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« Louis, fils du roi de France, écrivit Henri de Thorenc, fut très bien accueilli et fêté par son père et par les autres. Il est venu en France sur son cheval arabe et conte à son père comment Simon de Montfort a su se pousser et s’enrichir. Le roi ne répond mot et ne dit rien. »

Mais, cette fois, Philippe Auguste, le Conquérant, parle et répète : « Ce qui ne se récolte pas au nord du royaume doit se cueillir au sud. »

Les Toulousains se sont révoltés contre Simon de Montfort. Raimond VI, comte de Toulouse, a recouvré sa ville, et le nouveau pape Honorius III supplie Philippe Auguste d’entrer en croisade contre les hérétiques qui veulent faire – et c’est parole sacrilège et diabolique – de Toulouse la « Rome Cathare ».

« Il faut attendre le moment, guetter le signe », indique Philippe Auguste. Puis, plus bas, il ajoute, la main posée sur l’épaule de son fils comme pour l’adouber à nouveau : « Louis, tu porteras la croix. »

Oubliées l’Angleterre et l’excommunication ! Le pape Honorius III a besoin de croisés. On extirpera l’hérésie en brûlant et en crevant les corps, puisque la prédication ne permet que de la chasser des âmes !

Le signe est venu le 25 juin 1218.

Un messager a apporté la nouvelle : Simon de Montfort, qui avait mis le siège devant Toulouse, a été frappé par une pierre lancée par une machine de guerre, un mangonneau manoeuvré par des femmes de la ville.

« La pierre alla tout droit où il fallait, et frappa si juste le comte de Montfort sur le heaume d’acier qu’elle lui mit en morceaux les yeux, la cervelle, les dents, le front, la mâchoire, et le comte tomba à terre, sanglant et noir. »

Louis le Huitième du nom pouvait se mettre en chemin à la tête des chevaliers du royaume de France.

Ils rejoignirent devant Marmande les sergents et chevaliers d’Amaury de Montfort, fils de Simon de Montfort.

La garnison de Marmande avait fait reddition et l’on tenait conseil sous la tente de Louis. Les habitants avaient jusqu’au bout combattu aux côtés des hérétiques.

– Ils le sont tous ! dit un évêque.

Et l’on se souvint du siège et du massacre de Béziers. On ne répéta pas « Tuons-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », mais on décida qu’il fallait préserver la vie du comte d’Astarac qui avait commandé la défense de la ville.

Il ne fut rien dit des habitants, mais ce silence valait mort.

« On tua tous les bourgeois avec les femmes et les petits enfants, tous les habitants, au nombre de cinq mille », précise le chroniqueur Guillaume le Breton.

Mon aïeul, Henri de Thorenc, ne se contente pas de ces deux lignes :

« Un évêque, écrit-il, demanda que les habitants fussent tous mis à mort comme hérétiques. Aussitôt, le cri et le tumulte s’élèvent. On court dans la ville avec des armes tranchantes, et alors commence l’effroyable tuerie. Les chairs, le sang, les cervelles, les troncs, les membres, les corps morts et pourfendus, les foies, les poumons brisés gisent par les places comme s’il en avait plu. La terre, le sol, la rue sont rouges du sang répandu.

Il ne reste ni hommes, ni femmes, jeunes ou vieux, aucune créature n’échappe à moins de s’être tenue cachée. La ville est détruite et le feu l’embrase.

« J’étais aux côtés du prince Louis de France, poursuit Henri de Thorenc, quand la fumée des incendies qui ravageaient Marmande et transformaient la ville en gigantesque bûcher a obscurci le ciel.

C’était un mauvais présage. Les morts de Marmande allaient nous poursuivre.

J’ai craint pour la vie de Louis le Huitième, car même s’il n’avait pas donné l’ordre du massacre, il l’avait laissé accomplir. Et aucun de nous, qui l’entourions sous la tente, n’avions élevé la voix.

