Выбрать главу

– La duchesse n’a pas dit tout cela, fit-il sur un ton plus conciliant mais sans songer un seul instant à s’excuser. Elle s’est contentée de donner la liste de ses invités d’avant-hier…

– Et elle a mis sur la liste Morosini tout court ?

– N… on. Elle a indiqué votre titre et je vous confronterai avec le serviteur, mais il demeure que si de lourdes présomptions pèsent sur vous c’est parce que l’un de vos pairs… j’entends l’un des participants à la fête est convaincu de votre culpabilité. Cette personne dit que vous portiez au tableau un intérêt suspect, et comme il s’agit d’une personnalité tout à fait….

– Laissez-moi deviner ! Mon accusateur c’est le marquis de Fuente Salida, au moins ?

– Je… je n’ai pas à vous donner mes sources.

– Oh, mais si, vous allez me les donner, parce que je n’accepte d’être confronté au serviteur que si vous faites venir aussi ce personnage… dont vous ignorez peut-être qu’il éprouve pour le tableau en question une véritable passion. Moi je n’ai fait que le regarder : lui, j’ai cru un moment qu’il allait le couvrir de baisers…

– On n’embrasse pas un tableau ! émit Gutierez non seulement fermé à toute forme d’humour mais proprement scandalisé.

– Pourquoi pas si l’on est amoureux de la personne qu’il représente ? Vous n’avez jamais embrassé une photo de votre femme, vous ?

– La señora Gutierez, mon épouse, n’est pas de celles avec qui l’on se livre à ce genre de privautés.

Ça, Morosini voulait bien le croire ! Si elle ressemblait à son seigneur et maître, ce devait être un véritable remède contre l’amour. Mais on n’était pas là pour ergoter sur la vie privée du comisario.

– Quoi qu’il en soit, je maintiens que si quelqu’un a des liens avec ce tableau, c’est bien lui.

– Vous aussi à l’entendre. Alors qui croire ?

– Mettez-nous face à face et vous verrez bien… L’autre ne se rendait pas encore. Il gardait dans sa manche un argument qu’il croyait massif :

– Vous exercez bien la profession d’antiquaire ?

– Oui, mais les tableaux ne sont pas ma partie. Je suis spécialisé dans les pierres précieuses et les joyaux anciens. Et, si vous voulez tout savoir, en cherchant à examiner le fameux portrait c’était surtout le rubis que la reine porte au cou que je souhaitais voir de près. Le peintre l’a rendu avec un extrême talent et j’ai tout lieu de croire que cette pierre est l’une de celles que je recherche pour un client…

– Et vous croyez que je vais avaler ça ?

– Écoutez, señor comisario, que vous le croyiez ou non m’est tout à fait indifférent. Alors, si vous le voulez bien, nous allons nous rendre ensemble à la Casa de Pilatos où vous formulerez votre accusation en présence de la duchesse, de son serviteur et de don B… du marquis de Fuente Salida que vous voudrez bien faire chercher…

– C’est exactement mon intention, mais pas sous vos ordres et je vous conseille de ne pas le prendre de si haut ! Mener l’enquête est « mon » travail et je vais prendre les dispositions pour organiser cette réunion… demain à l’heure qui conviendra à la duchesse. En attendant, vous, je vous garde sous surveillance !

– J’espère que vous n’entendez pas m’obliger à rester ici ?

– Pourquoi pas ? J’aimerais que vous voyiez ce que donne une prison espagnole…

– Je vous conseille, en ami, d’abandonner ce projet sinon je téléphone à mon ambassade à Madrid, et par la même occasion je peux aussi appeler le Palais royal pour demander que l’on veuille bien me trouver un avocat. Ensuite…

Le taureau, après avoir fait mine, un instant, de foncer tête la première sur l’insolent pour l’encorner, se contenta de souffler sa fureur par les naseaux, se racla la gorge et finalement bougonna :

– C’est bon, vous allez pouvoir sortir d’ici, mais je vous préviens que vous serez suivi et surveillé partout où vous irez.

– Si cela peut vous faire plaisir ! Je vous signale seulement que je dois me rendre à l’Alcazar Real afin d’y faire mes adieux à Sa Majesté. Je fais provisoirement partie de sa suite et je devais repartir pour Madrid avec elle dès ce soir. Il me faut m’excuser et demander mon congé.

