De plus en plus furieux, celui-ci décide alors que l’air de Paris ne vaut rien à Marie : le lendemain, il embarque femme et enfants pour les Rochers, les y installe puis les plante là avec défense formelle de revenir à Paris sans sa permission. Il ne les reverra jamais.
En février 1651, un messager de l’abbé de Coulanges vient aux Rochers apprendre à la marquise la triste nouvelle : son époux s’est battu en duel avec le chevalier d’Albret à propos d’une certaine Mme de Condran et il a été tué.
Marie pleure, fait prendre le deuil à sa maison mais ne quitte pas pour autant les Rochers où elle va vivre encore deux années, faisant redessiner son jardin par Le Nôtre, entretenant avec tous ses amis, surtout son cousin, une alerte correspondance et passant de longues heures avec son amie la duchesse de Chaulnes, femme du gouverneur de Bretagne.
Paris pourtant la reprendra, surtout quand elle s’installera à l’hôtel de Carnavalet. Mais, en attendant, elle reviendra plusieurs fois dans son petit château breton.
« Les bois sont toujours beaux, écrit-elle en 1675 à sa fille devenue Mme de Grignan, le vert en est cent fois plus beau que celui de Livry. Je ne sais si c’est la qualité des arbres ou la fraîcheur des pluies ; il n’y a pas de comparaison, tout est encore aujourd’hui du même vert du mois de mai. Les feuilles qui tombent sont feuilles mortes mais celles qui tiennent ; vous n’avez jamais observé cette beauté. »
Henri reposait dans la chapelle de la Visitation, rue Saint-Antoine à Paris et, au moment de sa mort, Marie exprima le vœu d’être enterrée auprès de lui quand le temps en serait venu. C’est pourtant bien loin de lui, bien loin aussi des chers Rochers qu’elle repose. En 1696, elle meurt de la variole, chez sa fille, dans l’aimable château de Grignan brûlé par le soleil du Midi. C’est dans sa chapelle que cette Bretonne d’adoption dort de son dernier sommeil.
La propriété appartient encore aux lointains descendants des Sévigné, la famille Hay des Nétumières.
HORAIRES D’OUVERTURE
Du 1er mai au 30 septembre 10 h-12 h 45 et 14 h-18 h
Du 1er octobre au 30 avril
10 h-12 h 15 et 14 h-17 h 30
(fermé le mardi)
1- Voir Bussy-Rabutin.
Royaumont
Le roi maçon
Travailler c’est prier…
C’est en l’an de grâce 1228 que le jeune roi Louis IX – il n’a encore que treize ans – décide la construction d’une grande abbaye sur le lieu-dit Cuimont, à peu de distance du château royal d’Asnières-sur-Oise où il aime à séjourner. En fait, la décision ne vient pas de lui seul. Ce faisant, il exécute l’une des dernières volontés de son père, le roi Louis VIII le Lion, mort, après seulement trois années de règne, d’une maladie contractée durant le siège d’Avignon. Mais il y met beaucoup d’empressement. « Il s’émerveille de voir poser la première pierre », écrit Paul Guth qui ajoute : « Rien ne proclame mieux la gloire d’un roi de la terre que des pierres posées avec art les unes sur les autres à la gloire du roi des Cieux… »
Cet émerveillement ne sera pas sans lendemain. Le jeune Louis s’intéresse de près à ce qu’il considère très vite comme son œuvre. Mais il commence par changer le nom du lieu qui ne lui plaît pas. Cuimont, en vérité, cela ne parle pas beaucoup à l’imagination. Et puis, après tout, cette abbaye qui est en train de naître avec son cloître et son palais abbatial, il lui arrivera d’être séjour royal. Et Louis trouve le nom qui convient : « lequel nous avons décrété devoir être à l’avenir appelé Royaumont… » C’est aussi simple que cela… Le roi fait à la chère abbaye naissante de fréquentes visites. Écoutons Joinville :
« Comme l’on faisait un mur en l’abbaye de Royaumont, le bon roi Saint Louis venait souvent dans cette abbaye ouïr la messe (les cisterciens qui devaient l’occuper la construisaient naturellement eux-mêmes, avec l’aide de maîtres d’œuvre) et pour visiter le lieu. Et comme les moines sortaient, selon la coutume de leur ordre de Cîteaux, après l’heure tierce, au labour et à porter les pierres et le mortier au lieu où l’on faisait ledit mur, le bon roi prenait la civière et la portait chargée de pierre, et allait devant et un moine portait derrière. Et ainsi, en même temps le bon roi faisait porter la civière par ses frères Monsieur Robert, Monseigneur Alphonse et Monseigneur Charles… Et pour ce que ses frères voulaient aucune fois parler et crier et jouer, le bon roi leur disait : “Les moines tiennent cet endroit le silence et aussi le devons-nous tenir.” Et comme les frères du roi se voulaient reposer, il leur disait : “Les moines ne se reposent pas, ni vous ne devez pas reposer…” »
Quelle image et quel souvenir ! Imagine-t-on Louis XIV retroussant ses manches au service d’une abbaye et obligeant le délicat Monsieur son frère à pousser la brouette ? Les murs de Royaumont, dans leur beauté pure, ont conservé quelque chose de cette ferveur encore enfantine et pourtant royale, de cette humilité en face de la maison de Dieu.
