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Philippe Auguste repoussa tous les appels à la paix : ceux du légat du pape comme ceux d’Henri II Plantagenêt.

« Le roi de France, rugissant comme le lion, tournait en dérision tous les messages de celui d’Angleterre. »

Et les villes et châteaux continuèrent d’être pillés, brûlés, les chevaliers chrétiens de s’entre-tuer.

Ainsi, de juillet à octobre 1188, on oublia le tombeau du Christ et la Terre sainte.

Et pas plus les rois que Richard Coeur de Lion ne se soucièrent plus des victoires de Saladin, cueillant comme des fruits mûrs les villes chrétiennes de Palestine.

« J’ai rassemblé les chevaliers qui avaient appartenu au Temple, raconte Eudes de Thorenc. Je leur ai rappelé notre serment, notre charte, telle que l’avait écrite saint Bernard de Clairvaux. Je leur ai prêché la croisade, et les grands féodaux, les comtes de Flandre, de Chartres et de Blois, nous ont rejoints.

Je sais que leurs pensées, comme des rivières en crue, entraînaient des branches mortes. Ils craignaient la victoire de Philippe Auguste et souhaitaient le voir s’éloigner de leurs châteaux.

Alors ils prêchaient eux aussi la croisade.

Quant aux piétons, sergents et routiers qui n’étaient plus payés par le roi dont les coffres étaient vides, ils jurèrent eux aussi leur foi en Christ et leur volonté de libérer Son tombeau. »

Le 18 novembre 1188, rois, comtes et barons se rencontrèrent à Bonmoulins, à la frontière du duché de Normandie.

Mais, une fois face à face, les rois oublièrent derechef la Terre sainte et parlèrent héritage.

Philippe Auguste soutint Richard Coeur de Lion contre son père.

« Je vois maintenant la vérité de ce que je n’avais pas osé croire ! » s’écria Richard en découvrant qu’Henri II ne voulait pas le désigner comme son héritier, mais favorisait Jean sans Terre, son fils préféré.

Alors, tournant le dos à son géniteur, Richard Coeur de Lion, comte de Poitou, duc d’Aquitaine, s’agenouilla, mains jointes, devant Philippe Auguste comme un chevalier fait hommage à son suzerain.

D’une haute voix assurée, il dit se déclarer le vassal du roi de France pour la Normandie, le Poitou, l’Anjou, le Maine, le Berry et le Toulousain.

Philippe Auguste l’aida à se relever et tous deux, du même pas, s’éloignèrent côte à côte, le cercle des comtes et des barons s’ouvrant devant eux.

12.

Que peut Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, contre l’alliance de son fils, le valeureux et orgueilleux Richard Coeur de Lion, avec l’habile et volontaire roi de France, Philippe Auguste ?

Ses vassaux, les barons de l’Anjou, du Maine, du Vendômois, du Berry, l’abandonnent et font hommage aux jeunes alliés, Richard et Philippe.

Henri II ne peut même pas être certain de la fidélité de son dernier fils, celui qu’il a toujours préféré, Jean sans Terre. Aussi hésite-t-il à engager le combat. Chevauchant, il erre, de la Normandie à la Touraine, à la tête des chevaliers qui ne l’ont pas abandonné, de tous ceux pour qui il est encore le puissant souverain d’Angleterre. Il veut gagner du temps, négocier, éviter l’affrontement.

Il rencontre Philippe et Richard à La Ferté-Bernard.

Dans les grandes pièces voûtées du château, on entend tinter les éperons des deux jeunes gens arrogants qui s’avancent vers le vieux roi.

On s’observe, les chevaliers de chaque camp ont les doigts serrés sur le pommeau de leur glaive.

Henri invoque les voeux de l’Église.

Le légat du pape s’élève contre cette guerre sacrilège entre chrétiens alors que l’énergie de chaque fidèle devrait être tout entière consacrée à la croisade, à la reconquête de Jérusalem et de la Terre sainte.

Si Richard y part, fait observer Philippe, il faudra, selon toute justice, que Jean sans Terre l’accompagne.

Henri refuse.

