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Et Trencavel avait fait allégeance au roi.

Il en avait été de même, l’année suivante, contre le comte de la Marche.

Les troupes royales disposaient désormais du château d’Angers qui dressait ses dix-sept tours au coeur de l’ancien domaine Plantagenêt.

Les Anglais d’Henri III avaient débarqué pour tenter d’aider leurs alliés poitevins, mais les hommes du comte de la Marche et ceux du roi d’Angleterre avaient été battus à Taillebourg et à Saintes, en juillet 1242.

Quant à Thibaud de Champagne, encore tenté par une félonie, il s’était une nouvelle fois soumis, livrant ses châteaux de Montereau et de Bray-sur-Seine.

Le frère du roi, Robert d’Artois, recevant son hommage, lui avait jeté au visage un fromage frais, lui criant qu’il n’était qu’un lâche !

Thibaud s’était humblement essuyé le visage, humilié devant une foule de chevaliers et de barons.

Il ne restait plus à ces vassaux félons, vaincus et repentants, qu’à porter la croix et à partir en Terre sainte. Ce que nombre d’entre eux firent, bénis par les évêques en présence du roi qui pria pour le succès de la croisade.

Il n’évoquait jamais la tentation qui le tenaillait de se joindre lui aussi à cette milice du Christ qui voulait empêcher les Infidèles de s’emparer du Saint-Sépulcre, mais je savais que cette pensée ne le quittait pas.

Il était plus que jamais dévot, serviteur de la Sainte Église de Dieu.

Quand, dans l’abbaye de Saint-Denis, on égara une sainte relique, l’un des saints clous avec lesquels on avait crucifié le Christ, il en éprouva une grande douleur.

Il fit commander et crier dans tout Paris, par les rues et les places, que si quelqu’un savait quelque chose de la perte du saint clou, et si quelqu’un l’avait trouvé ou recélé, il devait le rendre aussitôt et aurait cent livres de la bourse du roi.

La douleur se propagea. On pleurait dans tout le royaume de France. Je sais que le roi craignit que cette perte n’annonçât de grands tourments.

Puis, comme après l’orage, le ciel s’illumina de l’arc des couleurs, car le Clou avait été retrouvé.

Pour remercier Dieu de cette grâce, le roi se rendit plus souvent encore à l’abbaye de Royaumont dont il avait voulu la construction.

Avec ses parents et ses chevaliers j’avais, à ses côtés, porté sur des litières, avec les moines cisterciens, les pierres destinées à élever cette abbaye qui unissait le roi à l’ordre de Cîteaux, pour la plus grande gloire de la Sainte Église.

Quand elle fut achevée, en 1235, le roi en fit la nécropole de ses enfants morts, et il y vint laver les pieds « rogneux et horribles » des pauvres, avec humilité et dans la discrétion, choisissant des mendiants aveugles afin qu’on ignorât que le roi faisait acte de piété.

Il y avait à l’abbaye un frère nommé Léger qu’on avait isolé des autres parce qu’il était à ce point dévoré de lèpre que, le nez mangé, les yeux perdus, les lèvres fendues ruisselant de pus, il était abominable.

Ce frère Léger devint le favori du roi qui priait l’abbé de l’aller voir en sa compagnie.

Louis s’agenouillait devant le frère lépreux et le faisait manger.

Tel était le roi que mon père voulait que je connusse. Cette mission-là, qu’il s’était donnée, le maintenait en vie.

50.

Le roi approchait de sa trentième année et j’allais dans ses pas, disait mon père, lié à lui depuis l’enfance, ayant appris à connaître ses humeurs comme un paysan qui sait à un souffle de vent que l’orage va se déchaîner, et qui se précipite pour rentrer la moisson.

Je savais que le roi, satisfait d’avoir contraint ses vassaux félons du Poitou, de Champagne et de Bretagne à faire allégeance, se souciait des anciens pays d’hérésie que Raymond Trencavel avait échoué à soulever.

