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« Le roi d’Angleterre ne manque de rien, dit Louis VII ; hommes, chevaux, or, soie, diamants, gibier, fruits, il a tout en abondance. Nous, en France, nous n’avons que du pain, du vin et de la gaieté. »

Et pourtant, Louis VII rit peu, trempe à peine ses lèvres dans le vin, se plaît à vivre au milieu des chanoines de Notre-Dame. Et le pape Alexandre III lui envoie solennellement la « Rose d’or » pour saluer en lui le souverain le plus attaché à l’Église apostolique et romaine.

Face à Henri Plantagenêt, homme de guerre, de passion et d’ambition, c’est dans sa piété et son alliance avec le pape qu’il espère trouver force et appui.

« Notre Souverain Très Chrétien », dit Martin de Thorenc, accueille, protège, soutient l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, qui défend les privilèges de son Église contre le pouvoir d’Henri Plantagenêt qui entend le soumettre.

Le souverain d’Angleterre veut être, dans son île, « roi, empereur, légat apostolique et patriarche », et il dénonce Thomas Becket, son ancien chancelier :

« Un homme qui a mangé mon pain, qui, à ma cour, vint pauvre, et que j’ai élevé au-dessus de tous, le voilà qui, pour me frapper aux dents, dresse son talon, avilit ma race et mon règne ! J’ai du chagrin plein le coeur ! Personne ne me vengera donc de ce clerc ? »

Ils furent quatre parmi les chevaliers du roi anglais à croire qu’Henri Plantagenêt exprimait là un souhait précis, donnait en somme un ordre.

Ils embarquent pour l’Angleterre, gagnent Cantorbéry, et, le 29 décembre 1170, égorgent au pied de l’autel Thomas Becket, l’archevêque.

« Ce malheur, ce crime, Dieu ne les pardonna pas. Notre Seigneur se souvint alors de Louis VII, le Très Chrétien, qui, abandonné par Lui, avait roulé au fond du grand abîme. »

Et Dieu l’aida alors à échapper au malheur suprême, qui est d’être oublié par Notre Seigneur.

6.

Martin et Eudes de Thorenc furent parmi les premiers à apprendre que la nouvelle reine de France, Adèle de Champagne, qui avait épousé Louis VII en 1160 à la mort de Constance de Castille, avait donné naissance à un fils le 21 août 1165. Par ce signe, chacun en fut persuadé, Dieu voulait montrer que Louis VII était entré en grâce divine.

Cela faisait vingt et une années que le roi de France attendait la naissance de cet héritier qui fut prénommé Philippe, plus tard appelé Auguste.

La chambre royale était close, mais, impatients, Martin et Eudes de Thorenc, de même que quelques autres, regardèrent par une fente et aperçurent d’abord la reine qui pleurait de joie, mêlant larmes et rires, puis l’enfant que Louis VII soulevait, nu, et chacun pouvait voir qu’il s’agissait d’un garçon.

Aussitôt l’on se mit à crier pour annoncer la grande et bonne nouvelle qui assurait la succession du roi.

Martin de Thorenc écrit :

« Qui n’a pas vécu cette nuit-là ne sait pas ce qu’est l’amour d’un peuple pour son roi. Les églises s’ouvrent au son des trompettes. Des cortèges précédés de porteurs de torches et de cierges envahissent les rues et les places. Les cloches sonnent et se répondent. Un chapelain va de monastère en monastère porter la nouvelle. »

Eudes de Thorenc raconte que, lorsque le chapelain pénétra dans le monastère de Saint-Germain-des-Prés, les moines chantaient à matines : « Béni le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’Il a visité et racheté son peuple ! »

Martin de Thorenc a entendu deux pauvres vieilles qui tenaient chacune un cierge allumé, qui couraient comme des folles et criaient à un étudiant anglais qui les interrogeait sur les causes de leur sarabande :

« Nous avons un roi que Dieu nous a donné, un superbe héritier royal par la main de qui votre roi à vous recevra un jour honte et malheur ! »

Ce fils, Philippe Auguste, c’était, après tant d’humiliations et de dépits, la force et le prestige retrouvés. D’autant qu’il semblait inspiré par Dieu.

