Выбрать главу

Le roi de France accourt. On l’assiège dans le château de Thouars. Philippe Auguste signe une trêve, puis la paix avec les barons du Poitou. S’ils ont rallié Jean sans Terre, c’est pour affaiblir Philippe Auguste et conserver leur liberté face à un pouvoir royal qui leur a trop fait sentir sa puissance. Car si Philippe Auguste a d’abord acheté des ralliements, il a ensuite pressé ses nouveaux sujets.

Pour un royaume, l’argent est le plus nécessaire et le meilleur des élixirs.

En cette année 1208, ni l’argent ni le vin ne manquent. Ils coulent à grands flots, car l’on célèbre chaque jour la victoire du roi de France, écrit Henri de Thorenc.

Voilà cinq ans que mon père Eudes de Thorenc est mort au pied du premier mur d’enceinte du Château-Gaillard.

Il n’a pas vu le Plantagenêt, contre lequel il a tant combattu, chassé de France.

Le domaine royal s’étend désormais de l’Artois à la Bretagne, de la Normandie au Poitou et à l’Aquitaine.

L’Anglais ne règne plus sur Rouen et Angers, il a été rejeté à la mer.

Et Philippe II, dit Auguste, mérite aussi d’être nommé le Conquérant.

Qui oserait défier un tel roi ?

24.

Je sais, moi, Hugues de Thorenc, qui écrit en l’an 1322 la chronique des grands rois capétiens dont la lignée royale croise à chaque pas celle des Villeneuve de Thorenc, qu’un monarque, fût-il le plus puissant du monde, ne cesse jamais d’être défié.

La vie d’un souverain n’est qu’un long tournoi.

Henri de Thorenc, mon aïeul, qui s’interroge, en 1208, après avoir célébré la gloire de Philippe Auguste le Conquérant – « Qui oserait défier un tel roi ? » –, n’évoque que rarement les autres souverains qui suivent avec avidité les combats opposant le Plantagenêt au Capétien pour être du partage des dépouilles du vaincu.

Jean sans Terre comme Philippe Auguste cherchent à obtenir que l’empereur germanique soit l’un de leurs alliés.

On se bat dans les fossés de Château-Gaillard, mais on ne se soucie pas de ce qui se passe sur les bords du Rhin. Or Philippe Auguste s’inquiète de voir Otton de Brunswick, allié de Jean sans Terre, devenir empereur du Saint Empire romain germanique.

Le pape Innocent III soutient cette candidature à l’Empire. Car s’il est un souverain qui ose défier le roi de France, c’est bien celui qui règne sur l’Église de Rome.

Le pape refuse toujours ce divorce d’avec Ingeburge que s’obstine à réclamer Philippe Auguste.

Henri de Thorenc n’a pas eu connaissance, j’imagine – puis-qu’il ne les cite pas –, des lettres qu’échangent le roi de France et le souverain pontife.

Il ignore aussi les appels qu’Ingeburge adresse de sa prison d’Étampes à Innocent III :

« Je suis persécutée par mon seigneur et mari Philippe, écrit-elle à Rome. Non seulement il ne me traite pas comme sa femme, mais il me fait abreuver d’outrages et de calomnies par ses satellites. Dans cette prison, aucune consolation pour moi, mais de continuelles et intolérables souffrances.

« Personne n’ose ici venir me visiter, aucun religieux n’est admis à réconforter mon âme en m’apportant la Parole divine. On empêche les gens de mon pays natal de m’apporter des lettres et de causer avec moi. La nourriture qu’on me donne est à peine suffisante ; on me prive même des secours les plus nécessaires à ma santé. Je ne peux pas me saigner et je crains que ma vie n’en souffre et que d’autres infirmités plus graves encore ne surviennent.

« Je n’ai pas non plus assez de vêtements, et ceux que je mets ne sont pas dignes d’une reine.

« Les personnes de vile condition qui, par la volonté du roi, m’adressent la parole ne me font jamais entendre que des grossièretés ou des insultes.

