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Ainsi sont les hommes, ainsi sont les rois.

Avant d’être ventru, énorme, gras et presque impotent, Louis avait été leste et vif dans ses mouvements, malgré sa haute stature et une corpulence qu’il eut toujours forte.

Il fut grand chasseur de sangliers, de cerfs et même de loups, et mit la même ardeur à poursuivre les femmes.

Il avait le visage avenant mais un teint blême. Le bruit se répandit qu’il devait cette pâleur grisâtre au poison dont sa marâtre, Bertrade, avait versé chaque jour un peu dans son vin. Cette femme qui avait supplanté la reine, morte de chagrin d’avoir été chassée, avait décidé de tuer ainsi Louis.

Dieu ne l’a pas voulu.

Louis le Gros épousa Adélaïde de Savoie, fort laide mais fertile génitrice, qui donna six fils et trois filles à son royal époux. Après Louis VI, la lignée capétienne était donc assurée.

À l’instigation de son suzerain, Martin de Thorenc rompit de son côté le voeu de chasteté des chevaliers du Temple et prit Blanche de Cabris pour épouse. Elle lui donna un fils, Eudes, qui fut le premier bourgeon des Thorenc.

Et je suis issu de cette souche.

Servir le roi Louis le Gros, ce fut d’abord garder le glaive à la main et sentir le poids de l’armure sur ses épaules et sur sa nuque.

Il fallut affronter Henri Ier, le plus jeune des fils de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, qui était aussi roi d’Angleterre, vassal de Louis VI d’une part, souverain de l’autre.

Leur guerre dura vingt-cinq ans.

« Après avoir été mon allié, devait dire Louis VI le Gros au concile de Reims tenu sous la présidence du pape Calixte II, le roi d’Angleterre m’a fait, à moi et à mes sujets, beaucoup de torts matériels et d’injures : il s’est emparé violemment de la Normandie… »

Dieu a-t-Il choisi de venger et d’aider le roi de France, le Très Chrétien ?

Comment ne pas s’interroger quand je lis le naufrage de La Blanche Nef ?

Le fils aîné d’Henri Ier d’Angleterre et presque toute la famille royale avaient embarqué sur ce navire à Barfleur. Le clair de lune rendait la nuit aussi claire que le jour. Les jeunes nobles qui accompagnaient la famille royale étaient joyeux et, ivres, offrirent à boire à l’équipage et au pilote.

Qui, une fois larguées les amarres, se souciait des récifs, des périls d’une navigation nocturne ?

Le navire se brisa sur les hauts-fonds et coula à pic, entraînant l’équipage et ses passagers. Un boucher de Rouen survécut seul à cette catastrophe qui fut suivie peu de temps après de la mort d’Henri Ier, roi d’Angleterre et duc de Normandie.

On célébra à la cour de Louis VI la volonté de Dieu, on pria pour l’âme des défunts. Et le roi de France put croire qu’il avait vaincu.

Le duc d’Aquitaine Guillaume X pensa de même. Il se savait au bord de la fosse et voulait que sa fille Aliénor, dont on disait que la beauté et la grâce éblouissaient comme le soleil, conservât son fief. Et il choisit pour époux le fils aîné de Louis VI, Philippe, un jeune chevalier de dix-sept ans, qui se mit à rêver d’Aliénor.

Mais qui peut disposer des jours à venir ?

Qui pouvait ajouter foi à cette prophétie de Bernard de Clairvaux, qui écrivait à Louis VI :

« Puisque vous ne voulez pas nous entendre, respecter les droits de l’Église en la personne de ses évêques, votre impiété sera punie par la mort de votre premier-né, Philippe, que vous venez de faire sacrer. La nuit dernière, en effet, je vous ai vus en songe, vous et votre fils cadet, Louis, prosternés auprès des évêques que vous avez méprisés hier, et j’ai compris que le décès de votre fils Philippe allait vous forcer à supplier l’Église. Seule elle est en droit de vous accorder votre second fils à la place de son frère aîné. »

Puissance de Bernard de Clairvaux dont les paroles sont l’écho de la voix de Dieu !

Philippe, fils de Louis VI, mourut en effet, et c’est Louis, son second fils, qui, au mois de juillet 1137, quitta les bords de Seine pour gagner Bordeaux et y célébrer son mariage avec Aliénor d’Aquitaine. Louis était entouré d’une somptueuse escorte de hauts barons, d’archevêques et d’évêques. Martin de Thorenc chevauchait à ses côtés à la tête d’une armée levée pour occuper l’Aquitaine. Le mariage fut célébré en la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Quelques semaines plus tard, à Poitiers, les jeunes époux reçurent la couronne ducale d’Aquitaine.

Louis avait dix-sept ans, Aliénor, quinze. Ils avaient des ancêtres communs et Bernard de Clairvaux avait attiré l’atten tion de Louis VI sur cette consanguinité des époux. On n’unit pas les sangs qui ont même source. Mais dispense fut accordée et on murmura que Bernard avait surtout tenu à mettre en garde contre cette jeune Aliénor dont on disait qu’elle aimait la compagnie des chevaliers et des troubadours, et qu’elle riait et se pâmait un peu trop à les entendre.

On murmurait aussi que Louis avait été voué à l’Église et que seule la mort de son aîné lui avait fait renoncer à ses voeux ecclésiastiques.

Dieu l’avait voulu ainsi.

Peu après son mariage, alors qu’il regagnait l’Île-de-France, Louis apprit que son père, Louis VI le Gros, était mort le 1er août 1137, revêtu de l’habit monastique.

On avait étendu son corps sur un tapis où l’on avait essaimé des cendres de manière à ce qu’elles dessinent une croix.

2.

Il est Louis VII le Jeune, le roi Très Chrétien.

Il n’a que dix-sept ans en cette année 1137.

Il ne se lasse pas, lui qui fut promis à l’Église et fut élève du cloître Notre-Dame, de regarder sa jeune femme, Aliénor, qui réunit autour d’elle troubadours et chevaliers, suit distraitement la messe, se moque des évêques et des moines, soupire lorsqu’elle est contrainte d’écouter Bernard de Clairvaux, qui ne cesse de répéter l’imprécation biblique : « Malheur à la terre dont le roi ne sera qu’un enfant ! »

Mes aïeux, Martin de Thorenc et son fils Eudes, rapportent que Louis VII éprouve pour Aliénor d’Aquitaine un « amore immoderato », une tendresse passionnée et jalouse.

Il lui doit d’être duc d’Aquitaine et revêt souvent le costume ducal.

Entouré de ses chevaliers, il chevauche, porte l’épée et l’écu, cuirassé du haubert et coiffé du casque conique. Ce duché d’Aquitaine qu’il parcourt, découvrant sa richesse en pâtures, cultures et vignobles, s’étend de Châtellerault à Bayonne, du Puy à Bordeaux.

Mais Louis VII est aussi ce roi sacré qui s’assied sur le trône, ses longs cheveux tombant sur ses épaules, tenant le sceptre royal de la main droite, représenté sur son sceau une fleur de lis à la main gauche.

Il gouverne, conseillé par l’abbé de Saint-Denis, Suger, et il assiste à la consécration du sanctuaire dont les hautes colonnes, les voûtes, les tours, les vitraux aux couleurs vives exaltent la gloire et la puissance de Dieu. Là sont les reliques et les tombeaux des rois.

En ce jour de consécration, le peuple se rue dans l’abbaye pour communier, admirer, prier, solliciter, et Louis VII doit à grands coups de bâton se frayer passage dans cette foule enivrée par la foi.