Ainsi le sénéchal d’Aquitaine se détacha du service d’Henri III d’Angleterre, et Savari de Mauléon, qui tenait La Rochelle, accepta les offres du roi et livra la ville.
Les barons de Thouars et de Châtellerault se vendirent un bon prix.
Les évêques et les bourgeois de Limoges, de Périgueux, de Cahors rallièrent le roi de France.
Seule Bordeaux, qui fait commerce de vins avec l’Angleterre, refusa de se joindre au royaume de France.
Mais quand, au mois de septembre 1224, nous franchîmes les portes de Paris, la foule acclama le roi qui venait d’ajouter au collier royal la perle du Poitou.
38.
Il y avait des perles plus grosses et plus brillantes que le Poitou avec lesquelles on pouvait enrichir le collier royal, écrit Henri de Thorenc. L’Aquitaine était la plus attirante, avec ses vignes, ses villes grasses et riches.
Mais Louis VIII avait appris de son père la prudence.
Louis était aussi valeureux que Philippe Auguste, aussi désireux que lui d’augmenter le domaine royal, mais il ne succombait pas à l’avidité et à la témérité.
Il essaya de corrompre l’archevêque de Bordeaux afin qu’on ouvrît aux chevaliers de France les portes de la ville. L’entreprise échoua. Mais Louis ne renonça pas.
« À mon fils Louis le Neuvième, mon héritier, auquel je remets en possession directe la Normandie et le Trésor royal, je lègue le devoir de conquérir l’Aquitaine », dit-il à ses barons et chevaliers assemblés.
Louis le Neuvième n’était alors qu’un enfant de dix ans, mais je ne doutais pas que, portant l’oriflamme du roi de France, il serait vainqueur de ce tournoi contre l’Anglais.
Cette confiance dans la puissance du royaume de France, le pape Honorius III et les évêques du Languedoc comme ceux du pays de Toulouse la partageaient.
J’ai entendu le légat du pape, le cardinal de Saint-Ange, inviter Louis VIII à prendre la tête de la croisade qui achèverait de réduire l’hérésie albigeoise.
« Sire, disait le cardinal-légat, il faut agir au nom de la gloire de votre race, pour le plus grand bien de votre honneur et de votre salut. »
J’ai admiré l’impassibilité du roi qui me rappelait celle de Philippe Auguste avant qu’un accès de colère ne vienne la briser.
Louis VIII restait maître de lui-même, ne cédant jamais à la violence, énonçant d’une voix calme ses exigences.
La croisade devait être conduite par des évêques du royaume de France. L’Église en paierait les frais. Le roi de France et son armée auraient pleine liberté d’agir, et les croisés jouiraient des mêmes indulgences que s’ils allaient à Jérusalem. Les domaines du comte de Toulouse et des autres seigneurs du Languedoc, hérétiques ou fauteurs d’hérésie, reviendraient au roi ou à ceux qu’il désignerait.
J’ai vu la silhouette du cardinal de Saint-Ange s’affaisser au fur et à mesure que Louis VIII égrenait ces conditions.
Il s’inclina, se retira, revint quelques semaines plus tard, porteur d’un nouveau message d’Honorius III.
Le souverain pontife n’évoquait plus la croisade, mais les menaces que Louis VIII pourrait faire peser sur Raimond VII, comte de Toulouse :
« Raimond craint tellement la puissance de Votre grandeur, écrivait Honorius III, que s’il vous sait prêt à employer toutes vos forces contre lui, il n’osera plus tergiverser et obéira aux ordres de l’Église. »
La réponse de Louis VIII fusa, nette et brève : que l’Église trouve seule les moyens d’agir pour ramener le comte de Toulouse dans le droit chemin !
Je n’en avais jamais douté, mais Louis VIII venait d’administrer la preuve qu’il était, lui aussi, un grand roi capétien…
Il l’est pour une autre raison qu’Henri de Thorenc ne mentionne pas dans sa chronique.