« Enfin je suis enfermée dans une maison d’où il m’est interdit de sortir. »

Je ne veux pas, je ne peux pas juger celui qui fut le roi bâtisseur du royaume de France.

J’ignore – chacun ignore – les causes de cette répulsion du roi pour celle qu’il a voulu épouser et qu’il a aussitôt rejetée.

Mais sa victoire sur Jean sans Terre le rend encore plus impitoyable, et il soupçonne Innocent III de chercher à l’affaiblir dans la guerre qui l’oppose au Plantagenêt.

« Le Seigneur pape met tant de délais et tant d’obstacles à notre affaire, écrit-il, qu’il ne veut point, à ce qu’il nous semble, nous libérer comme nous le souhaitons. »

Innocent III ne cède pas. Il continue de refuser le divorce :

« Je comprends à la rigueur, écrit-il à Philippe Auguste, que vous puissiez vous excuser, auprès de ceux qui ignorent le fond des choses, de ne pas la traiter comme votre femme ; mais vous êtes inexcusable de ne pas avoir pour elle les égards dus à une reine… Dans le cas où quelque malheur lui arriverait, à quels propos ne seriez-vous pas exposé ? On dira que vous l’avez tuée, et c’est alors qu’il vous sera inutile de songer à une autre union. »

Mais Philippe Auguste, le Conquérant, n’est pas homme à admettre qu’on le traite comme un vassal. Or il a le sentiment que le pape Innocent III se considère comme le suzerain des rois et des empereurs. Et les dénégations du Saint-Père ne changeront rien à cette opinion.

« Comment peut-on croire que le souverain pontife veuille faire tort à la France, la préférée de l’Église, la royauté d’Europe la plus chère au siège apostolique ? » lui a écrit le pape.

Mais alors, pourquoi Innocent III soutient-il en Allemagne la candidature à l’Empire du Saxon Otton de Brunswick, neveu et allié des Plantagenêts ?

Philippe Auguste rappelle le refus du pape d’admettre son divorce d’avec Ingeburge, mais, désormais, il y a bien plus grave. Il s’agit des intérêts du royaume capétien :

« Le tort que vous m’avez fait, à moi personnellement, écrit Philippe Auguste, je l’ai supporté sans rien dire. Mais la mesure que vous allez prendre en faveur d’Otton est de nature à nuire à ma couronne, à léser gravement les intérêts de la royauté de France, et voilà ce que je ne tolérerai jamais.

« Si vous persévérez dans votre dessein, nous serons obligés d’agir en temps et lieu, et de nous défendre comme nous pourrons. »

C’est en ces termes que Philippe, roi Très Chrétien de France, s’adresse au souverain pontife.

quatrième partie

(1208-1214)

« Seigneurs, je ne suis qu’un homme, mais je suis roi de France, vous devez me garder sans défaillance. Gardez-moi, vous ferez bien. Car, par moi, vous ne perdrez rien. Or chevauchez, je vous suivrai et partout après vous j’irai…

« Tout pécheurs que nous soyons, nous sommes en bon accord avec les serviteurs de Dieu et défendons dans la mesure de nos forces les libertés des clercs. Nous pouvons donc compter sur la miséricorde divine.

« Dieu nous donnera le moyen de triompher de nos ennemis qui sont aussi les siens ! »

Philippe Auguste

à ses barons, le dimanche 27 juillet 1214, quelques instants avant que ne commence la bataille de Bouvines.

25.

« Je me suis agenouillé devant Innocent III, successeur de l’apôtre Pierre, évêque de Rome, et je lui ai humblement tendu la lettre que mon suzerain, Philippe Auguste, m’avait chargé de lui remettre. J’ai gardé la tête baissée jusqu’à ce que, d’un mot, il m’invite à me relever. J’ai croisé alors pour la première fois le regard du souverain pontife, et il était si courroucé, aussi tranchant que peut l’être une lame aiguisée, que j’ai aussitôt rebaissé la tête. »