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Sous sa dictée, poursuit Henri de Thorenc, j’ai recueilli son testament. Le parchemin, la plume et l’encre étaient toujours prêts sur un pupitre placé au pied de son lit. Mais Philippe Auguste ne dictait que quelques lignes chaque matin, comme s’il avait besoin de l’obscurité et du silence de la nuit pour les méditer.

« Je lègue bracelets et bagues, pierreries et joyaux à l’abbaye de Saint-Denis où mon corps reposera aux côtés des rois de ma lignée capétienne.

« Je lègue mille pièces d’or aux fidèles du Christ qui vivent en Syrie.

« Je lègue mille pièces d’or aux pauvres, et tout autant à l’Hôtel-Dieu de Paris qui les accueille.

« Je lègue cinq mille livres aux sujets du royaume de France que j’ai, j’en fais repentance, injustement dépouillés pour pouvoir défendre et agrandir le domaine royal.

« Je n’oublie ni la reine Ingeburge, ni Philippe Hurepel, mon fils légitimé, issu d’Agnès de Méran. Que Dieu veille sur l’âme de celle dont j’ai partagé la couche. »

« C’est le 10 juillet 1223 qu’au château de Pacy-sur-Eure, Philippe Auguste le Conquérant me dicta la dernière phrase de son testament.

Le lendemain 11 juillet, on le saigna, ce qui lui donna un regain de vie.

Il décida de se rendre à Paris où, en présence de Conrad, cardinal-légat du pape, se tenait concile afin de décider des mesures qui permettraient de terrasser l’hérésie albigeoise, ce serpent qui continuait de se repaître des âmes des habitants du Languedoc et du pays de Toulouse.

Évêques et archevêques du royaume de France se trouvant ainsi assemblés, Philippe Auguste voulait s’adresser à eux.

Mais, le 12 juillet à l’aube, il commença d’étouffer, battant des bras, le corps dévoré par la fièvre.

On lui administra les derniers sacrements.

Il somnola, demanda qu’on le conduise à Paris où il voulait mourir. Mais, je l’ai dit, la mort se saisit de lui à Mantes, ce vendredi 14 juillet 1223.

« Je rapporte les derniers propos qu’il tint à son fils Louis le Huitième :

« Il faut craindre Dieu et exalter son Église, faire bonne justice à son peuple et surtout protéger les pauvres et les petits contre l’insolence des orgueilleux. »

Je me suis recueilli devant le corps du roi cependant que s’élevaient dans toute la ville les lamentations et les cris de douleur.

Puis on oignit le corps qui fut porté sur une litière jusqu’à Paris.

La porte de la ville franchie, les porteurs déposèrent la litière après avoir parcouru la distance de trois traits d’arbalète. Et, en ce lieu où d’autres porteurs hissèrent la litière sur leurs épaules, on élèverait une église.

J’ai marché dans les premiers rangs de la procession jusqu’à l’abbaye de Saint-Denis où les moines l’ensevelirent à côté du roi Dagobert.

Durant la messe de Requiem célébrée en présence du cardinal-légat Conrad, de l’archevêque de Reims et de tous les clercs réunis à Paris pour le concile, je n’ai cessé de regarder le visage du roi.

Il n’était pas altéré après seulement un jour passé au royaume des morts.

Son corps habillé d’une tunique et d’une dalmatique était recouvert d’un drap d’or.

Sa tête portait couronne, et il tenait le sceptre à la main.

Comme si la mort avait été impuissante à interrompre son règne.

sixième partie

(1223-1226)

« Pas un pouce de la terre que mon père m’a laissée en mourant ne sera rendu aux Anglais. »

Louis VIII.

37.

« Le sceptre et la couronne de France, j’ai vu le prince Louis s’en saisir le 6 août 1223 dans la cathédrale de Reims.

Il était agenouillé face à l’autel, dans la grande nef.

Et, poursuit Henri de Thorenc, quand il s’est redressé, il était devenu le roi de France Louis VIII.

Quand il est réapparu sur le parvis de la cathédrale, la foule assemblée l’a acclamé. Les mendiants tendaient leurs mains, les malades montraient leurs plaies. On entendait crier : “Le roi te touche, Dieu te guérit !”

