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Que tout cela eût été dispersé, rien de bien étonnant, mais on pouvait espérer qu’au moins les pierres de grande valeur auraient laissé une trace – et le rubis devait compter parmi les plus importantes… Or, il n’était mentionné nulle part.

L’arrivée tumultueuse d’une Marie-Angéline excitée comme une puce lui fit oublier sa quête. D’après la description précise qu’elle en fit, Morosini n’eut aucune peine à identifier les deux premiers personnages : de toute évidence Sigismond Solmanski et son épouse américaine. Quant à l’« oncle Boleslas », c’était à la fois pour lui une nouveauté et une découverte, pour l’excellente raison qu’il n’en avait jamais, au grand jamais, entendu parler…

– Répétez-moi sa description, demanda-t-il à Marie-Angéline qui s’exécuta de nouveau avec encore plus de brio.

– Vous dites qu’il n’a pas l’air solide et qu’il marche courbé ? Avez-vous une idée de ce que peut-être sa taille réelle ?

– Et toi, questionna Mme de Sommières, quelle idée as-tu en tête ?

– Je… je ne sais pas ! Je trouve tellement bizarre l’arrivée soudaine de ce type dont le nom n’a jamais été évoqué, même pour le mariage Ferrals où il y avait la terre entière. Et puis quand on s’achète un nom, il n’est pas pour autant distribué aussi aux frères… et la véritable identité de Solmanski est russe.

– Tu dis des âneries ! Ce peut être un frère du côté maternel.

– M… moui ! C’est possible en effet. Pourtant, j’ai peine à y croire. Je crois me souvenir qu’Anielka m’a dit un jour n’avoir aucune parenté du côté de sa mère.

– Alors, vous imaginez quoi ? fit Marie-Angéline toujours prête à s’engager dans les pistes les plus fantaisistes. Qu’il pourrait être le suicidé de Londres pas tout à fait mort ou miraculeusement ressuscité ?

– Encore une qui déraille ! protesta la marquise. Sachez, ma fille, que lorsque quelqu’un meurt en prison et cela dans quelque pays que ce soit, sauf peut-être chez les sauvages, il n’échappe pas à l’autopsie. Alors, ne rêvez pas !

– Vous avez raison ! soupira Aldo. Nous sommes en train de dérailler tous les deux, comme vous dites. Il n’empêche que j’ai envie de comprendre ce qui se passe dans cette baraque…

– Je sens, s’exclama Marie-Angéline avec satisfaction, que nous allons avoir une nuit passionnante !

Mais, à sa grande déception, à celle d’Aldo aussi, il fut impossible de jeter le moindre coup d’œil à l’intérieur de la maison. En dépit de la douceur du temps et dès que le jour se mit à tomber, les fenêtres furent fermées et les rideaux tirés, ainsi que Morosini put s’en convaincre à la nuit close en allant fumer une cigarette dans le jardin. Il y avait de la lumière dans les pièces du rez-de-chaussée et aussi dans celles du premier étage, mais elle ne se révélait que sous la forme de minces rais brillants. Une expédition sur le toit vers minuit ne fut pas plus concluante. Aldo choisit d’aller se coucher, laissant une Marie-Angéline entêtée partager avec les chats le séjour des ardoises, des balustres et des gouttières. Elle n’en descendit qu’aux approches du jour pour faire une toilette rapide et se précipiter à la messe, avec tant de hâte qu’elle arriva avant l’ouverture de l’église.

Elle en rapporta une pleine cargaison d’informations. Peut-être pour se faire pardonner la nuit sans sommeil, la chance avait voulu que la gardienne de l’hôtel Ferrals se rendît elle aussi au service matinal. Cette digne femme jugeait normal et tout à fait révérencieux d’aller prier pour le pauvre défunt dont la dépouille attendait, à la consigne de la gare du Nord, le départ du grand express européen chargé de la rapatrier, départ qui aurait lieu le soir même. Plus intéressant encore, lady Ferrals – tout le monde se donnait le mot pour l’appeler ainsi ! – n’accompagnerait pas le corps de son père comme on aurait pu le supposer. Elle demeurerait quelque temps encore à Paris et resterait auprès du vieux monsieur, trop fatigué pour continuer le voyage.

