Il s’appelle Henri-Éléonore le Cornu de Balivière, aumônier ordinaire du roi Louis XVI et déjà commendataire de l’abbaye de Bonneval. C’est un homme de cour, un homme de goût d’ailleurs, un de ces abbés de cour tout à fait charmants. Ainsi, il est peut-être l’aumônier du roi, mais c’est à Trianon qu’il exerce le plus souvent son ministère et surtout chez les meilleurs amis de Marie-Antoinette, les fameux Polignac pour les péchés desquels il montre une indulgence déplorable.
Tout ce monde, quand reviennent les beaux jours, vient volontiers visiter Royaumont où la vieille abbaye conserve de la noblesse et du charme. Honneur insigne, les souverains en voyage se rendent même chez l’abbé de Balivière qui verra venir ainsi le comte et la comtesse de Nord (le futur Paul Ier de Russie et sa femme) et le comte de Haga (Gustave III de Suède). Des incognitos transparents, bien entendu.
Toutes ces grandeurs montent à la tête de notre abbé qui, du coup, n’imaginant pas un instant que la révolution n’est plus loin, décide de construire une demeure digne de lui-même et de ses illustres visiteurs. C’est un élève de Ledoux, l’architecte Louis Le Masson, en service du comte de Provence, que l’on charge de l’ouvrage. C’est un adepte fervent du style palladien et bientôt dans le parc de Royaumont s’élève un palais-villa à l’italienne qui n’a pas grand-chose à envier aux superbes demeures qui jalonnent le cours de la Brenta.
Malheureusement pour Balivière, les premiers grondements de la Révolution se font entendre. Les Polignac émigrent et l’abbé part avec eux pour Vienne. Il y mourra sans avoir jamais vu son beau palais terminé. Mais, à Royaumont, il restait des moines. Il n’y en avait plus beaucoup, évidemment : ils ne sont plus que dix quand, en 1790, on les expulse. L’abbaye va être vendue au titre de bien national.
Celui qui l’achète en 1791 est un noble décavé, un ancien voisin qui possédait, non loin de là, le château de Viarmes.
Avant la tourmente, le marquis de Travanet, mestre de camp des dragons, possédait une belle fortune et avait épousé une charmante femme en la personne de Mlle de Bombelles. Cette jeune femme faisait partie de la petite cour de Madame Élisabeth, la plus jeune sœur du roi Louis XVI, et en était un peu l’âme. Elle avait un assez joli talent poétique et on lui doit une charmante chanson composée à propos de la tendre aventure d’un jeune jardinier de la princesse :
Pauvre Jacques, quand j’étais près de toi
Je ne sentais pas ma misère,
Mais à présent que tu vis loin de moi,
Je manque de tout sur la terre…
Hélas, Travanet aimait les filles d’opéra et le jeu. Il finit par faire un si grand usage des unes et perdre tant d’argent par l’autre que sa femme le quitta. Mme de Travanet émigra, tandis qu’il restait là.
Ayant acheté Royaumont avec les débris de sa fortune, le marquis entreprit d’installer des ateliers de tissage dans l’abbaye, mais habita le palais. Après lui, ce fut un industriel belge, Van der Mersch. Celui-ci morcela le domaine. L’abbaye retrouva des religieuses, le palais un acquéreur : M. Jules Goüin. C’était un homme généreux et ayant du goût. En 1905, au moment de la loi sur les Congrégations, il racheta l’abbaye, en fort mauvais état cette fois.
Ses descendants l’ont superbement restaurée et organisée pour une vie culturelle intense. Royaumont est actuellement l’un des grands centres de l’art et de l’écriture en France.
Le palais abbatial fut cédé au baron et à la baronne Fould-Springer puis à leur fille, la baronne Élie de Rothschild, qui lui ont rendu un éclat exceptionnel et en ont fait la plus belle demeure des environs de Chantilly.
Malheureusement aujourd’hui, les collections à l’intérieur du palais furent dispersées par une vente chez Christie’s en septembre 2011.