On s’injurie. On s’éloigne en se maudissant. On jure de recommencer la guerre, ce jugement de Dieu.

On se pourchasse, on se bat en Touraine et dans le Maine. Philippe Auguste soumet tout le pays entre Le Mans et Tours.

Le 30 juin 1189, Henri II, saisi par la fièvre, n’est plus qu’un vieil homme qui s’obstine encore à ne pas capituler. Mais Philippe Auguste, intraitable, refuse qu’aux termes d’un traité de paix figure, sous les signatures, cette phrase exigée par Henri II : « Sauf notre honneur, l’intégrité et la dignité de notre couronne. »

Il faut cependant se soumettre. Henri II obtient seulement que Philippe Auguste lui remette la liste des seigneurs qui l’ont abandonné.

Philippe accepte de rencontrer Henri II, le 4 juillet, à Colombiers, entre Azay-le-Rideau et Tours.

Le ciel est serein, mais quand les rois s’en vont l’un vers l’autre, deux coups de tonnerre déchirent le silence et le ciel bleu, comme si un grondement céleste venait rappeler que le Très-Haut observe et juge.

Henri est malade comme il ne l’a jamais été.

« Sa douleur était telle que sa figure rougissait et bleuissait tout à tour », dit Eudes de Thorenc. On le couche. Il dit que le « mal cruel l’a saisi aux talons, a pris ses deux pieds, puis les jambes, puis tout le corps ».

– Je n’ai jamais souffert comme je souffre, murmure-t-il.

Il réussit enfin à se redresser pour recevoir Philippe Auguste :

– Sire, dit le roi de France, nous savons bien, que vous ne pouvez tenir debout.

D’un geste, Henri refuse le siège qu’on lui propose.

Il est contraint de verser une contribution de guerre, de céder Issoudun et la suzeraineté sur le comté d’Auvergne. Alix est enlevée à sa garde. Il est tenu de se « soumettre au conseil et à la volonté du roi de France ».

Les rois jurent par ailleurs que la croisade aura lieu à la mi-carême de l’an 1190, et que l’on se réunira à Vézelay.

Mais la mort guette le roi d’Angleterre.

Elle s’approche sous les traits d’un officier qui lui apporte la liste de ceux qui l’ont trahi.

– Sire, dit le messager, que Jésus-Christ me vienne en aide ! Le premier dont le nom est écrit n’est autre que le comte Jean sans terre, votre fils !

– Assez, vous en avez assez dit ! murmure Henri II.

Il se retourne sur sa couche, frissonne, le visage tour à tour empourpré, puis pâle et noir.

Il est sourd et aveugle. Il n’a plus ni mémoire ni langage. Il marmonne des miettes de mots que nul ne comprend.

Le lendemain 5 juillet, il retrouve pour quelques heures la raison, serrant contre lui son bâtard, Geoffroy.

« Toi, au moins, tu m’as toujours témoigné la fidélité et la reconnaissance que les fils doivent à leur père, lui dit-il. Si je meurs sans te récompenser, je prie Dieu de t’accorder ce que tu mérites. »

Le 6 juillet, on le porte dans la chapelle du château. Il veut se confesser, prononce quelques mots. Mais « le sang se figea dans ses veines ; la mort lui creva le coeur. Un caillot de sang lui sortit du nez et de la bouche ».

Les valets alors se précipitent, pillent la chambre royale.

« Quand les voleurs eurent happé ses draps, ses joyaux, son argent, autant que chacun en put emporter, le roi d’Angleterre resta nu comme il était lorsqu’il vint au monde, fors ses braies et sa chemise. »

Un baron couvre le corps de son manteau.

Le 7 juillet 1189, on le porte à l’abbaye de Fontevrault. Plusieurs milliers de mendiants réclament à grands gestes et à cris rauques l’aumône que, selon la tradition, on donne aux misérables le jour de l’inhumation d’un souverain.

Mais le Trésor est vide.

Et seules les religieuses de l’abbaye traitent ce corps avec les honneurs dus à Sa Majesté Royale.

Richard Coeur de Lion est enfin venu voir le corps de son père.

Eudes de Thorenc l’accompagnait, représentant Philippe Auguste.