– J’ai demandé, bien sûr, si l’on avait fait venir un médecin, ajouta Marie-Angéline, mais on m’a répondu que c’était inutile. Dans quelques jours, il sera remis.

– Et elle va en faire quoi de son Tonton quand il sera sur pied, la belle Anielka ? dit Mme de Sommières. Le ramener en Pologne ?

– C’est ce que l’on saura, je pense, dans les jours qui viennent. Il va falloir prendre patience !

– Je n’en ai pas beaucoup, grogna Morosini, et je n’ai pas davantage de temps. J’espère seulement qu’elle n’a pas dans l’idée de le ramener à Venise ? Elle sait depuis notre mariage ce que je pense de sa famille.

– Elle n’oserait tout de même pas. Tiens-toi tranquille !

– Difficile ! Cet oncle Boleslas ne me dit rien qui vaille ! …

Ce fut pis encore quand Adalbert revint de Londres peu de temps après. Sans être soucieux, l’égyptologue était rêveur.

– Je n’aurais jamais cru qu’un affreux assassin tel que Solmanski, guetté par la corde de surcroît, eût de telles relations. Warren non plus d’ailleurs. Il semblerait qu’après la mort de Solmanski la Justice britannique ait eu pour seul souci d’adoucir le chagrin de la famille. Les portes de la prison se sont ouvertes devant Sigismond et sa femme, on leur a remis le corps du suicidé. Ils avaient supplié qu’on leur évite l’horreur d’une autopsie que rien ne justifiait puisque l’on connaissait la cause de la mort : empoisonnement par le véronal. Mais Warren, fort attaché aux traditions et usages, n’en est pas moins fort mécontent : il a horreur de recevoir des ordres…

– Dans la douleur de la famille, est-ce qu’on a pris en compte aussi celle de l’oncle Boleslas ? demanda Aldo.

Vidal-Pellicorne arrondit encore un peu plus ses yeux bleu faïence.

– Qu’est-ce que c’est que ça ?

– Comment ? On n’a pas vu à Londres l’oncle Boleslas ? Comment se fait-il alors qu’il soit arrivé ici l’autre jour avec Sigismond et sa femme qui prenaient de lui un soin infini tant il avait l’air flapi !

– Jamais entendu parler de lui ! Et où est-il, maintenant ?

– À côté ! fit Morosini sardonique. Le jeune couple n’y a séjourné que vingt-quatre heures pour attendre le départ du Nord-Express, le cercueil ayant été laissé à la consigne de la gare, mais s’il est arrivé avec l’oncle Boleslas, il est reparti sans lui. Trop épuisé, le pauvre homme a grand besoin de se reposer, de reprendre des forces ! C’est à quoi s’occupe en ce moment ma chère femme avant de le remmener vers… on ne sait quelle destination dont j’espère que ce n’est pas ma maison.

– Tiens donc !

Les paupières d’Adalbert s’étaient plissées pour ne plus laisser passer qu’un mince filet brillant. En même temps, son nez se fronçait comme celui d’un chien qui flaire une piste. Visiblement, le ton sarcastique de son ami lui donnait à penser :

– Il me vient une idée, reprit-il, et je me demande si tu n’aurais pas, par hasard, la même que moi. C’est délirant, mais avec ces gens-là le délire est encore au-dessous de la vérité…

– Explique ! Je te dirai si c’est ça…

– Oh, c’est simple : Solmanski n’a pas pris de véronal mais une drogue quelconque qui simule la mort ou qui l’a mis en catalepsie. On l’a remis bien gentiment à sa famille éplorée et, une fois en France, on l’a extrait de sa boîte pour l’introduire dans le personnage de l’oncle Boleslas…

– C’est ça ! Bien que je me répète que c’est très difficile à réaliser…

– Tu oublies l’argent ! Ces gens-là sont très riches : outre la fortune de Ferrals dont ta chère femme comme tu dis a recueilli une belle part, il y a l’épouse américaine de Sigismond qui, tel qu’on connaît le loustic, ne doit pas être économiquement faible. Combien de temps, à ton avis, Anielka et son Tonton vont-ils rester ici ?