Le cardinal de Saint-Ange, légat du pape, vint haranguer le roi et ses chevaliers :
« Il faut purger Avignon, dit-il, et venger l’injure faite au Christ ! »
La faim et la chaleur nous terrassaient. Des piétons et des chevaliers abandonnaient le siège. Les hommes tombaient, accablés par le soleil et la fièvre, et le roi Louis VIII lui-même succomba un temps à la maladie. Lorsqu’il fut rétabli, on lança en vain un assaut où trois mille hommes furent tués.
Avec sagesse le roi décida de ne plus tenter de prendre la ville de vive force. Il fit creuser un profond fossé entourant les remparts. Et, à la fin août 1226, les Avignonnais, affamés eux aussi, craignant le sort meurtrier qui avait frappé la population de Béziers et de Marmande, se rendirent.
Le Dieu clément et miséricordieux inspira le roi de France.
Il y eut remparts et maisons fortifiées détruits, fossés comblés, armes et machines de guerre livrées, contribution de six mille marcs d’argent versée, un moine de Cluny fut choisi comme évêque, et trente chevaliers entretenus pendant trois ans en Terre sainte par les marchands et les manieurs d’argent, mais aucun habitant ne fut égorgé, brûlé ou pendu. On n’entendit pas de cris d’effroi, et le sang ne coula pas. Ainsi la chute d’Avignon, ville forte, annihila la volonté de résister, et les conditions de sa reddition incitèrent à imiter son exemple.
« Une telle stupeur frappa les peuples de tout le pays que les villes jusqu’alors indomptées et toujours rebelles envoyèrent au roi des députés, avec des présents, pour déclarer qu’elles se livraient et étaient prêtes à obéir.
Nîmes, Beaucaire, Narbonne, Carcassonne, Montpellier, Castres se livrèrent.
Je lus au roi leur lettre de soumission :
“Nous baignons de nos pleurs, ô illustre Seigneur, les pieds de Votre Majesté et supplions Votre Altesse, avec des prières pleines de larmes, de recevoir miséricordieusement vos esclaves sous le voile de vos ailes.”
« Nous reprîmes, victorieux, le chemin de Paris par la route d’Auvergne. En ce mois d’octobre 1226, les sommets et vallées étaient ensevelis sous le brouillard et la pluie. Les arbres noirs pleuraient. »
39.
« Ce sont en effet jours de pleurs qui commencent en octobre 1226 », écrit Henri de Thorenc aux dernières pages de sa chronique.
Il mourut à Paris le 7 décembre 1226, veillé par Denis de Thorenc, son fils de douze ans.
C’était l’âge de Louis le Neuvième, fils de Louis VIII. L’enfant royal venait d’être sacré à Reims, le 29 novembre.
Je crois qu’Henri de Thorenc est, de ce fait, mort apaisé alors que les dernières pages de sa chronique étaient empreintes de son anxiété :
« Nous cheminons sur les routes d’Auvergne, écrivit-il. Le roi Louis le Huitième est allongé sur une litière à laquelle sont attelés des hommes et des chevaux.
Son visage est gris comme une mauvaise terre. Il vomit, le front et les joues couverts de sueur, et c’est comme si recommençait l’agonie de Philippe Auguste.
À Montpensier, le roi demanda qu’on fît halte.
On l’entoura. C’était le 3 novembre 1226.
Il nous demanda de jurer de faire couronner son fils Louis le Neuvième bien qu’il ne fût encore qu’un enfant de douze ans.
Il y avait autour de sa couche un bâtard légitimé, demi-frère du roi, fils d’Agnès de Méran, Philippe Hurepel, comte de Boulogne, des évêques et des archevêques, les comtes de Montfort et de Sancerre.
Mais manquaient de puissants barons et, parmi eux, le comte Thibaud IV de Champagne.
« Seigneur, punissez-moi si je répands la calomnie, mais elle courait de l’un à l’autre !
Elle chuchotait que Louis VIII ne mourait pas d’une fièvre contractée durant le siège d’Avignon, dans la chaleur poisseuse des rives du Rhône, mais du poison versé par un sbire de Thibaud IV. Car on prétendait que le comte de Champagne brûlait d’amour pour la reine Blanche de Castille.