À quatre ans, en 1169, présenté à Henri Plantagenêt qui le regarde, les yeux voilés par le mécontentement, Philippe Auguste dit au rival de son père qu’il faut aimer le roi Louis VII, la France, et lui-même, prince héritier, « afin d’obtenir par là les bonnes grâces des Dieux et des hommes ».

« Dieu a inspiré ce jour-là l’esprit et la langue de cet enfant d’élection », déclare Martin de Thorenc, témoin de la rencontre.

La naissance de Philippe Auguste incitait les détenteurs de fiefs et de bénéfices à louer le roi, à lui faire acte d’allégeance alors qu’ils n’étaient pas ses vassaux et que leurs possessions étaient situées sur des terres plus ou moins éloignées du domaine royal.

Une princesse bretonne envoie ainsi à Louis VII un messager porteur d’une missive dans laquelle cette fille du comte de Richemond supplie le roi de lui offrir, « à moi qui vous aime tant, quelque insigne amoureux… Sachez que j’aimerai mieux être mariée à l’un de vos sujets, si humble soit-il, que d’épouser le roi d’Écosse… J’irai à Saint-Denis pour faire mes dévotions et aussi pour avoir le bonheur de vous voir… ».

En Champagne, en Bourgogne, on recherche la protection de Louis VII en même temps qu’on célèbre Philippe Auguste.

« Souvenez-vous, dit en 1166 l’abbé de Cluny à Louis VII, que votre royaume ne se compose pas seulement de la France, bien qu’il en porte spécialement le nom. La Bourgogne aussi est à vous. Vous ne devez pas moins veiller sur celle-ci que sur celle-là. »

En Bresse, en Bugey, en Vivarais, en Dauphiné, on appelle le roi : « Venez dans ce pays où Votre présence est nécessaire. »

Les religieux de la Grande-Chartreuse manifestent leur joie quand ils apprennent la naissance du dauphin : « Ils reconnaissent là la main de Dieu. »

L’abbé de la Chaise-Dieu et l’abbé de Vézelay, là où saint Bernard a prêché la croisade aux côtés de Louis VII, s’adressent au roi leur protecteur :

« Nous vous remercions de l’ineffable affection de coeur que vous n’avez cessé de témoigner, en paroles et en actes, à notre personne et à notre Église. Sachez que dans tous les sacrifices, psaumes, cantiques, hymnes spirituels offerts par nous à Dieu tous les jours, votre souvenir tient une large place… », écrit ainsi l’abbé de la Chaise-Dieu.

Celui de Vézelay conclut sa lettre au roi en écrivant : « Je remets entre vos mains ces privilèges, tant apostoliques que royaux, ainsi que l’abbaye de Vézelay elle-même. Disposez de tout suivant les convenances de votre justice. »

L’archevêque de Narbonne, l’abbé de Saint-Gilles prient pour le roi de France : « Votre grâce magnifique nous a rendus tranquilles et heureux. Nous avons confiance en vos bienfaits, en votre protection, plus qu’en celle d’aucun autre mortel. »

Les habitants de Toulouse, menacés par l’« Anglais » Henri Plantagenêt, se tournent vers Louis VII :

« Ne laissez pas plus longtemps détruire Toulouse, qui est votre ville ; nos concitoyens, qui sont à vous ; cette terre, qui est la vôtre. »

En ces années qui suivent la naissance de Philippe Auguste, j’entends ces voix qui viennent de toute la terre de France et qui s’assemblent, se recouvrent pour constituer comme une cotte de mailles, celle d’un grand royaume de France allant du Languedoc à la Flandre, de la Bourgogne à la Bretagne.

J’écris ceci en 1322, après les règnes de Philippe Auguste, de Saint Louis et de Philippe le Bel, après que ces grands rois, ces fondateurs du royaume, ont chacun à leur manière martelé, pour l’unir et la durcir, cette cotte de mailles.