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Morosini resta là, sans bouger, étonné lui-même de son absence de réaction. Cette femme était « sa » femme selon la loi ; elle était en train de coucher avec un autre homme et cela ne lui inspirait rien d’autre qu’une vague colère submergée par le dégoût. Normalement, il aurait dû fracasser les carreaux de la fenêtre, se jeter sur le couple pour le séparer et inscrire à coups de poings son ressentiment sur la figure de son rival. Seulement voilà : Sutton n’était pas son rival puisqu’il n’aimait plus, il n’était rien d’autre qu’un pauvre imbécile de plus pris, comme il l’avait été lui-même, au piège d’une sirène peu ordinaire qui jouait de son corps comme d’autres jouent de la guitare.

Pour l’instant, mieux valait ne pas se manifester et observer plus que jamais les manigances de ce beau monde.

Une idée soudaine traversa l’esprit d’Aldo tandis qu’il se frayait de nouveau un chemin au milieu les buissons fleuris : Adalbert partait dans quelques heures pour rencontrer Gordon Warren. Il fallait à tout prix qu’il sache que John Sutton était passé avec armes et bagages dans le camp ennemi. Cela pouvait éviter bien des ennuis et, qui sait, être de quelque utilité au superintendant…

Rentré sur les terres Sommières, il trouva Marie-Angéline assise sur les marches, ses bras encerclant ses genoux. Il aurait dû se douter qu’elle n’irait pas se coucher avant son retour.

– Vous avez trouvé quelque chose ?

– Oui… et quelque chose que je dois faire savoir à Vidal-Pellicorne. Le téléphone est toujours chez le concierge ?

– Eh oui ! Nous n’avons pas changé d’avis à ce sujet !

En effet, Mme de Sommières détestait jusqu’à l’idée qu’une vulgaire machine pût la sonner comme une simple domestique. Pour la commodité de la vie quotidienne, elle avait fini par l’accepter, mais seulement dans la loge des gardiens, et Aldo n’envisageait pas de rendre ceux-ci témoins de ses infortunes conjugales.

– Bon, alors j’y vais !

– Ce n’est pas prudent ! Nous avons pris tellement de précautions pour vous amener ici. Si l’on vous voit de la maison d’à côté ?

– Croyez-moi, il n’y a aucune chance, ricana-t-il. Donnez-moi une clé, je n’en ai pas pour longtemps.

Quelques secondes plus tard, il prenait sa course vers la rue Jouffroy, en regrettant que le parc soit fermé, ce qui eût raccourci le trajet mais pour un homme aussi bien entraîné que lui ce n’était pas une affaire.

C’en fut une, par exemple, que se faire ouvrir. Adalbert et son valet devaient dormir du sommeil du juste en attendant l’heure du train, et il fallut un bon moment avant que la voix ensommeillée de l’archéologue demande qui était là :

– C’est moi, Aldo ! Ouvre, s’il te plaît ! Il faut que je te parle…

La porte s’ouvrit :

– Qu’est-ce qui te prend ? Tu as vu l’heure ?

– Il n’y pas d’heure pour les choses importantes ! Je viens d’aller voir ce qui se passe chez Ferrals…

– Et alors ?

– J’y ai vu ma femme en robe du soir fort décolletée se pâmant dans les bras de son meilleur ennemi, John Sutton.

– Quoi ? … Viens par ici, je vais faire du café : je ne dormirai plus cette nuit.

Tandis qu’Aldo actionnait le moulin à café, Adalbert mit de l’eau à bouillir, sortit des tasses et du sucre.

– Tu peux aussi sortir ton calvados, grogna le premier, j’ai vraiment besoin d’un remontant…

– Tu les as vus ? demanda Vidal-Pellicorne avec un coup d’œil inquiet à son ami.

