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Car le miracle s’est produit.

Philippe Auguste a réchappé à la maladie au moment où son père priait à Cantorbéry. Et comme si la vie de l’un se payait de la vie de l’autre, Louis VII, rentrant en France, qui s’était arrêté à l’abbaye de Saint-Denis, fut saisi par le froid et toute la partie droite de son corps s’en trouva paralysée.

La mort avait déjà saisi la moitié du vif.

Le roi ne put donc assister au sacre de Philippe Auguste, ce fils qu’il avait tant attendu.

Le 1er novembre 1179, dans la cathédrale de Reims, l’archevêque Guillaume de Champagne, oncle de Philippe Auguste, oint le fils de Louis VII et le couronne roi de France.

Dans la nef, les archevêques et évêques de tout le royaume, et l’abbé de Saint-Denis, qui a la garde des insignes royaux, se pressent aux côtés des grands vassaux du roi et d’une foule de chevaliers.

Hors de la cathédrale, le peuple attend.

Il voit passer les chevaliers du roi d’Angleterre qui apportent les présents d’Henri Plantagenêt : bijoux, plats en or et argent, ainsi que du gibier provenant de ses chasses. La mort est ainsi présente, offerte parmi ses dons par Henri Plantagenêt.

Et l’absence de Louis VII rappelle qu’elle s’est par ailleurs déjà emparée de la moitié du corps du père du nouveau roi.

Quelques mois plus tard, le 18 septembre 1180, elle l’emporte au royaume des morts, là où Dieu, Souverain suprême, juge chacun des hommes rappelés à Lui.

deuxième partie

(1180-1190)

« Avec l’aide de Dieu, je croîtrai en hommes, en âge et en sagesse. »

Philippe Auguste,

1185.

8.

Le 20 septembre 1180, soit deux jours après la mort du roi Très Chrétien Louis VII, Martin de Thorenc, son vassal et mon aïeul, s’en est allé rejoindre son suzerain auprès de Dieu.

J’ai souvent transcrit dans ma chronique ses écrits et propos tels que ses descendants, Eudes, Henri, Denis, les ont conservés et transmis, enrichis de leurs propres souvenirs.

Je le répète avec fierté : tous les Thorenc de Villeneuve ont servi les Grands Capétiens, ces rois fondateurs qui ont construit ce château fort inexpugnable qu’est le royaume de France.

Le premier de ces fondateurs, l’héritier de Louis VII, est le roi Philippe Auguste.

Sa naissance si attendue fut à ce point reçue comme miraculeuse qu’on le nommât Philippe Dieudonné, et, plus tard, quand il eut agrandi le royaume, on l’appela non seulement Philippe Auguste, mais aussi le Conquérant.

Eudes de Thorenc dit du roi qu’il fut dans sa jeunesse « toujours hérissé, maupigné » – mal peigné.

Il n’eut guère le temps de s’instruire, souverain à quatorze ans, puisque, dès le mois de novembre 1179, son père Louis VII ne fut plus qu’un corps paralysé attendant sur sa couche que la mort le saisisse en son entier.

Philippe Auguste régna donc, écrasé par la meule des charges royales. Le défunt roi son père avait souvent été faible avec les ennemis de la foi. Philippe Auguste, le Pieux, fut sévère.

Dès le mois de février 1180, il décida de châtier et dépouiller les Juifs, accusés de s’abreuver du sang de jeunes chrétiens égorgés dans un rituel barbare. Les portes des synagogues furent forcées, les fidèles battus ou massacrés, leur or, leur argent et leurs vêtements volés. Pour racheter leur délivrance, les survivants durent payer trente et une mille livres, et cela ne leur conféra aucune garantie, car pour le jeune monarque, la mort infligée aux Infidèles, aux hérétiques, aux blasphémateurs, était acte de piété.

Les Juifs sont expulsés de toutes les villes du royaume. L’ordonnance royale ne leur laisse que trois mois pour vendre leurs biens meubles, et le roi s’arroge la propriété de leurs immeubles.

