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Ces chevaliers respectent le roi et lui obéissent parce qu’à Reims, en même temps qu’il recevait l’onction divine, il a prêté serment solennel de défendre l’Église, mère et fille de Dieu.

Ils sont prêts à se battre à ses côtés, pour lui, afin de défendre et agrandir le domaine royal de la lignée Très Chrétienne des Capétiens.

La défendre, certes, car jamais elle n’a été aussi menacée. Philippe Auguste le dit sans que sa voix trahisse aucune peur. Les chevaliers lui font confiance, prennent la mesure de son habileté.

Il déclare que les comtes de Champagne, de Flandre et de Bourgogne se sont réunis au château de Provins, le 14 mai 1181. Les comtes de Blois et de Chartres ainsi qu’Étienne de Sancerre les y ont rejoints. La ligue qu’ils ont ainsi constituée entend attaquer le domaine royal par le nord et par le sud.

« J’ai prévenu le roi, écrit mon aïeul Eudes de Thorenc, que j’avais connu le comte Étienne de Sancerre en Terre sainte, que les promesses de ce chevalier n’étaient que de vil métal, monnaie de cuivre et non d’or. »

Ce comte s’était engagé à épouser la fille du roi de Jérusalem, puis avait renié sa parole et avait dû s’enfuir de Terre sainte comme un voleur ou un traître pourchassé. Les Arméniens de Cilicie l’avaient dépouillé et gardé prisonnier avant de lui permettre de regagner Constantinople, puis, de là, son fief.

Il savait se battre comme un loup et fuir comme un renard.

« Il chevauche déjà vers Orléans », avait informé d’une voix calme Philippe Auguste.

J’ai admiré la maîtrise, la volonté et l’habileté de notre roi que d’aucuns, parmi les chevaliers, continuaient d’appeler « l’enfant ».

En ces années de guerre, je fus à ses côtés et le vis combattre les troupes de Philippe d’Alsace, comte de Flandre, à Senlis, et contraindre le comte Étienne de Sancerre à quitter son château de Châtillon-sur-Loire.

Il réussit à maintenir hors de la guerre Henri II Plantagenêt et l’empereur germanique Frédéric Barberousse que les grands féodaux voulaient faire entrer dans leur coalition.

« J’ai vu Philippe Auguste, les yeux clos, les mains nouées sur lesquelles il appuyait le menton, et j’ai pensé qu’il était comme un chat que l’on croit assoupi et qui, tout à coup, d’un bond ou d’un coup de patte, écrase ses proies, fussent-elles de gros rats noirs. »

Il contraignit ainsi le comte Baudouin de Hainaut, père de la reine Isabelle, à quitter la Ligue des seigneurs après l’avoir rendu suspect aux comtes de Flandre et de Champagne par un subterfuge le représentant comme décidé à trahir pour épargner à sa fille une répudiation.

Car Philippe Auguste avait menacé son épouse de cette humiliante disgrâce. On avait vu à Senlis Isabelle de Hainaut sortir du château, vêtue de haillons, marchant pieds nus, un cierge à la main, faisant l’aumône aux mendiants, s’agenouillant devant les autels de toutes les églises, implorant Dieu de la protéger de la colère de son époux Philippe Auguste.

Et mendiants et lépreux de se réunir devant le château, implorant le roi, lui demandant de garder auprès de lui la jeune et bonne reine.

Et le père d’Isabelle de se séparer du comte de Flandre, de quitter la coalition des grands féodaux pour sauver sa fille.

Dès lors, les troupes du comte de Flandre l’attaquent, mais c’est en vain qu’il appelle à son secours Philippe Auguste. Un roi doit savoir se montrer insensible et ingrat, choisir d’agir selon son intérêt supérieur.

« J’ai vu Philippe Auguste rassembler à Compiègne une armée de milliers de sergents, cavaliers et piétons, et deux mille chevaliers, poursuit Eudes de Thorenc. En face, sur plusieurs rangs, se tenaient les hommes de Philippe d’Alsace, comte de Flandre.