– Comme je te vois… Enfin d’un peu plus loin. Ça se passait dans le petit salon et j’étais derrière les portes-fenêtres, là où on s’est rencontrés pour la première fois. Après les… politesses de l’entrée, ils se sont pris par la main comme des enfants sages pour s’attaquer au plat de résistance à l’étage supérieur…

– Et… qu’est-ce que tu as fait ?

Morosini leva sur son ami des yeux dont le bleu acier virait curieusement au vert :

– Rien, gronda-t-il. Rien du tout ! … Quant à ce que j’ai éprouvé, c’était une brève poussée de fureur vite étouffée sous le dégoût, mais pas la moindre douleur. Si j’avais besoin d’une confirmation touchant mes sentiments pour elle, je viens de la recevoir. Cette femme me répugne. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne me paiera pas, un jour ou l’autre, ce qu’elle est en train de faire alors qu’elle est encore ma femme.

Le soupir de soulagement que poussa Adalbert aurait suffi à gonfler une montgolfière :

– Ouf ! … J’aime mieux ça ! Pardonne-moi de revenir là-dessus, mais redis-moi comment elle était habillée ?

– Un chiffon de crêpe de Chine rose avec des perles dessus et rien en dessous…

– Alors qu’elle a appris la mort de son père depuis presque deux jours ? Curieuse attitude ! … En tout cas, tu as bien fait de venir. Je verrai avec Warren ce que l’on peut déduire de la volte-face de Sutton.

– Oh, volte-face est peut-être un grand mot : même quand il voulait la voir marcher à la potence, il admettait avoir eu envie d’elle. Quant à Anielka, elle m’avait dit que, lorsqu’il l’avait retrouvée à New York, il lui avait proposé le mariage. Ce qu’elle a refusé vertueusement. Et tout ça parce qu’elle m’aimait. Enfin, c’était la version qui m’était destinée…

– Va savoir ce qu’il y a de vrai dans les sentiments de cette femme ! Elle t’aime peut-être, toi aussi ? …

– Ne te fatigue pas : je n’en ai rien à foutre ! Et sur cette formule lapidaire, Aldo avala sa tasse de café additionné d’un vigoureux « calva », souhaita bon voyage à son ami et reprit le chemin de la rue Alfred-de-Vigny. Un peu moins vite qu’à l’aller mais sans trop tramer : il venait de se souvenir qu’il avait oublié de demander quelque chose à « Plan-Crépin ».

Il avait tort de se tourmenter : elle n’était toujours pas couchée. Simplement, elle avait changé d’escalier et c’était sur les marches près de l’ascenseur qu’elle était maintenant accroupie, la tête sur les genoux.

– Hé bien ? demanda-t-elle. Tout est en ordre ?

– Presque, mais j’ai un service à vous demander. Vous avez l’intention d’aller à la messe, tout à l’heure ?

– Bien entendu.  C’est aujourd’hui  Sainte-

Pétronille, vierge et martyre, fit cette curieuse chrétienne.

– Tâchez de savoir si quelqu’un est arrivé hier chez Ferrals. Un homme… Puis, pour éviter les questions qu’il sentait poindre : Je vous raconterai plus tard. Pour l’instant, il faut absolument que j’aille me reposer… et vous aussi !

À l’heure du petit déjeuner – que l’on prenait en commun dans la salle à manger –, Aldo reçut le renseignement qu’il souhaitait : l’avant-veille, en effet, quelqu’un était arrivé de Londres, mais cela n’avait rien d’extraordinaire puisque c’était le secrétaire du défunt sir Eric Ferrals, venu rencontrer sa veuve pour affaires les concernant tous deux. Il repartait ce matin même..,

– Et elle, est-ce qu’elle repart aussi ?

– Il n’en est pas question. Je pense même qu’elle attend encore de la visite : la Polonaise chargée du ravitaillement a fait d’énormes provisions…

– Mais comment votre… joueuse de trictrac peut-elle être si vite renseignée sur ce qui se passe à côté ? La concierge va aussi à la messe ?