La dédicace a lieu le 19 octobre 1235 et, bien sûr, Louis IX y assiste, avec sa jeune et charmante femme Marguerite de Provence… avec aussi Madame sa Mère, Blanche de Castille qui s’efforce depuis le mariage d’empêcher le jeune couple royal de se livrer aux joies légitimes de l’amour. Ce jour-là, apparemment, elle ne trouve rien à dire.
Bien souvent, par la suite, Saint Louis visitera Royaumont. Par le confesseur de la reine Marguerite on sait quel y était son comportement. Ainsi, quand il assistait au chapitre, il s’asseyait par terre en signe d’humilité ; il portait lui-même sa pitance à l’un des moines qui vivait à l’écart parce qu’il était lépreux. C’est dans l’église de l’abbaye qu’il tint à faire reposer les trois enfants qu’il perdit : Jean, Louis et Blanche…
La mort de Saint Louis fait entrer Royaumont dans un demi-silence. Ses descendants y viennent de temps en temps. Philippe le Bel n’y viendra que rarement : il préfère Maubuisson, près de Pontoise.
Et puis, la guerre de Cent Ans passe. Les Anglais n’épargnent guère l’abbaye royale et les déprédations y sont nombreuses. Les rançons exigées ruinent le trésor. Enfin, les moines se clairsèment. Il faudra attendre Richelieu pour que Royaumont retrouve un certain éclat.
Louis XIII séjourne souvent à Chantilly qu’il a confisqué aux Montmorency après la mort du dernier duc, décapité à Toulouse sur la place des Terreaux pour avoir conspiré avec Gaston d’Orléans, frère du roi. Le cardinal-duc, lui, préfère Royaumont, plus conforme à ses goûts, mais l’état des bâtiments l’inquiète. Il fait ordonner certains travaux puis décide d’y réunir les abbés des grandes abbayes cisterciennes de France ; Cîteaux, Clairvaux, Pontigny et Morimond. Ce n’est pas pour les féliciter : l’ordre, si haut jadis, est en pleine décadence. Bon gré, mal gré, il faut bien en passer par où veut le tout-puissant cardinal et élaborer un plan de réforme.
Hélas, Richelieu à peine disparu, on se hâte de l’oublier. Pour Royaumont, c’est l’époque sans gloire des abbés commendataires, c’est-à-dire non assignés à résidence. Leur résidence, la plupart du temps, c’est la cour…
Mazarin, pourtant, qui sera abbé de Royaumont parmi bien d’autres prébendes, viendra assez souvent. Il a le sens de la splendeur. C’est un artiste, et l’endroit est d’une grande beauté. Après lui on peut défiler la liste des abbés commendataires : le prince Alphonse de Lorraine, qui n’a que six ans – c’est son père qui administre à sa place – puis le petit-fils de celui-ci, François-Armand de Lorraine, évêque de Bayeux. D’autres évêques ensuite : Mgr Phélypeaux de Pontchartrain, Mgr de Fleury. Puis, en 1781, enfin, un abbé. Et celui-là mérite qu’on s’y arrête, car il va transformer l’aspect général et ajouter à l’abbaye, en assez mauvais état, le superbe palais abbatial.