– Vous n’allez pas en profiter pour filer ? J’ai votre parole ?

Morosini lui offrit un sourire narquois :

– Je vous la donne bien volontiers si la parole d’un… voleur représente quelque chose pour vous. Cela dit, soyez tranquille : je serai encore là demain. N’étant pas de ceux qui fuient devant une accusation, j’entends venir à bout de celle-là avant de rentrer chez moi.

Et il sortit sur un salut désinvolte.

Sans se presser, il gagna la résidence royale, bien décidé à ne souffler mot à la Reine de ses démêlés avec la police. Il offrit ses excuses de ne pas accompagner Sa Majesté durant son voyage de retour, alléguant une irrésistible envie de rester quelque temps encore en Andalousie. En retour, il reçut l’assurance qu’on le reverrait toujours avec le plus vif plaisir à Madrid ou ailleurs et, finalement, prit congé, raccompagné jusqu’à la sortie des appartements par dona Isabel que ce désir de s’attarder à Séville surprenait un peu.

Ce qu’une femme intelligente veut savoir, elle parvient en général à l’obtenir. D’autant qu’Aldo n’avait aucune raison de lui taire la vérité. Elle sauta en l’air d’indignation :

– On vous accuse de vol ? Vous ? Mais c’est insensé ?

– Non, dès l’instant où c’est l’œuvre de votre « don Basile ». Ce bonhomme me déteste, il doit s’imaginer que j’en veux à son cher portrait et s’arrange pour se débarrasser de moi. C’est de bonne guerre… surtout s’il croit sincèrement que je suis le coupable.

– Pourquoi n’avoir rien dit à Sa Majesté ?

– Surtout pas ! Je tiens trop à mon image : la fréquentation des alguazils y laisse toujours une petite ombre. Et puis j’aime régler mes affaires moi-même…

– Vous êtes fou, mon ami ! Ce Gutierez risque de rester accroché à vos basques pendant des semaines. Il peut très bien vous envoyer pourrir en prison jusqu’à ce qu’on ait retrouvé le tableau.

– Et le droit des gens, alors ?

– Oh ça ! N’oubliez pas que l’Afrique n’est pas loin d’ici et que le temps ne compte pas. Sérieusement : si, après cette confrontation, le commissaire prétend vous garder, exigez que l’on en réfère à Madrid. De toute façon, je vais laisser une consigne au majordome qui s’occupe de notre maison sévillane. J’ai toute confiance en lui. Il surveillera et, le cas échéant, il me préviendra…

Morosini prit la main de la jeune femme et la porta à ses lèvres :

– Vous êtes la meilleure des amies. Merci !

En la quittant, il se dirigea vers la cathédrale voisine, imposante et belle dans le soleil matinal. Là, il eut beau chercher, se rendre aux différents portails du monument, il n’aperçut nulle part la souquenille rouge de son mendiant. Dans un sens, cela valait mieux afin d’éviter au policier chargé de sa surveillance de se poser des questions. N’ayant rien d’autre à faire, Aldo décida de le promener. Pour son édification, il entra faire un bout de prière dans la cathédrale puis gagna tranquillement la calle de los Sierpes, interdite aux voitures, qui était le centre nerveux de la ville. Là abondaient cafés, restaurants, casinos et clubs où, derrière de larges vitres, les hommes aisés de Séville se délassaient en buvant des boissons fraîches, en fumant d’énormes « puros » et en contemplant l’animation de la rue. Comme il était plus d’une heure de l’après-midi, Morosini décida d’aller déjeuner et entra chez Calvillo pour déguster le fameux gaspacho andalou, des langoustines grillées et du mazapan, arrosés d’un rioja blanc qui se révéla excellent. On ne pouvait en dire autant du café, préparé à la mauresque et presque en purée qu’il dut faire descendre à l’aide d’un grand verre d’eau. Après quoi jugeant que son ange gardien avait bien droit à un peu de repos, il décida de faire une petite sieste, comme tout un chacun, et regagna l’agréable fraîcheur de l’Andalucia. Son suiveur aurait le choix entre les fauteuils du grand hall et les palmiers du jardin…