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Comme je m’apprête à refermer le vasistas, mon attention est attirée par une forme blanche que je distingue à travers une trouée des arbres, sur la droite du parc. Cette forme est celle d’un homme qu’il m’est absolument impossible d’identifier, because l’obscurité et l’éloignement. Le quidam en question vient de franchir le mur de la propriété, sans doute se dirige-t-il maintenant vers les annexes ?

N’écoutant que ma curiosité, je me refringue en hâte et en civil, et voilà votre San-Antonio bien-aimé qui s’élance dans l’escalier pour la seconde fois.

Du coup, lorsque le matuche de nuit me voit radiner, il pense tomber mort de fureur.

— C’est pas fini, la comédie ! s’étouffe-t-il.

— Impossible de pioncer, lui fais-je, j’ai perdu ma Clé des Songes. Je l’avais mise dans le tiroir de mes bretelles mais quelqu’un l’avait laissé ouvert et en me penchant pour relacer mes pompes, vous comprenez ?

Il me saute sur le colbak et me queute par le revers.

— En voilà assez, remontez vous coucher et tâchez de…

C’est un intransigeant.

Pensant qu’on peut lui faire confiance, je lui dévoile mon identité. Je préfère lui montrer ma carte pour le calmer plutôt que de le laisser ameuter la cahute !

Il se flanque alors au garde-à-vous.

— Si j’avais pu penser, Monsieur le Commissaire !

Je mets mon index à la verticale devant mes labiales.

— Chut ! Interdiction de parler de ma véritable identité à qui que ce soit, compris ? Pas même à vos collègues, sinon c’est la révocation pure et simple, compris !

— Vous avez ma parole, Monsieur le…

— Suffit ! Vous n’êtes pas Nantais ?

— Non, pourquoi ?

Je hausse les épaules sans répondre. Mais pour moi, je me dis que s’il avait été Nantais et que je le fasse virer, c’eût été la révocation de l’édile de Nantes[25].

Je retrouve le parc, avec son ombre dense et capiteuse, son silence de cathédrale et sa forte odeur d’humus. Je bombe à l’allure d’une fusée téléguidée jusqu’aux bâtiments des assistants et je sonde leurs façades en espérant y trouver de la lumière. Mais tout est obscur, tout est silencieux, tout dort…

Alors je me dirige vers l’endroit où j’ai vu l’homme franchir le mur. À cet endroit, la muraille est à demi éboulée, ce qui constitue une brèche facile à enjamber. Je passe de l’autre côté et je me trouve dans un autre parc, beaucoup plus touffu que le nôtre. Visiblement c’est celui d’une propriété en friche.

À partir de la brèche, il y a, non pas un sentier, mais une sente produite par le passage répété de quelqu’un à travers les fourrés… Je suis ce chemin sinueux et j’arrive devant une espèce de grand hangar couvert de chaume. La construction est à demi effondrée. Le toit pend d’un côté comme l’aile cassée d’un canard. À travers une éclaircie des arbres, je vois une immense demeure, style grand Trianon, qui semble aussi déserte que la mémoire d’un ministre.

Cette vaste propriété désertée a quelque chose d’angoissant, de tragique même. Il y a beaucoup de châteaux qui meurent en France… Lorsqu’ils sont près des agglomérations, on construit des H.B.M. autour, histoire de leur montrer qu’il est des époques révolues et que le peuple s’est emparé des Tuileries une fois pour toutes ! Mais quand leur situation géographique les rend inintéressants, ils clabotent, comme celui-ci. Et, comme l’a dit Henri Béraud, la pierre reste longtemps au pied du mur qui l’a portée !

Je commence à me diriger vers le château lorsque mon attention est sollicitée par un bruit menu que j’ai de la peine à identifier sur le moment. Je me rends compte que c’est celui que font des oiseaux dans une volière ; il ne s’agit pas de chant, simplement des frottements de pattes et des petits claquements d’ailes !

J’en ai un transport d’allégresse[26]. Ou je suis un sous-multiple de zéro, ou je viens de mettre le nez sur le colombier que je cherchais tout à l’heure.

