Fureur de la duchesse, qui cependant garde quelque espoir dans la débilité du petit roi. Qu’Orléans le veuille ou non, s’il venait à mourir, c’est toujours le duc du Maine qui serait l’héritier du trône. Il suffit peut-être d’attendre et, forte de cet espoir, Mme du Maine se consacre de plus belle à son cher domaine de Sceaux qu’elle ne cesse d’embellir. Justement, elle y accueille alors un jeune écrivain plein de talent qui se nomme Arouet – mais s’appellera un jour Voltaire – et qui, lorsqu’il ne séjourne pas à la Bastille à cause du côté tendancieux de ses écrits, s’installe comme la gloire majeure de la maison.
En 1718, un nouveau coup de tonnerre vient ébranler la sérénité de la duchesse : le Régent fait déchoir le duc du Maine de sa qualité toute neuve de prince du sang. Plus question pour lui de viser le trône. La voie en est désormais libre pour les ambitions des Orléans et l’on ne tarde pas à déclarer à Sceaux que le Régent maltraite le jeune roi, et même menace de l’empoisonner. On se donne bonne conscience comme l’on peut car, sachant la partie perdue pour son époux, la duchesse du Maine regarde à présent du côté du roi d’Espagne. Philippe V est, comme chacun le sait, l’ex-duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Et un petit-fils qui, poussé par son épouse Élisabeth Farnèse et par son ministre le cardinal Alberoni, un Italien retors et machiavélique, tourne depuis quelque temps déjà ses espérances vers Versailles. L’idée d’unir la France et l’Espagne sous une même couronne le séduit tout à fait. Et cette idée va trouver à Sceaux un écho on ne peut plus favorable.
L’ambassadeur d’Espagne auprès du Régent est alors un grand seigneur d’une soixantaine d’années, quelque peu libertin et menant un train fastueux. Fort séduisant au demeurant : le prince de Cellamare. Né et élevé à Naples, il a été page de Philippe IV et officier de la chambre sous Charles II. Alberoni n’a aucune peine à le gagner au projet extravagant qu’il caresse : s’emparer du Régent à la faveur d’une fête, l’envoyer sous bonne garde à Tarragone, réunir les États généraux, proclamer le duc du Maine régent et, après la mort certaine du jeune roi, installer Philippe V sur son trône encore chaud… On irait même, en toute simplicité, jusqu’à le proclamer Empereur d’Occident…
Cellamare installe son quartier général à Sceaux puis délègue à la cour… son valet de chambre affublé du titre fantaisiste et hongrois de prince de Listhnay. On croit rêver mais dans les débuts le plan fonctionne. Le faux prince transmet à son maître des informations qui sont remises à un jeune abbé, Portocarrero, lequel ne cesse de faire la navette entre Sceaux et Madrid où Alberoni l’attend toujours avec impatience.
Comme Cellamare ne manque pas d’argent, un véritable parti espagnol se forme autour de la duchesse du Maine. Il y a l’indispensable Malézieu et la secrétaire de la duchesse, un bel esprit nommé Rose de Launay, mais il y a aussi le duc de Richelieu, le prince de Dombes, des jésuites et même un groupe de gentilshommes bretons. La haine grandit autour du Régent.
Heureusement pour celui-ci, il a auprès de lui, en la personne de son ancien précepteur, l’abbé Dubois, un ministre plus roué encore que peut l’être Alberoni. Et surtout un ministre qui entretient une police fort bien faite et fort active. En outre, il faut bien l’avouer, les conspirateurs sont d’une rare étourderie et d’une grande maladresse.
Grâce à la vigilance d’un modeste expéditionnaire de la Bibliothèque royale nommé Buvat à qui le faux prince hongrois confiait, Dieu sait pourquoi, sa correspondance, et aux indiscrétions, après boire, d’un jeune secrétaire de l’ambassade d’Espagne qui n’a rien trouvé de mieux que de clamer ses secrets dans la maison close de la Fillon – qui va se dépêcher de prévenir la police ! – le complot est découvert.
Le 9 décembre, à midi, un peloton de mousquetaires noirs occupe l’ambassade d’Espagne et y garde à vue le prince de Cellamare tandis qu’une compagnie de dragons se lance sur la trace de l’abbé de Portocarrero qu’elle n’aura aucune peine à retrouver près d’Angoulême, réfléchissant aux trahisons du sort au milieu des débris de sa voiture brisée. Cependant, à Paris, la traque des suspects se poursuit. Tous les conspirateurs sont arrêtés. Restent les propriétaires de Sceaux.
M. de Favancourt, brigadier aux mousquetaires gris, accompagné de M. de La Billardière, lieutenant aux gardes, se présente au château et, avec toutes les formes requises de la politesse, arrête tranquillement le duc du Maine. On le conduit à la forteresse de Doullens. Quant à la duchesse, elle a filé par un souterrain…
Elle n’ira pas loin. M. d’Ancenis, capitaine des gardes, la retrouve rue Saint-Honoré, chez une amie et, en dépit de la bordée d’injures et de la crise de fureur dont elle l’abreuve, s’assure de sa petite personne et la conduit, en se fermant soigneusement les oreilles, au fort de Chambay près de Dijon. Tous les autres prennent le chemin de la Bastille. À l’exception de Cellamare qui sera seulement reconduit à la frontière et auquel Dubois fera la galanterie de l’accompagner en personne jusqu’à Tours. Évidemment, un an plus tard, la guerre éclatera entre la France et l’Espagne…
À Paris, on pourrait s’attendre à ce que des têtes tombent. Mais le Régent n’est ni cruel, ni vindicatif, ni même rancunier. Tout s’achèvera le mieux du monde avec une sorte d’amnistie. À jamais guérie de la politique, la duchesse du Maine se retrouve à Sceaux et reprend le cours de sa vie agréable. Le cher Malézieu y ramène les ris et les Grâces. Voltaire, qui s’y cacha deux mois, s’y présente tout seul puis y revient avec Mme du Châtelet. Rose de Launay, devenue baronne de Staal après avoir séduit le gouverneur de la Bastille où elle était enfermée, reprend sa place auprès d’une maîtresse dont elle a tracé un extraordinaire portrait :
« Madame la duchesse du Maine n’a encore rien acquis par l’expérience : c’est un enfant de beaucoup d’esprit. Elle en a les défauts et les agréments… Elle manifestait de la hauteur sans fierté, le goût de la dépense sans générosité, de la religion sans piété, une grande opinion d’elle-même sans mépris pour les autres, beaucoup de connaissances sans beaucoup de savoir et tous les empressements de l’amitié sans en avoir les sentiments… »
Les années coulent. Le 18 mai 1736, meurt le duc du Maine. Il était atteint d’un cancer de la face, une sorte de lupus immonde qui lui dévorait le visage mais qui ne fit pas reculer la duchesse : elle le soigna elle-même, jusqu’au bout, avec un dévouement admirable. Elle-même devait mourir le 23 janvier 1757, « d’un rhume qu’elle n’avait pu cracher… »
Du superbe domaine qu’elle a tant aimé, il ne reste hélas que le pavillon de l’Aurore, une partie du parc et la très belle orangerie où chaque été sont donnés de brillants concerts. Entretenus avec un soin pieux, les bâtiments renferment le très beau et très intéressant musée de l’Île-de-France…
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Tourlaville
Les amants maudits
Amour nous a conduits tous deux à la même mort.