Mais le rebelle avait mis le siège devant Carcassonne, défié l’armée royale, et il avait fallu ces grappes de pendus aux arbres pour qu’il cédât enfin.

Cependant, le roi mécontent s’emportait.

Dans ces terres où l’hérésie poussait avec la vivacité d’une mauvaise herbe, Raimond VII de Toulouse ne s’était soumis que du bout des lèvres, et ne respectait pas les traités qu’il avait signés.

Des chevaliers dépossédés, ceux de Carcassonne et de Béziers, l’incitaient à se dresser contre les « Français ». Ces « faydits » – ces bannis –, liés à l’hérésie, protecteurs des Bons Hommes, s’indignaient de l’action des inquisiteurs.

Ces juges du pape traquaient en effet les hérétiques, dressaient des bûchers, y jetaient vifs tous ceux qu’ils suspectaient, qu’ils eussent avoué sous la torture ou eussent refusé de renier leur foi.

Et puis, il y avait ces châteaux comme des nids d’aigle accrochés aux cieux : Montségur, Quéribus, situés sur les frontières du Roussillon. Ces forteresses étaient des refuges défendus par quelques centaines d’hommes fidèles au vicomte Pierre de Fenouillet, à son lieutenant Chabert de Barbera, protecteurs de l’hérésie albigeoise.

J’étais auprès du roi et de Blanche de Castille quand un messager leur apprit que le 29 mai 1242, deux inquisiteurs, le frère Arnaud Guilhem, de Montpellier, et le frère Étienne, de Narbonne, ainsi que tous les membres de leur tribunal – une dizaine d’hommes –, qui se trouvaient à Avignonet, dans le Lauragais, sur les terres de Raimond VII, avaient été massacrés à coups de hache, d’épée et de lance par un parti d’hérétiques venus de Montségur.

Je n’avais jamais vu Louis IX et sa mère s’abandonner ainsi à la fureur.

Le roi, Blanche de Castille, comme les clercs qui les entouraient, mirent en cause Raimond VII, coupable d’avoir laissé préparer et s’accomplir le massacre sacrilège.

L’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, excommunia le comte de Toulouse. J’entends encore la voix de Blanche de Castille, frémissante d’indignation, ordonner – et le roi approuvait en se signant – qu’on « tranchât la tête du dragon », que l’armée royale commandée par le sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis, soumît Raimond VII et détruisît le château de Montségur.

Après avoir remporté quelques succès, le comte de Toulouse s’en remit, en janvier 1243, à Lorris, à la miséricorde royale et promit de faire prêter serment de fidélité au roi de France par tous ses sujets, qu’ils fussent serfs, clercs, bourgeois ou chevaliers.

Le vicomte de Narbonne et le comte de Foix se soumirent à leur tour et Raymond Trencavel confirma qu’il renonçait à ses droits sur Carcassonne et Béziers.

Tous les biens de Raimond VII, qui n’avait pas d’héritiers mâles, passèrent à sa fille, mariée à Alphonse de Poitiers, l’un des frères du roi de France.

Le Languedoc était ainsi réuni au domaine royal.

Mais il restait encore à trancher la tête du dragon, ajouta mon père au bout d’un silence.

Il s’enfonça dans l’un de ces sommeils inattendus qui m’inquiétaient tant que j’étais tenté de les interrompre pour me rassurer.

Mais, à la fin, je les respectais, assis près de lui, veillant à ce que la couverture de fourrure recouvrît ses épaules qui parfois étaient agitées d’un brusque tremblement.

La mort et la vie se disputaient encore ce corps vieilli, cette âme toute emplie de souvenirs.

Il s’est enfin réveillé comme s’il n’avait somnolé qu’un bref instant et a repris son récit là où il l’avait laissé :

– J’ai vu les yeux du dragon, a-t-il murmuré.

Il avait été envoyé par le roi auprès du sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis, de l’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, et de l’évêque d’Albi, Durant, qui conduisaient l’armée royale.