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Louis subissait avec patience et humilité, et, lorsqu’il lisait dans mes yeux la révolte, il disait avec solennité :

« Ma mère le veut, Dieu le dicte ! »

Heureusement, nous chevauchions au grand galop dans les forêts comme de jeunes chevaliers, nous brandissions nos glaives que nous avions peine à soulever tant ils nous paraissaient lourds.

Mais, alors que je me laissais emporter par l’ardeur de la course et des jeux de tournoi, Louis gardait son air calme et réfléchi, ne tutoyant aucun de ses compagnons, et nous interdisant de chanter les « chansons du monde » pleines de joliesses et de sentiments d’amour. Il nous faisait apprendre les stances à la gloire de Notre-Dame qu’il nous fallait réciter avec foi et humilité.

Il nous remerciait au nom de Dieu Tout Puissant qui l’avait fait roi, et inclinait vers nous sa haute taille, son visage plein de grâce et de bonté.

Un matin, peu après son sacre, au début de cette année 1267, celle de ses treize ans, je l’ai vu distribuer aux pauvres qui s’étaient rassemblés dans la cour de son hôtel une grosse somme de deniers.

Un religieux qui l’avait aperçu depuis l’embrasure d’une fenêtre lui dit :

– Sire, roi, j’ai vu vos méfaits !

– Très cher frère, lui répondit Louis, les pauvres sont mes soutiens, je ne leur ai pas payé tout mon dû. Ce sont eux qui attirent sur le royaume la bénédiction de la paix.

Mais les temps n’étaient pas à la paix pour le royaume de France.

« Le roi est un enfant », dit mon père de sa voix usée de vieil homme qui vient, au mois de mai 1271, de porter en l’abbaye de Saint-Denis le corps du roi, mort à Carthage en croisade.

Lui qui sait qu’il va bientôt suivre son « suzerain jumeau » se souvient de leur enfance partagée, de ces années 1227-1228 où les barons se liguèrent.

« Le roi est un enfant », reprend-il, et Madame Blanche, une femme étrangère qui n’a ni parents ni amis dans le royaume de France.

Je vois souvent, près d’elle, le légat du pape Honorius III, le cardinal de Saint-Ange, Romain Frangipani, qui la conseille, penché cérémonieusement, lui chuchotant à l’oreille. Elle l’écoute, cède aux supplications de la comtesse Jeanne de Flandre dont elle libère le mari, le comte Ferrand, enfermé dans la tour du Louvre pour félonie depuis qu’il fut fait prisonnier à Bouvines, le 27 juillet 1214. Treize ans de chaînes dans l’obscurité glacée des cachots !

Il faut, pour qu’il retrouve le ciel libre, payer 50 000 livres à Madame Blanche, donner en gages les places de Lille, de Douai et de l’Écluse, et l’hommage des autres riches villes flamandes.

Quant au second baron prisonnier, Renaud de Dammartin, qu’il achève de pourrir dans son cachot ! Ses fiefs, son titre de comte de Boulogne ont été attribués à Philippe Hurepel, l’oncle du roi Louis.

Mais Hurepel est l’un des chefs de la coalition des barons.

Alors, en selle !

J’ai chevauché près du roi en tête d’une armée que conduisait la régente Blanche de Castille.

On rallie Thibaud IV de Champagne. On isole ainsi Pierre Mauclerc, comte de Bretagne, et Hugues de Lusignan, comte de la Marche, époux d’Isabelle d’Angoulême, mère d’Henri III, roi Plantagenêt d’Angleterre.

J’ai entendu Blanche de Castille dire au roi son fils :

« Une paix imparfaite vaut mieux qu’une méchante guerre. »

Puis, après que nous fûmes entrés dans Vendôme où un traité devait être signé entre les barons et la régente, elle dit encore à Louis :

« Payer pour la paix vaut mieux que dépenser son or en guerre. »

Il fut versé force argent, terres et châteaux, de riches revenus aux barons pour qu’ils s’engagent à servir le roi envers et contre tous.