Louis VIII entend que le pouvoir royal soit le glaive et le bouclier de ses sujets. Il les châtie et les protège. Il veut que l’ordre règne dans le royaume de France.
Mais le peuple du royaume subit « le feu sacré, le feu divin » : la peste, la lèpre.
Le roi participe aux processions, aux prières publiques, aux supplications. Il distribue des semences et du grain quand la famine accable les plus pauvres qui meurent par milliers, mangeant des herbes et des racines, des bêtes crevées et du marc de vin en guise de pain.
Les campagnes sont parcourues par des bandes de routiers qui pillent, violent et tuent. Ils brûlent les églises après les avoir dévalisées. Ils emmènent des troupeaux de prêtres et de religieux. Ils les forcent à chanter, les flagellent, exigent le paiement de rançons pour les libérer.
Ces démons foulent aux pieds les hosties consacrées et, des linges des autels, font des voiles pour leurs concubines.
Les chevaliers du roi encerclent ces routiers, noient des dizaines d’entre eux, égorgent les autres, crèvent les yeux à ceux qu’ils ne tuent pas.
Le roi attire d’autres bandes de soldats errants en leur promettant de leur verser leur solde. Ils accourent. Les sergents à cheval les chargent, les massacrent. Dix mille routiers sont tués après être tombés dans un autre piège.
« Ils se sont laissés saigner comme des moutons à l’abattoir. On trouva dans leur camp un amas de croix d’église, de calices d’or et d’argent, de bijoux portés par le millier de femmes qui les suivaient. »
Ainsi passe la justice du roi.
Elle frappe aussi les sujets qui s’organisent en confrérie dont les membres portent un capuchon de toile ou de laine blanche. Ils veulent constituer une « armée de la paix » capable de s’attaquer aux « routiers », mais refusent « insolemment l’obéissance aux grands… Ce peuple sot et indiscipliné a atteint le comble de la démence, écrit un témoin des actions et lecteur des écrits de cette Secta Caputiatorum. Ce peuple de capuchonnés ose signifier aux vicomtes et aux princes qu’il leur faut traiter leurs sujets avec plus de douceur sous peine d’éprouver bientôt les effets de son indignation… Ce fut, dans le royaume de France, un entraînement général qui poussa le peuple à se révolter contre les puissances. Bonne au début, son oeuvre ne fut que celle de Satan déguisé en ange de lumière… ».
Le roi aida les seigneurs, les archevêques et les évêques à débarrasser le royaume de cette secte fanatique. Les capuchonnés furent traqués comme des brigands et on lâcha contre eux ces routiers qu’on avait d’abord poursuivis et voulu exterminer.
Mais, entre deux maux, il fallait choisir, et les routiers, pillards cruels, étaient aussi des « piétons » et des « sergents » aguerris, qui, soldés, constituaient la « piétaille » de l’armée du roi de France.
Or le pape Honorius III et Louis VIII avaient besoin d’une armée royale puissante, glaive de la croisade à laquelle l’Église s’était résolue, malgré les conditions énoncées par le roi de France, l’hérésie en Languedoc n’ayant cessé de se développer.
À la fin du mois de mai 1226, écrit Henri de Thorenc dont je reprends ici la chronique, l’armée royale quitta Bourges pour gagner le Languedoc par Lyon et la vallée du Rhône.
On suivit la rive gauche du fleuve, effrayant ainsi les hérétiques du Dauphiné et de Provence, montrant la bannière à fleurs de lis au peuple du royaume d’Arles, terre de l’Empire romain et germanique de Frédéric II. On franchit le Rhône en Avignon et l’on mit le siège devant cette ville grosse d’hérétiques de toutes espèces, de fidèles de Raimond VII de Toulouse, vénéré là comme un sauveur.
On dressa le camp, on monta des machines de siège pour tenter d’ouvrir une brèche dans les puissants remparts.