Sauveterre-de-Béarn
Le jugement de Dieu
La trahison s’assied à nos banquets, elle brille dans nos coupes, elle porte la barbe de nos conseillers, elle affecte le sourire de nos courtisans et la gaieté maligne de nos bouffons.
Le château n’est plus que ruines comme l’enceinte fortifiée, comme le puissant donjon de Monréal qui domine le gave traversé d’un pont à demi détruit mais le paysage est sans doute l’un des plus beaux de France car la vue sur les Pyrénées est admirable.
Il y eut toujours là un grand appareil guerrier et cela depuis qu’en l’an 1080 Centulle IV de Béarn, en lui donnant une charte de franchise, en fit un lieu d’asile et justifia son nom : Sauveterre, terre de salut, terre de sauveté. Ce qui n’empêche pas les comtes de Béarn d’y posséder, cent ans plus tard, un fort château où ils tiennent cour brillante.
Plus brillante ne se vit jamais sans doute que cette assemblée réunie un beau jour de printemps – en 1169 – pour les noces de Gaston, vicomte de Béarn, et de Sancie de Navarre.
La capitale de Béarn c’est alors Morlaas mais Sauveterre est la cité aimée de Gaston et il entend qu’elle partage son bonheur. Car il s’agit là d’un mariage d’amour. Le couple est jeune – elle n’a que quinze ans – et bien assorti mais la foule n’a d’yeux que pour la petite mariée, si timide, si rougissante dès qu’elle lève les yeux vers Gaston, superbe gaillard rompu dès l’enfance aux courses en montagne, à la rude chasse à l’ours qui est sa passion. Auprès de lui, elle a l’air d’un bibelot.
Elle l’aime pourtant, depuis le jour où elle l’a vu venir à Pampelune, à la cour de son frère le roi Sanche IV de Navarre. Ce fut l’une de ces illuminations inattendues comme il en arrive parfois aux âmes pures car, jusqu’à l’arrivée de Gaston de Béarn, Sancie se croyait bien destinée à Dieu. Elle pensait, de bonne foi, que Dieu l’appelait au fond de quelque couvent pour la préserver des violences du monde. Mais, auprès d’un homme comme Gaston, comment ne pas trouver de charme à la vie du siècle ? Comment ne pas se sentir en pleine sécurité ? Et le mariage a lieu dans le bel apparat qui convient à si hauts seigneurs. Dans la chambre haute du château, Sancie va, la nuit venue, connaître un vrai bonheur.
Tragiquement court, le bonheur, hélas ! Vers la fin de l’automne, un soir où le vent de neige souffle fort sur les chemins de ronde, on rapporte à Sancie son époux blessé à mort. L’ours qu’il a voulu attaquer seul s’est trop bien défendu et Gaston, la poitrine écrasée, n’a plus guère que le souffle – et encore bien léger ! – quand on le porte dans son lit. Il est impossible de déguiser l’affreuse vérité à Sancie. On le voudrait pourtant car elle est enceinte et à quelques semaines de son terme mais la catastrophe est trop brutale. Et puis, elle est fille de bonne race, faite pour le règne et ce genre d’accident n’est pas tellement rare.
Sancie s’évanouit à la nouvelle puis pleure, pleure indéfiniment, ne consentant à se calmer enfin que lorsqu’on lui explique, bien doucement, qu’à présent elle se doit toute à l’enfant qui va naître puisqu’il est l’héritier.
La naissance s’annonce un mois plus tard, par une nuit de janvier si froide que l’énorme feu allumé dans la chambre par les servantes ne parvient même pas à réchauffer les murs où l’eau suinte sous les tentures. Des cuisines on monte sans arrêt des chaudrons d’eau bouillante qui arrive presque tiède. Les servantes s’activent autour du lit où la jeune femme gémit sans arrêt torturée dans son corps plus qu’il n’est normal. Auprès d’elle, le mire du château lui tient la main mais sa mine sombre n’a rien de rassurant : l’enfant met beaucoup trop de temps à venir !