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– Eh bien ? fit Ulrich. Vous ne dites plus rien ?

– Ce genre de nouvelle mérite qu’on y réfléchisse, non ?

– Peut-être, mais je trouve que c’est suffisant. Alors ?

Morosini se composa un visage qu’il espérait suffisamment angoissé :

– Vous ne lui avez pas fait de mal, au moins ?

– Pas encore et je dirais même qu’elle est fort bien traitée !

– En ce cas, je n’ai pas le choix. Que voulez-vous au juste ?

– Je vous l’ai dit : le rubis.

– Vous ne pensez pas que je vais vous le chercher cette nuit ? Et demain, le rubis partira chez quelque joaillier pour être monté en vue d’être offert à Mme Kledermann pour son anniversaire.

– C’est quand, cet anniversaire ?

– Dans treize jours.

– Vous y serez ?

– Naturellement ! fit Aldo en haussant les épaules avec une lassitude bien imitée. À moins que vous ne me gardiez ici ?

– Je ne vois pas trop à quoi vous pourriez me servir dans ce trou. Alors, écoutez-moi bien ! On va vous ramener en ville où vous vous tiendrez à ma disposition, monsieur le prince ! Et, bien entendu, pas question d’approcher la police : je le saurais et votre femme en pâtirait. Pas question non plus de quitter votre hôtel. Je vous indiquerai par la suite un rendez-vous. Vous pouvez toujours essayer d’apprendre quel joaillier est chargé de la monture ?

Ulrich se leva et se dirigea vers la porte mais se retourna avant de l’ouvrir :

– Ne faites pas cette tête-là. Si les choses marchent comme je le veux, il se peut que vous y trouviez votre intérêt.

– Je ne vois pas en quoi ?

– Allons, réfléchissez ! Au cas où, grâce à vous, je pourrais visiter la chambre forte de Kledermann, il se peut que je vous laisse le rubis…

– Comment ? lâcha Aldo abasourdi. Mais je croyais…

– Les Solmanski le veulent à tout prix mais qu’ils l’aient ou non, ça m’est égal ! Il fallait être aussi bête que Saroni pour s’imaginer qu’un truc comme ça pouvait se vendre sans faire de vagues. Dans le coffre du banquier, il doit y avoir de quoi se remplir les poches plus facilement…

– Il a beaucoup de bijoux historiques. Pas commodes à vendre non plus.

– Vous tourmentez pas pour ça. En Amérique tout se vend et à des prix plus intéressants qu’ici. À bientôt !

Assis sur son lit, Aldo leva la main dans un vague salut négligent. Un instant plus tard, le batracien nommé Archie effectuait sa rentrée, arborant ce qu’il croyait être un sourire :

– On va te ramener en ville, mon gars, fit-il, mais Morosini n’eut même pas le temps d’articuler un mot : un coup de matraque appliqué à une vitesse incroyable le renvoya au pays des songes…

Le second réveil eut lieu dans des circonstances encore moins confortables que le premier : au moins, dans la maison inconnue, il y avait un lit. Cette fois, Morosini ouvrit les yeux dans un univers obscur, froid et humide. Il s’aperçut vite qu’on l’avait posé sur l’herbe d’une pelouse autour de laquelle il y avait de beaux arbres. Au-delà on apercevait le lac, des hangars à bateaux, des restaurants sur pilotis. La nuit était toujours là et les réverbères continuaient à brûler. Transi, en dépit de son manteau de vigogne qu’on avait eu la grâce de lui remettre, Aldo repéra vite les lumières du Baur-au-Lac qui ne lui parut pas très éloigné. En dépit de sa tête douloureuse, il se mit à courir dans le triple but de sortir du jardin, de rentrer chez lui et de se réchauffer.

Lorsqu’il pénétra dans le hall de l’hôtel, le portier s’autorisa à lever un sourcil en voyant rentrer en aussi triste état un client apparemment sobre et qu’il croyait couché depuis longtemps, mais il se serait fait couper la langue plutôt que d’oser une question. Aldo le salua d’un geste vague de la main et marcha d’un pas tranquille vers l’ascenseur : il avait, en effet, retrouvé la clé de sa chambre au fond de sa poche.

Une douche chaude, deux comprimés d’aspirine, et il se plongeait dans son lit en repoussant fermement toute pensée défavorable au sommeil. Dormir d’abord, on verrait après !

Il n’était guère plus de dix heures quand il se réveilla, plus dispos qu’il ne l’aurai craint. Il commença par se commander un copieux petit déjeuner puis demanda qu’on lui appelle Venise au téléphone. Bien qu’il n’y crût guère, cette histoire d’enlèvement d’Anielka le tarabustait. Si c’était vrai, il allait trouver la maison sans dessus dessous et peut-être même envahie par la police ? Il n’en fut rien : la voix qui lui répondit – celle de Zaccaria – était calme et paisible, même lorsque Aldo demanda à parler à sa femme :

– Elle n’est pas là, dit le fidèle serviteur. Votre départ lui a donné des envies de bouger : elle est allée passer quelques jours chez donna Adriana.

– Elle a emporté des bagages ?

– Bien sûr. Ce qu’il faut pour un petit séjour. Y a-t-il quelque chose qui ne va pas ?

– Tout va bien, ne te tourmente pas. Je voulais seulement lui dire un mot. Au fait, Wanda est avec elle ?

– Bien entendu…

– C’est parfait. Je vais téléphoner chez ma cousine.

Il n’y eut pas plus de succès. Une voix mâle et rogue lui apprit que ni la comtesse Orseolo ni la princesse Morosini n’étaient là : ces dames avaient quitté Venise la veille au matin en direction des grands lacs. Elles n’avaient pas laissé d’adresse, ne sachant encore où elles se fixeraient.

– Et vous êtes qui, vous ? demanda Aldo qui n’aimait ni le ton ni la voix du personnage.

– Moi, je suis Carlo, le nouveau serviteur de madame la comtesse. C’est tout ce que Votre Excellence désire savoir ?

– C’est tout. Merci.

Aldo raccrocha. Plutôt perplexe. Ce qui se passait à Venise était encore plus bizarre qu’il ne l’avait cru. Où était Anielka ? Prisonnière d’Ulrich, ou paisible touriste sur le lac Majeur ? À moins que les deux femmes, plus Wanda, n’aient été enlevées ensemble ou qu’Adriana, non contente d’entretenir des relations avec le cirque Solmanski, n’en eût noué d’autres avec les gangsters yankees ? Jusqu’à ce nouveau valet qui péchait par singularité : le nom était italien mais, vu l’accent, Morosini aurait eu tendance à penser que Karl ou Charlie conviendraient mieux. Qu’est-ce que tout cela voulait dire au juste ?

Une longue succession de points d’interrogation l’occupa jusqu’à l’arrivée pétaradante d’Adalbert et de son roadster Amilcar rouge vif doublé de cuir noir qui valut à son propriétaire la considération respectueuse du voiturier persuadé d’avoir affaire à un échappé de la Targa Florio ou de la toute nouvelle course des Vingt-Quatre heures du Mans. Morosini, lui, n’apprécia pas :

– Tu ne pouvais pas venir par le train comme tout le monde ? grogna-t-il.

– Si tu tenais à la clandestinité il fallait le dire… et descendre dans une auberge de campagne. Devons-nous vraiment passer inaperçus ? J’ajoute que mon « char », comme disent les Canadiens, est maintenant hérissé de carburateurs, de compresseurs et de je ne sais trop quoi qui en font une véritable bombe. En cas d’urgence, ça peut toujours être utile. Toi, tu es de mauvais poil ? Des ennuis ?