« Enfin Dieu décida, le 8 novembre 1226, d’arracher le roi à ses souffrances et de l’appeler auprès de Lui.
J’ai prié au chevet de mon souverain comme je l’avais fait pour son père Philippe Auguste, et je me suis abîmé dans le mystère des desseins de ce Dieu qui rappelait le fils Louis VIII si peu d’années après le père.
Dans quelles intentions Dieu laisse-t-Il la couronne de France et le sceptre royal sur la tête et entre les mains d’un enfant ?
Moi, j’ai foi en l’amour de Dieu pour le royaume, et donc pour son jeune roi, Louis IX. »
LIVRE II
(1226-1270)
Saint Louis
« Nul ne tient davantage à la vie que moi. »
Saint Louis.
« Mon corps vous pourrez bien occire, mais mon âme, vous ne l’aurez pas. »
Saint Louis
à un Sarrasin qui menace de le torturer jusqu’à la mort.
première partie
(1226-1234)
« Certes, vous avez raison, je ne suis pas digne d’être roi. Et s’il avait plu à Notre Seigneur, il aurait mieux valu qu’un autre soit roi de France, qui sache mieux gouverner le royaume. »
Saint Louis.
(Guillaume de Saint-Pathus)
40.
Moi, Hugues de Thorenc, au moment où je commence d’écrire cette chronique de la vie du roi de France Louis le Neuvième, ma main tremble et ma vue se brouille.
J’ai connu ce roi qui, en souvenir du lieu de son baptême, aimait à ce qu’on le nommât Louis de Poissy.
Je suis né quarante-deux ans après lui, en avril de l’an 1256. Ma mère est morte en couches, et je n’ai point connu la peau soyeuse de ses mains ni la douceur de sa voix.
C’est la poigne de mon père, Denis de Thorenc, qui a serré ma nuque, ce sont ses ordres que j’ai entendus. Et c’est du roi de France qu’il m’a conté les exploits.
Il était né, comme Louis le Neuvième, en l’an 1214. Il avait été le compagnon de jeux de celui qu’il appelait « mon suzerain, frère royal devant Dieu ». Il ne l’avait plus quitté, fidèle à la lignée des comtes Villeneuve de Thorenc qui furent tous chevaliers, vassaux des rois capétiens et chroniqueurs.
Et je le suis aussi, moi, Hugues de Thorenc, qui, à soixante-six ans, ai entrepris la tâche, alors que règne Philippe V le Long, de rédiger cette chronique dont les trois piliers majeurs sont les vies de Philippe II Auguste, le Conquérant, Louis IX, le Croisé, et celui que j’ai nommé Philippe IV le Bel, l’Énigmatique.
Mais si ma main tremble et ma vue se brouille, c’est que Louis IX le Croisé est plus que l’un des trois piliers, plus qu’un roi fondateur : il est la cathédrale capétienne. C’est lui qui fit construire la Sainte-Chapelle pour accueillir des saintes reliques, dont la couronne d’épines du Christ martyr.
Lui-même est le roi martyr, mort sur la terre infidèle du royaume de Tunis, le 25 août 1270.
Il est Saint Louis, canonisé le 9 août 1297 durant le règne de son petit-fils Philippe IV le Bel, l’Énigmatique.
J’étais alors déjà vieux de quarante et une années.
Mon père était mort depuis vingt-six ans déjà. Il avait trouvé la force, malgré les fièvres qui souvent le terrassaient, d’accompagner le corps de son roi de Carthage à Saint-Denis où Louis de Poissy, son « suzerain, frère royal devant Dieu », fut enseveli le 22 mai 1271.
Et lui, Denis, comte de Thorenc, mourut la même année, le 8 septembre.
En 1271, j’avais quinze ans et je n’imaginais pas que Dieu me laisserait vivre assez longtemps pour que je servisse successivement Philippe III le Hardi, Philippe IV le Bel, l’Énigmatique, Louis X le Hutin, et Philippe V le Long.