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« …Les animaux sont répartis en deux sexes, comme la plupart de ceux de la Terre. Les femelles ont une structure biconvexe. Je note une singularité inconnue sur Terre. L’orifice pour l’absorption de nourriture est peint chez les femelles en rouge vif. Les femelles se distinguent aussi par leur peau bigarrée et variable. Elles sont mal adaptées aux conditions d’existence, leur coloration n’étant nullement en harmonie avec les dispositions naturelles : elle est voyante et attire l’attention de loin.

Les têtes des femelles sont couronnées d’ornements complexes, parfois décorés d’une plume, voire de tout un nid (pourtant, mes radars n’y ont pas encore décelé d’œufs). Il n’est pas exclu que ce nid soit destiné à transporter les petits (cf. l’article sur les kangourous, dans la Vie des animaux de Brehm). La représentation grossière du kangourou que j’ai rencontrée ici confirme cette hypothèse.

Les femelles se déplacent difficilement parce que leurs membres postérieurs se terminent par des apophyses pointues et dures qui les gênent pour marcher. Frappant le sol dur de Pluton, les apophyses émettent un son particulier. »

Claquant des talons, Miss Shella entra dans le laboratoire.

— A huit heures, il y a un briefing chez le chef du cycle. Votre rapport vient en premier.

— J’ai à faire. Dites que je serai en retard, répondit MacGrown nonchalamment.

Miss Shella cligna des yeux, stupéfiée. Elle n’avait jamais encore vu une telle insubordination. A la Western, la discipline était militaire (et non sans raisons).

Avec un regret mêlé d’un soupçon de crainte, elle regarda Charlie, ébouriffé et visiblement excité, pour s’éclipser précipitamment. La dépression nerveuse n’était pas rare parmi les collaborateurs de la Western, et ce n’est pas pour rien qu’une ambulance y était de service en permanence. « Lui aussi, le pauvre », soupira-t-elle : trente-six ans, svelte, Miss Shella le trouvait bien sympathique.

Mais ses craintes étaient vaines.

Deux jours plus tard, à la fin de sa traditionnelle allocution du samedi, retransmise sur tous les écrans du centre spatial, le chef de la Western dit :

— En récompense de son succès, l’ingénieur MacGrown est nommé, à partir de lundi, chef du laboratoire d’informations. Tous nos employés ont les mêmes chances de réussite.

Les communiqués de Minou devenaient toujours plus intéressants et, dans le même temps, mystérieux. Tout ce que l’on savait jusqu’alors sur le Système solaire était remis en question.

Ainsi, transmit-il lors d’une séance de liaison :

— Noté que la luminosité de l’astre sur Pluton est sensiblement supérieure à celle calculée et se rapproche de celle du Soleil à la surface de la Terre. Ne puis encore expliquer ce paradoxe.

— Nous allons bouleverser toute la cosmogonie ! déclara le chef en agitant le radiogramme sous le nez de MacGrown.

Le message suivant annonçait :

« Viens de visiter un édifice couvert de plaques transparentes. Leur composition chimique est identique à celle des carreaux de la Western Company. Comme j’ai pu l’établir, à l’intérieur de l’édifice se trouve un abreuvoir pour les animaux de Pluton. Le liquide servant à étancher la soif — à en juger par son apparence, c’est de l’eau ordinaire ou colorée — est mis dans des récipients fermés. Pas encore compris d’où ils viennent. Recevant son récipient, l’animal l’ouvre et boit, mais la quantité de liquide absorbé ne correspond manifestement pas aux dimensions du corps de l’animal, donc à son besoin de consommation d’eau. Probablement, les animaux font des réserves d’eau, à l’instar des chameaux terrestres. L’eau produit sur les animaux un effet inattendu. Ayant bu à satiété, ils perdent la raison : ils émettent des sons inarticulés, se battent entre eux, se blessant parfois grièvement entre eux. A ces moments-là, leurs faces et leurs yeux sont injectés. »

Quelques jours passèrent. La carrière vertigineuse de MacGrown était le sujet de toutes les conversations privées entre les employés du centre.

— Ce Charlie, hein ? disaient les uns, regardant craintivement autour d’eux pour voir si un informateur de la direction ne rôdait pas à proximité. C’est le bras droit du chef !

— Il entre chez lui comme ça et n’importe quand, ajoutaient les autres.

— Mais son travail est remarquable !

— Le chef exploite tout simplement sa gloire !

Miss Shella passa dans le couloir. Sans prêter attention au petit groupe qui se tut en l’apercevant, elle entra dans le nouveau bureau de MacGrown. Charlie écrivait, tirant des bouffées sur un cigare de bonne qualité.

— Qu’y a-t-il encore ? questionna-t-il, sans lever les yeux.

— Le chef vous réclame, répondit Shella. Il y a eu un message téléphonique urgent : il faut préparer un rapport pour le président.

— D’accord, dit MacGrown, réprimant de toutes ses forces un sourire de joie.

Shella hésita un instant, puis sortit. On voyait qu’elle venait de pleurer. S’approchant d’une fenêtre, elle déplia le journal du matin, déjà froissé, et, pour la vingtième fois, relut ce bref passage de la chronique mondaine :

« Notre journal a l’honneur d’annoncer les prochaines fiançailles du Prof. Charlie MacGrown et de la charmante Linda Wilnerton, fille du respecté président de la Western Company. Les fiançailles auront lieu le jeudi 22 juillet. »

— Voici les tout récents, boss, dit avec désinvolture MacGrown, tendant au chef plusieurs radiogrammes. On dirait que là-bas, sur Pluton, mon Minou n’a pas le temps de s’ennuyer !

— Notre Minou, rectifia le chef.

« …Ces animaux passent le plus clair de leur temps sous la terre, lisait-on dans un radiogramme. A la différence des taupes (suivait une référence à Brehm), les Plutoniens possèdent une technique développée de construction des logements souterrains. Leur méfiance et leur acharnement réciproques sont tels qu’ils se cachent dans des trous profonds de plusieurs kilomètres de longueur. »

— Ils ne nous devancent pas de beaucoup, remarqua le chef.

— La suite est encore plus intéressante, répliqua MacGrown, vautré dans un fauteuil, les jambes croisées.

« Les Plutoniens sont fous. Je m’en convaincs chaque jour toujours plus. Non seulement ils s’intoxiquent systématiquement en aspirant de leur gré la fumée d’une plante séchée à cet effet. Ayant à peine appris à construire des appareils à réaction (ce qui les distingue des animaux terrestres), les Plutoniens les chargent de matières meurtrières et les font exploser à grande altitude. La poussière radioactive retombe sur la peau et les aliments des animaux. Ce faisant, les Plutoniens ne réalisent pas qu’ils s’assimilent à l’animal terrestre qui se nourrit de glands tout en sapant les racines du chêne sur lequel poussent lesdits glands.

« Ai établi le premier contact direct avec les Plutoniens, ceci dans le local de l’abreuvoir (voir le radio n°12). Pas assez bien camouflé, près du comptoir sur lequel sont installés les récipients remplis de liquide pour étancher la soif, ai été découvert par un animal venu à l’abreuvoir. Décidant de jouer mon va-tout… »

— Ce qu’il est intelligent ! clama le chef. Il y rattache même les termes du jeu !

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