Sur ordre du roi, on a lancé des poignées de pièces à la foule, et ce fut le tumulte des pauvres ressemblant à des bêtes affamées qui se disputent des lambeaux de viande ou quelques poignées de grains.

Louis VIII ne s’est pas avancé, il n’a pas touché les écrouelles.

Avec le plat de mon glaive, j’ai ouvert au roi un passage parmi ces mendiants aux mains et aux visages noirs.

Peu après, nous chevauchions dans la campagne rousse aux couleurs de la moisson.

« Le roi menait grand galop et je retrouvais, à le suivre, les émotions que m’avait données son père, mon suzerain Philippe Auguste. Mais j’étais vieux et le roi Louis VIII, lui, n’avait que trente-six ans.

Il était de petite taille, maigre, mais chacun de ses gestes, chacune de ses paroles révélaient l’énergie qui brûlait en lui, grande flamme vive qui faisait briller ses yeux et oublier la pâleur de son visage et la modestie de sa stature.

Il était roi d’âme et de corps, et tous ceux qui le voyaient ne pouvaient douter de sa majesté.

Les Parisiens qui attendaient son retour ne s’y trompèrent pas et l’acclamèrent. Je me souvins alors des cris de joie qui avaient accueilli Philippe Auguste au lendemain de la victoire de Bouvines.

Louis VIII était l’héritier légitime et sacré de son père. Et quand nous, ses chevaliers, fûmes rassemblés autour de lui dans la tour du Louvre, il dit d’une voix drue :

“Pas un pouce de la terre que mon père m’a laissée en mourant ne sera rendu aux Anglais !”

Nous criâmes “Vive le roi !”, et, parce que Blanche de Castille s’était approchée, nous lançâmes aussi « Vive la reine ! »

Nos voix résonnèrent sous les voûtes et je sus que le royaume de France serait désormais le plus grand de la Chrétienté.

Je pouvais maintenant songer à m’allonger aux côtés de Philippe II Auguste, le Conquérant. »

J’ai lu cette dernière phrase d’Henri de Thorenc le coeur empli d’émotion. Et j’ai prié pour l’âme de mon aïeul afin que le Seigneur la place, auprès de Lui, entre celles de Philippe Auguste et de Louis VIII.

Car le règne du fils n’a duré que trois années. Louis VIII est mort le 8 novembre 1226 en Auvergne, à Montpensier, et Henri de Thorenc a pu encore assister, en la cathédrale de Reims, le 29 novembre, au sacre de Louis IX, fils du défunt.

Puis, le 7 décembre 1226, Henri de Thorenc s’en est allé à son tour, laissant à sa lignée un fils, Denis, le château et le fief de Villeneuve de Thorenc, et cette chronique qui s’achève sur le sacre d’un nouveau grand Capétien, Louis IX le Juste, qui sera sanctifié.

Je reprends la chronique de mon aïeul alors qu’il n’imagine pas que le roi Louis VIII, qu’il vient de voir sacrer à Reims, mourra dans à peine trois ans, et avant lui.

Henri de Thorenc est plein de fierté et d’assurance pour le nouveau règne qui commence. « Il n’est personne, écrit-il au début de l’année 1224, qui ne respecte la majesté royale. La Normandie ne lève pas la tête. La Flandre ne refuse pas de courber humblement le cou sous le joug d’un tel maître. »

Il ne rappelle pas qu’au nom d’Henri III, roi d’Angleterre, les barons qui soutiennent les Plantagenêts réclament la restitution des fiefs que Philippe Auguste a arrachés à Jean sans Terre.

Nous chevauchâmes en Poitou, se borne à indiquer Henri de Thorenc, où villes et barons se faisaient une guerre perpétuelle.

Le roi Louis VIII partit de Tours à la fin de juin 1224. J’étais à ses côtés.

Il décidait avec la même promptitude que le roi Philippe, et, comme lui, préférait conquérir en achetant les hommes qu’en les éventrant. Le roi s’en fut donc en Poitou, et avec lui ses chevaliers, mais les glaives restèrent au fourreau et il termina la guerre avec maints écrins de joyaux, maints tonneaux remplis de deniers.