fils, Louis, lequel d’ailleurs prit le nom de Pontchartrain, qui devait faire du château ce qu’il est demeuré à travers le temps, grâce en partie, il faut bien le dire, à la Païva. M. de Pontchartrain était, selon Saint-Simon, « un petit homme maigre avec une physionomie d’où sortaient sans cesse des étincelles de feu et d’esprit ». Cet homme étincelant ne mourut pas moins de chagrin, après la mort de sa femme, sous les nobles lambris du château.
Son fils Jérôme, honoré d’une haine féroce par le même Saint-Simon, en hérita. Secrétaire d’État à la Marine puis à la Maison du roi, il était réellement exécré par le mémorialiste qui raconte, à sa façon, le second mariage de son ennemi : « Ayant perdu sa première femme qui mourut à force de vertu, il se remaria malgré sa figure hideuse et dégoûtante. Je fus à la noce comme on va à la potence. » Finalement ce fut la mauvaise langue qui gagna et Pontchartrain fut exilé sur ses terres par le Régent.
Le château passa à son fils, plus connu sous le nom de Maurepas et qui sera de toutes les intrigues, que ce soit à la cour de Louis XV ou à celle de Louis XVI dont il fut ministre. Pas pour le bien de la France, hélas ! Il mourut en 1781, salué par ce seul commentaire : « On perdit plus qu’il ne valait. » L’ère des femmes commençait pour le château avec la duchesse de Brissac qui en hérita.
C’est toujours une propriété privée qui n’est pas ouverte à la visite.
1- Celui-là est occupé par Artcurial.
La Roche-Courbon
Le roman d’une jeune fille riche
Tout le devoir ne vaut pas une faute qui s’est commise par tendresse…
Pierre Loti l’aimait, qui l’avait surnommé « le château de la Belle au bois dormant ».
« Je m’en suis allé courir toute la terre mais le château fermé et ses chênaies profondes hantaient mon imagination toujours ; entre mes longs voyages, je revenais comme un pèlerin ramené pieusement par le souvenir, me disant chaque fois que rien des lointains pays n’était plus reposant ni plus beau que ce coin si ignoré de notre Saintonge… »
Tout près de Saint-Porchaire, au milieu d’une admirable forêt de chênes-verts, La Roche-Courbon, serti dans ses jardins d’eaux bleues et de vertes broderies, est l’une de ces demeures qui évoquent des rêves que leur contemplation nourrit. Forteresse médiévale, la main d’une femme, Jeanne de Gombaud de Briaigne, dame de Courbon, l’a ornée de grâce en ouvrant des fenêtres dans ses tours, en les reliant d’une élégante galerie à arcades en anses de panier, en dessinant le jardin sur lequel descend noblement un large escalier de pierre qui évoque l’Italie mais ne déparerait pas un palais français et qui, un jour de 1661, vit passer le Grand Condé traînant après lui des rumeurs de batailles et les folies de la Fronde.
Château pour un conte de fées qu’aurait aimé Charles Perrault, l’amour cependant ne lui fut guère favorable dès l’instant où il voulut sortir des sentiers battus de cette monotonie conjugale qui assure les belles lignées et qui, durant plusieurs siècles, fut le lot de ces seigneurs aux noms terribles : les Frondebœuf, les Guerres, les Latour. Ils le possédèrent tant qu’il fut armure de pierre et n’avaient pas beaucoup de temps pour les soupirs.
La monotonie se fait dignité avec les Courbon grâce auxquels La Roche va ouvrir ses murailles à la lumière et à l’air pur. Mais guère à l’amour heureux…
Il y eut d’abord Eutrope-Alexandre de Courbon. Homme de mer, il épouse en 1660 Françoise Colbert du Terron, fille de l’intendant de la généralité de La Rochelle, qui peut faciliter une grande carrière… Mais l’existence de femme de marin demande de grands renoncements, une longue patience et beaucoup de sagesse. Françoise n’en possédait guère. Dix ans après son mariage, elle s’éprend d’un neveu de Turenne, le chevalier de Bouillon, et devient sa maîtresse. Quand on revient d’un long voyage, ce sont de ces choses qui ne font pas plaisir : Courbon, à peine sur la terre ferme, apprend son infortune, provoque le chevalier et le tue en duel.
Étant donné les alliances de Françoise et le nom du défunt, l’affaire fait un bruit énorme. Mme de Courbon pleure et crie qu’elle ne veut plus vivre avec un pareil sauvage. Elle obtient gain de cause : son mariage sera même rompu par l’Église, ce qui lui permettra d’épouser peu après un noble romain, le prince Carpegna. Eutrope-Alexandre se consolera en épousant Marie d’Angennes, laquelle lui donnera plusieurs enfants dont un fils, Louis, qui est le héros d’un véritable drame où s’éteindra le vieux nom des Courbon. Un drame qui, cependant, commence dans la gaieté d’une escapade d’écolière.
Le samedi 22 octobre 1737, la supérieure de l’aristocratique couvent de Notre-Dame-de-Consolation, rue du Cherche-Midi à Paris, reçoit un mot de Mme Peyrenc de Moras, veuve de l’un des plus puissants financiers d’Europe et mère d’une de ses élèves, lui demandant de bien vouloir autoriser sa fille Anne-Marie à la rejoindre, le lendemain dimanche, dans son château de Livry. Elle enverra une voiture.
Aucune raison de refuser et, le lendemain, la jeune Anne-Marie, quinze ans, et sa gouvernante Mlle Gorry, montent dans la voiture qui les attend. Mlle Gorry s’étonne bien un peu que la voiture en question soit une chaise de poste et non l’un des carrosses de la maison, mais elle sait Mme de Moras sujette aux lubies et ne juge pas utile de s’appesantir sur la question.
Où les choses commencent à l’inquiéter, c’est quand elle s’aperçoit que le chemin suivi n’est pas la route habituelle ; l’inquiétude devient panique lorsque l’attelage s’arrête pour relayer au relais de poste d’Étrépagny. Où les emmène-t-on ? Sûrement, c’est un enlèvement ! Qui a osé ?
— C’est moi, lui répond calmement son élève. Je me suis enlevée moi-même !
Naturellement, la gouvernante pousse les hauts cris, s’agite, veut descendre… jusqu’au moment où Anne-Marie lui met sous le nez une paire de pistolets dont, assure-t-elle, on ne manquera pas de se servir si Mlle Gorry ne se décide pas à se tenir tranquille. Et de s’expliquer.
Environ un mois plus tôt, Mme de Moras a fait savoir à sa fille qu’elle changeait ses projets touchant son mariage projeté depuis deux ans avec Louis de Courbon. Le parti, qui lui semblait naguère tout à fait séant, a cessé de lui plaire, et Anne-Marie n’y doit plus songer. M. de Courbon n’est plus admis au château de Livry ni dans le bel hôtel de la rue de Varenne qu’Abraham Peyrenc de Moras avait fait construire pour sa famille1. Encore moins au parloir de Notre-Dame-de-Consolation où il avait pris la douce habitude de venir visiter celle qu’il pouvait considérer à juste titre comme sa fiancée. Celle-ci devra se préparer à épouser le riche et peu attrayant comte de Crèvecœur…