Je pense encore qu’il n’y a pas de place pour les hérétiques dans le royaume de France. Mais j’ai entendu les cris des enfants et de leurs mères qu’on égorgeait comme des pourceaux.

Or Dieu les avait faits à notre image.

Et, durant les nuits sans sommeil, j’ai imaginé que le Diable nous avait empoisonné l’esprit et crevé les yeux.

« Dieu a-t-Il voulu nous punir pour les bûchers dans lesquels nous avions jeté nos frères humains égarés ?

Raimond de Toulouse remporte toutes les batailles contre l’armée d’Amaury de Montfort.

Nous dressons notre camp sous les murs de Toulouse, mais en vain, puisque la ville résiste et que les machines de guerre des hérétiques nous accablent de leurs pierres et de leurs traits.

Le 1er août 1219, Louis décide de regagner le royaume de France.

« Je l’avais devancé, annonçant à Philippe Auguste qu’Amaury de Montfort léguait ses domaines au roi de France.

Je m’étonnai de l’impassibilité avec laquelle il accueillit ce don qui augmentait encore le domaine royal.

N’avait-il pas dit qu’il fallait récolter au sud ce qu’on n’avait pu moissonner au nord ?

“Amaury de Montfort me donne ce qu’il ne peut garder”, murmura le roi.

Puis il se leva, les mains sur ses reins comme pour contenir une souffrance.

Il ordonna que deux cents chevaliers et dix mille hommes à pied se missent en marche, pour gagner le Languedoc, sous les ordres de l’archevêque de Bourges et du comte de la Marche.

“Nous devons certes accepter ce que le destin nous donne, ajouta-t-il, mais il faut goûter avant d’avaler. Il suffit d’une goutte de poison pour mourir.” »

36.

La mort est venue se glisser dans le corps du roi en ces jours de septembre 1222 alors que s’achevait sa cinquante-septième année de vie.

Durant ces derniers mois, jusqu’à ce que, le 14 juillet 1223, à Mantes, la mort le saisisse, je ne l’ai pas quitté, couchant devant sa chambre, le couvrant de laine et de fourrure quand la fièvre le faisait grelotter, lui servant à boire, épongeant son front couvert de sueur. Il avait froid et brûlait, murmurant que cette maladie – il tenait à ce que je m’en souvienne – s’était emparée de lui en Terre sainte, qu’elle était comme un remords qu’il gardait en lui, pour n’avoir pu délivrer le Saint-Sépulcre.

Et maintenant il lui fallait combattre devant Dieu, qui jugerait. Et Dieu serait d’autant plus sévère qu’Il lui avait accordé longue vie et long règne.

« Je dois me préparer », avait répété, chaque jour de ces dix derniers mois, Philippe Auguste.

Henri de Thorenc ne mentionne pas le présage céleste dont parlent d’autres chroniqueurs.

Je rapporte ici leurs écrits qui, tous, décrivent le passage d’une comète d’un rouge éclatant qui ne s’efface que lentement, laissant le ciel embrasé.

On prie dans toutes les églises et abbayes du domaine royal, se borne à indiquer Henri de Thorenc. Certains prédicateurs annoncent la guérison prochaine du roi, d’autres supplient le Seigneur de l’accueillir parmi les saints, car le roi fut bon et juste.

J’atteste que, durant ses derniers mois de vie, son âme fut tout entière occupée de donner à ceux qui étaient dans le besoin et qu’il ne pourrait plus aider de ses deniers. Je l’ai entendu dire à son fils Louis, qui lui succéderait, de « n’employer les ressources du Trésor qu’à la défense du royaume ».

Et, plus tard, à son petit-fils, futur Louis le Neuvième, il ajouta d’une voix ferme, malgré le souffle qui déjà lui manquait :

« Il faut récompenser ses gens, l’un plus, l’autre moins, selon les services qu’ils rendent. Nul ne peut être gouverneur de sa terre s’il ne sait aussi hardiment et aussi durement refuser ce qu’il sait donner. »