« Je m’impatientais. Je voulais que nous nous élancions contre le vassal rebelle. Mais Philippe Auguste exigea que nous laissions se dérouler les jours sans attaquer, parce que la hâte est mauvaise conseillère et qu’il vaut mieux battre l’adversaire sans avoir à faire couler le sang. »

Et, de fait, Philippe d’Alsace demanda la paix. Ses vassaux le trahissaient, ralliant Philippe Auguste contre des pièces d’or. C’est ainsi qu’au château de Boves, Philippe d’Alsace signa, au mois de juillet 1185, un traité avec Philippe Auguste.

Jamais roi capétien n’avait obtenu pareil gain sans mener un vrai combat : soixante-cinq châteaux et la ville d’Amiens vinrent agrandir le domaine royal.

Jamais roi, ni aussi jeune, ne mérita autant le nom d’Auguste, « celui qui augmente ».

Ce roi de vingt ans venait de montrer qu’il n’avait pour seule règle que servir sa lignée et sa couronne, et rien d’autre – ni liens d’épousailles, ni reconnaissance – ne pouvait limiter son ambition.

Ce jeune roi était par là un grand roi.

Eudes de Thorenc ajoute : « II me dit : quoi qu’il advienne à présent, tous ces vassaux qui se sont dressés contre moi décroîtront en hommes et en âge ; quant à moi, avec l’aide de Dieu, je croîtrai en hommes, en âge et en sagesse. »

11.

« Je croîtrai », murmure Philippe Auguste, et seul l’entend Eudes de Thorenc qui chevauche à ses côtés.

Ils vont de château en château, parcourant ces collines et vallons, traversant ces forêts le long desquelles court la frontière qui sépare le domaine royal de France et le duché de Normandie.

Ils aperçoivent le gros donjon et la double enceinte à douze tours du château de Gisors. Comme si la vue de cette citadelle qui commande la route de Rouen à Paris, par le Vexin normand, lui était insupportable, Philippe Auguste tire violemment sur les rênes et son cheval se cabre, cherchant en vain à désarçonner son cavalier.

« Je croîtrai ! » répète Philippe Auguste.

Ce château de Gisors, Henri II Plantagenêt le possède à nouveau et c’est souvent dans ce haut donjon que Philippe Auguste rencontre le roi d’Angleterre.

Henri II est aussi son vassal et possède la plus grande partie du sol de la France. Il est le maître en Espagne, en Savoie, au Portugal, dans le royaume des Deux-Siciles. Il contrôle la Ligue lombarde.

Ses fils sont comme les chiens enragés d’une meute qui se disputent entre eux le gibier. Ces proies, ce sont des terres de France, le Limousin et le Languedoc.

L’aîné des fils, Henri le Jeune, a guerroyé contre son frère Richard Coeur de Lion, lui disputant l’Aquitaine et le Limousin.

Avec ses chevaliers pillards, des « routiers » qui sont comme autant de rapaces, Richard a tenté de s’emparer du Languedoc.

Geoffroy, comte de Bretagne, et Jean sans Terre, les deux derniers frères, sont eux aussi avides et se tiennent aux aguets.

Quand Henri le Jeune s’éteint soudainement, le ventre pris de douleurs qui font tordre son corps et l’entraînent dans la mort, les rivalités entre les trois frères restants s’exacerbent encore.

« Je croîtrai ! » répète Philippe Auguste en s’avançant vers Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre.

Il est comme une jeune pousse déjà vigoureuse, résolue, mais encore étouffée par la puissance de son vis-à-vis.

Il n’est que le roi de Paris, de Bourges et d’Amiens. Il a à peine plus de vingt ans alors qu’Henri II en a cinquante-sept et a assuré son pouvoir absolu sur l’Angleterre.

« Il décroîtra », murmure Philippe Auguste après avoir, durant plusieurs heures, livré à Henri II une bataille de mots comme un tournoi où l’on s’affronte lance et glaive en main.

Henri II décroîtra, dit-il, parce qu’il porte son âge comme une armure trop lourde, qu’il a pleuré en apprenant la mort de son fils Henri le Jeune, qu’il craint les trahisons de deux de ses autres fils, Richard Coeur de Lion et Geoffroy, et qu’il n’a en définitive confiance qu’en Jean sans Terre, le plus jeune.