San-Antonio
Le secret de Polichinelle
Tous mes personnages sont fictifs, inutile de me chercher des rognes !
À Annie Robert et à Paul Chalant. En souvenir d’un coup de fusil qui n’est pas parti.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
Réalisation d’un SECRET désir
Nous nous déployons dans la plaine — ce qui permet une plus grande liberté de mouvements — Pinaud, Bérurier et moi. Nous avançons à la façon espagnole, c’est-à-dire en éventail. Olé !
Mais avant d’aller plus avant dans ladite plaine et dans l’action de ce remarquable ouvrage[1], il faut que je vous décrive un peu la troupe, mes pauvres enfants.
Je vous campe les personnages par ordre d’ancienneté. À savoir : primo, Pinuche. Il a roulé son falzard dans des bottes de caoutchouc qui sentent le fond de barque à pêche. Il porte un chandail tellement troué qu’un pain de gruyère en pleurerait de jalousie, une limace au col déchiqueté, une cravate écossaise (manière de se donner un côté sport) dont chacun des carreaux comprend une tache de graisse aux reflets moirés et par-dessus (et par surcroît) un suroît en toile jaune huilée qui le fait ressembler à une mayonnaise réussie. À chacun de ses mouvements, le suroît produit un bruit de brindilles cassées. Quand Pinaud marche, on dirait un troupeau d’éléphants en visite dans une fabrique d’allumettes. Pour couronner ce harnachement, il s’est coiffé d’un vieux chapeau de feutre dont Madame Pinaud a découpé les bords avec de mauvais ciseaux à broder sans doute ! Avec cette toiture, il ressemble à un vieux tyrolien dans la débine.
À sa dextre avance Bérurier. Mordez l’homme : chaussures de skis, chaussettes de laine très montantes sur un bénard de velours côtelé. Il s’est noué autour de la brioche une ceinture de flanelle. Et il s’est confectionné une veste de chasse en coupant le bas d’un imperméable hors d’usage. Ainsi loqué, il fait moujik en diable. D’autant qu’il s’est coiffé d’une casquette à trapon. Pour faire chasseur d’élite, il a noué à son cou un immense mouchoir à carreaux dont il s’était hélas servi auparavant pour épancher un mauvais rhume. Quand on a vu ces deux types ainsi fringués, on ne peut plus les oublier, même si on a le bulbe qui se met à couler. Je me marre tout en les escortant dans l’immense plaine annoncée à l’extérieur. Ça n’est pas celle de Waterloo, mais elle est aussi morne. Nous sommes dans les environs de Briare et le terrain que nous arpentons constitue la chasse privée de Monsieur Pardérière, des chaussures Pardérière et Co[2].
Monsieur Pardérière marche par côté. C’est un grand bonhomme qui serait roux s’il avait des tifs et pauvre s’il n’avait pas une fortune évaluée à plusieurs centaines de millions. Le gars Béru se trouve être le cousin de son garde-chasse. Il lui a rendu un grand service récemment, pas au garde-chasse, mais au marchand de pompes. M. Pardérière s’était attrapé avec un poulardin, le cogne et lui avaient échangé des paroles blessantes, puis des gnons qui l’étaient davantage car ce bienfaiteur du pied humain a la main leste. Bref, l’affaire aurait eu des conséquences fâcheuses si Bérurier n’était intervenu. Pour le remercier, Pardérière a exaucé le plus cher désir du Gros : il l’a invité à une partie de chasse sur ses terres. Béru s’est débrouillé pour faire inviter son supérieur hiérarchique, c’est-à-dire votre San-Antonio bien-aimé, ainsi que son co-équipier Pinauchaud ! Et voilà pourquoi vous avez présentement trois gentlemen de la maison parapluie sur le sentier de la guerre.
Une gentille armada, croyez-moi. Les garennes sont tellement impressionnés qu’ils annulent leurs rendez-vous de la journée pour rester planqués dans leur abri-refuge. Voilà une bonne heure que nous marchons sans avoir aperçu la queue d’un…
Le Gros transpire déjà comme un chandelier à cinq branches, et Pinaud commence à avoir de la peine à coltiner son fusil…
Nous poursuivons cependant notre marche forcée… Nous arrivons à la lisière d’un boqueteau où Pardérière nous a signalé du faisan.
Les chiens reniflent à tout va en faisant gnouff-gnouff.