Cette fois, je pige. Pas gland, le zouave aux pigeons. Il a placé la cage en deçà des limites du parc.

Je prends ma lampe électrique et je m’approche du hangar en ruine. Je me guide au bruit. Je finis par découvrir, entre un éboulis du toit et le mur du fond, une grande caisse grillagée dans laquelle habitent deux pigeons. Ma lampe électrac m’apprend qu’on vient de leur apporter du grain et d’emplir d’eau leur abreuvoir de zinc. Le patron de ces animaux les alimente de nuit. Et c’est également de nuit qu’il les lâche, sans nul doute…

Éveillés par la lumière de ma lampe, les pigeons se mettent à roucouler comme des perdus.

— Faites dodo, mes amours, leur dis-je… Ne vous tracassez pas, je suis votre ami.

Sur ces paroles intraduisibles en pigeon, je me casse, heureux de ma découverte, et mijotant un tour de ma façon.

Maintenant, il est deux heures du matin. Pour réussir mon petit coup, je ne dois pas perdre de temps.

Je quitte la propriété et vais récupérer ma tire près de l’entrée. Je la sors à la main et, lorsque je me trouve à bonne distance, je démarre.

Direction Évreux…

Il me faut vingt minutes pour y arriver. Je cherche le Poste de Police de la ville, parce qu’à ces heures c’est l’un des rares endroits d’où je puisse téléphoner. L’ayant trouvé, je me présente au brigadier de garde et je lui demande de m’appeler Paris.

En quelques minutes j’obtiens la permanence des Services. Chose curieuse, le Vieux n’est pas là. Pourtant il ne s’absente jamais et j’avais toujours pensé qu’il ne sortirait de son burlingue que pour se faire conduire au Père Lachaise.

Je demande au standardiste de le sonner chez lui illico et de lui dire d’appeler le Commissariat d’Évreux dans les plus brefs délais.

Je raccroche et j’offre aux bignolons de garde une tournée de cigarettes en leur demandant s’ils n’ont pas un petit coup de rhum en réserve. Le cassis de la môme Martine m’a poissé le tube et j’ai grand besoin d’un décapant.

On me file une boutanche de Négrita dont j’use abondamment. Ces messieurs sont aux petits soins pour ma pomme. On parle boulot. Je leur dis que je suis sur une piste de trafiquants d’armes pour abreuver leur curiosité… Et le bigophone fait entendre son hymne grelottant.

— C’est pour vous, annonce le brigadoche.

En effet, j’ai le Vieux au tube.

— Ah ! c’est vous, San-Antonio…

— Oui. Patron, il me faut avant la fin de la nuit deux pigeons voyageurs…

Bien qu’il soit prêt à tout, il est un peu éberlué.

— Deux pigeons ?

— Oui. Mais envoyez-m’en une douzaine variée afin que je choisisse dans le tas, il s’agit de remplacer deux autres pigeons, vous saisissez ?

Il pige très bien.

— Oh ! oui, merveilleuse idée, San-Antonio… Vous avez trouvé le nid ?

— Oui. Naturellement, les bestioles que vous me remettrez devront rejoindre une base à nous, une fois lâchées…

— Ça va de soi[27] !

— D’ici combien de temps pensez-vous que je puisse avoir ces zoziaux ?

Il réfléchit.

— Dans trois heures, ça va ?

— Au poil. Vous direz à celui qui les apportera de m’attendre à l’embranchement de la route menant au pavillon. Ou plutôt, c’est moi qui l’attendrai, vu ?

— Vu.

— Autre chose, patron, avez-vous fait faire une enquête sur le personnel du Monsieur que vous savez ?

— Naturellement !

— Rien d’intéressant de ce côté ?

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25

Si vous les trouvez trop idiots, ne lisez pas les renvois en bas de page, ou bien entre deux de mes chapitres, farcissez-vous « L’Annonce faite à Marie » ou le « Soutier de Sapin ».

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26

Ce qui est préférable à un transport au cerveau, mais moins rentable qu’un transport en commun.

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27

Comme on dit à Lyon.