Eudes de Thorenc raconte :

« Emporté par un saint zèle pour la foi, Philippe arriva à l’improviste au château de Brie-Comte-Robert et livra aux flammes plus de quatre-vingts Juifs qui s’y trouvaient réunis. »

On brûle les Juifs, on jette les blasphémateurs à la rivière, cependant que dans de nombreuses villes du royaume – Chartres, Sens, Noyon, Senlis, Laon et Paris –, on bâtit des cathédrales. Le légat pontifical consacre le maître-autel de Notre-Dame, cathédrale de Paris vouée à la Vierge, célébrant par sa magnificence la gloire royale.

Philippe, qui livre au feu purificateur hommes, femmes et enfants juifs, s’agenouille devant l’autel et prie avec ferveur.

Le soir, après le repas, il écoute les chansons du trouvère Elinand, ou bien la lecture des romans du poète Chrétien de Troyes qui raconte l’aventure des chevaliers Lancelot et Perceval, la quête du Graal.

« Perceval vit les hauberts frémissants et les heaumes clairs et luisants, et les lames et les écus que jamais encore il n’avait vus, et il vit le vert et le vermeil reluire contre le soleil, et l’or et l’azur et l’argent », conte Chrétien de Troyes, évoquant la rencontre entre Perceval le Gallois et cinq chevaliers.

Philippe Auguste est bien, lui aussi, un roi chevalier.

Bon roi ? Ou prince perfide et cruel – couard, dit même le troubadour Bertrand de Born ?

Qui est à même de juger un roi ?

Il ne peut être pesé que par Dieu qui sait tout et charge les plateaux de la balance divine au Jugement dernier.

Pourtant, mon aïeul Eudes de Thorenc s’est confié à son parchemin :

« Philippe est un bel homme, écrit-il, bien découplé, d’une figure agréable, chauve avec un teint coloré et un tempérament très porté vers la bonne chère, le vin et les femmes. Il est généreux envers ses amis, avare pour ceux qui lui déplaisent, fort entendu dans l’art de l’ingénieur, catholique dans sa foi, prévoyant, opiniâtre dans ses résolutions. Il juge avec beaucoup de rapidité et de droiture. Aimé de la fortune, craintif pour sa vie, facile à émouvoir et à apaiser, il est très dur pour les Grands qui lui résistent, et se plaît à nourrir entre eux la discorde. Jamais, cependant, il n’a fait mourir un adversaire en prison. Il aime à se servir de petites gens, à se faire le dompteur des superbes, le défenseur de l’Église et le nourrisseur des pauvres. »

Eudes de Thorenc a écrit ces lignes au mitan du long règne de Philippe Auguste qui dure quarante-trois années, de 1180 à 1223.

Eudes, mon aïeul, est mort avant le roi, en 1209, et c’est son fils Henri qui, peu avant la disparition de Philippe Auguste, sans doute vers 1220, dessine un nouveau portrait du roi avec la main fidèle d’un vassal, mais l’esprit libre comme doit l’être celui d’un noble chevalier :

« Oui, sans doute, écrit Henri de Thorenc, personne, à moins d’être un méchant et un ennemi, ne peut nier que pour notre temps Philippe ne soit un bon prince. Il est certain que sous sa domination le royaume s’est fortifié et que la puissance royale a fait de grands progrès. Seulement, s’il avait puisé à la source de la mansuétude divine un peu plus de modération, s’il s’était formé à la douceur paternelle, s’il était aussi abordable, aussi traitable, aussi patient qu’il se montre intolérant et emporté, s’il était aussi calme qu’actif, aussi prudent et circonspect qu’empressé à satisfaire ses convoitises, le royaume n’en serait qu’en meilleur état. Lui et ses sujets pourraient sans trouble et sans tumulte recueillir les fruits abondants de la paix. Les rebelles que l’orgueil dresse contre lui, ramenés par la seule raison, obéiraient à un maître juste et ne demanderaient qu’à se soumettre au joug. »

Et comme si Henri de Thorenc s’adressait à ses descendants Denis de Thorenc et moi, Hugues de Thorenc, comte de Villeneuve, comme s’il craignait que son portrait du roi Philippe Auguste parût trop sombre, il ajoute :