Mais, malgré ce traité de Vendôme, un roi enfant et une régente étrangère restaient des proies pour les barons jaloux du pouvoir et avides de richesses. Philippe Hurepel prit la tête de cette nouvelle coalition des ambitions et des félonies.

Un jour, me conta mon père, sur la route qui de Vendôme conduit à Paris par Orléans, un paysan, avec de grands gestes de bras, nous apprit que l’armée des barons se trouvait rassemblée à Corbeil dans le but proclamé de s’emparer du roi de treize ans et d’en déposséder Madame Blanche, la régente étrangère, vouée à l’exil, voire au couvent ou au cachot.

Madame Blanche tourna bride et nous nous réfugiâmes à Montlhéry.

Je me trouvais – poursuivit mon père qui revivait là les émotions de son enfance – auprès du roi et de sa mère, et l’un et l’autre eurent le calme des chevaliers aguerris, décidant de ne reprendre la route que lorsque les habitants de Paris les feraient quérir en armes.

Et Madame Blanche manda des messagers à Paris.

Après quelques jours durant lesquels, par nos prières, nous sollicitâmes l’aide de Dieu, nous entendîmes des cris sous les remparts de Montlhéry et nous vîmes la foule des sujets du roi, en armes, venue de Paris.

Nous nous mîmes en chemin. Et ils nous firent cortège tout au long de la route jusques à Paris.

Tous criaient à Notre Seigneur qu’il donnât au roi bonne et longue vie, le défendît et le gardât contre ses ennemis.

Je vis, de Montlhéry à Paris, le roi ému aux larmes et l’entendit remercier Dieu et ses sujets.

« Même les serfs appartiennent à Jésus-Christ, comme nous, dit-il, et dans un royaume chrétien, nous ne devons pas oublier qu’ils sont nos frères. »

44.

« Louis désirait être le frère en Jésus-Christ du plus humble des hommes », a répété mon père comme s’il voulait que, de l’enfance et des années de la minorité du roi, je retienne d’abord son humilité, son esprit de charité, sa foi.

Parfois je m’impatientais, souhaitant entendre le récit de la guerre conduite par Blanche de Castille contre les barons rebelles, ou bien comment la régente, accompagnée du jeune roi – il avait à peine quinze ans en 1229 –, chevauchait en tête de l’armée royale pour faire cesser les guerres privées opposant les barons entre eux, et d’abord Thibaud IV de Champagne, accusé par ses pairs de les trahir au profit de la reine régente.

Mais mon père errait dans ses souvenirs.

Il me rapportait comment le roi avait gourmandé Jean de Joinville qui lui avait avoué n’avoir aucun désir de laver les pieds des pauvres, le Jeudi saint.

« C’est vraiment mal parlé, avait répondu Louis. Car vous ne devriez jamais dédaigner ce que Dieu a fait pour nous enseigner. Ainsi, je vous prie, pour l’amour de Dieu d’abord, et puis aussi pour l’amour de moi, de vous accoutumer à les laver. »

« J’ai lavé les pieds des serfs, noircis de terre et crevés de plaies, comme faisait le roi », ajouta mon père.

Son corps s’était tassé, il avait fermé les yeux pour se recueillir sur ses réminiscences, puis, se redressant, il reprit :

« À une pauvresse qui l’accusait d’enrichir ses clercs au lieu de nourrir les affamés qui mordaient tant ils avaient faim dans l’écorce des arbres, j’ai entendu Louis répondre : “Certes, vous avez raison, je ne suis pas digne d’être roi. Et s’il avait plu à Notre Seigneur, il aurait mieux valu qu’un autre soit roi de France, qui sache mieux gouverner le royaume.” »

« Louis fut le plus saint des rois, poursuivait mon père. Il était le frère des humbles, il oeuvra pour la gloire de l’Église, fut le souverain des cathédrales. Elles se dressent, avec leurs vitraux et leurs statues et leurs portails, à Paris pour Notre-Dame, à Chartres, à Reims, à Amiens.