— Ça m’étonnerait que ces cabots lèvent quelque chose, prédit Bérurier qui se prétend sagace en matière de chasse.
— Tout ce qu’ils vont lever, c’est la patte, geint Pinuche qui n’en peut plus…
« Moi, ajoute-t-il, je vous préviens : je ne vais pas plus loin que le bois. Ce matin, justement, j’ai mon rhumatisme qui me fait mal dans l’épaule. Voulez-vous parier que le temps, va changer ?
Personne ne se hasarde à miser sur une éventualité aussi probable. Le vieux gland continue de trimbaler son arquebuse en gémissant.
Béru se met à tirer une langue de gargouille. Il se rapproche de moi et murmure :
— Je la pile. T’as pas un flacon de quelque chose sur toi ?
— Non ! Comment se fait-il que tu n’aies rien pris ?
— Je pensais que Pardérière aurait ce qu’il faut. Tu te rends compte ? On a fait au moins cinq bornes en zig-zag, non ?
— Pas loin !
— Jamais je n’ai parcouru une telle distance sans boire. Pourvu qu’il y ait ce qu’il faut au gueuleton de midi…
Il se met à rêvasser sur ce mystère. Soudain, M. Pardérière s’écrie :
— À vous ! À vous !
Nous levons la tête dans des directions multiples. J’avise un superbe faisan posé en pleins champs. Je tire. Des plumes volent et le faisan choit sur la terre grasse en attendant que ce soit sur un canapé[3].
Pendant que je braquais mes batteries sur cette cible, le Gros, un peu miro, a foudroyé l’un des setters irlandais du marchand de lattes qui pleure à chaudes larmes son gaïe pulvérisé.
Béru est très embêté.
— Mande pardon, murmure-t-il, j’ai cru que c’était un lièvre. De loin, la perspective, hein ?
— On peut se tromper, décrète Pinaud, magnanime…
Moi, je vais ramasser mon bestiau et je le glisse dans ma gibecière. Félicie va être contente quand je vais déballer ce Monsieur.
On console Pardérière et on continue les hostilités.
Bérurier promet de regarder à deux fois avant de tirer. Ses performances me prouvent que j’ai eu raison de me placer en retrait par rapport à lui. C’est en effet plus prudent. La dernière fois qu’il a chassé, c’est dans le prose d’un péquenod qu’il a tiré et le bonhomme n’a pas pu s’asseoir pendant deux mois. Vous allez me dire qu’un paysan, ça vit surtout debout ? D’accord… N’empêche que si c’était arrivé à Charpini, il était obligé de se faire mettre à l’assurance !
Parvenu au petit bois, Pinuche s’écroule au pied d’un arbre. Il se relève très vite car l’arbre en question est un châtaignier et sous ses rameaux, le sol est tapissé d’écorces piquantes. Il vient de se planter une série d’épines dans le valseur. Sans l’ombre d’une hésitation il tombe le grimpant et demande à Béru de lui ôter ces corps étrangers. Bonne âme, le Gros s’agenouille devant les fesses maigrichonnes et flétries du père Lajoie. Avec ses gros ongles cassés et porteurs d’un deuil cruel, il plume le dargeot de notre honorable collègue, lui arrachant des morcifs de bidoche dans son désir de bien faire.
Pardérière et moi poursuivons notre chasse après un bref regard à l’intermède affligeant. Une faisane s’envole d’un arbre. Le commerçant la flingue sans rémission. Il fait un peu la gueule à cause de son setter, pourtant son magistral coup de fusil le défige un brin…
1
En dernière, que dis-je, en suprême minute, comme l’imprimeur mettait sous presse et comme l’éditeur se mettait à table, nous avons appris qu’on parlait de ce livre pour le Nobel ! C’est comme je vous le dis, appelez-moi Maître et prêtez-moi mille balles !
3
Je profite de l’occasion pour vous donner la recette du faisan rôti. Prendre un faisan assez tendre, ou à défaut, un corbeau adulte. Plumez, videz et flambez votre faisan (ou votre corbeau). Lorsqu’il est carbonisé, mettez les plumes dans un édredon pouvant aller au four. Ajoutez cinquante grammes de poudre à éternuer, un bandage herniaire, une année bissextile, du poivre, du sel et le dernier roman de San-Antonio. Mettez cuire pendant un an et un jour. Si, au bout de ce laps de temps, personne n’est venu le réclamer, vous pouvez jeter le tout à la poubelle.