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— Négatif sur toute la ligne, ces gens semblent mener une vie très normale.

— Bon, merci… À bientôt, patron, excusez-moi de vous déranger au milieu de la nuit, mais ça urgeait.

— On ne me dérange jamais lorsqu’il s’agit du travail, San-Antonio !

Et rrran-rrran-rrran ! Fermez le ban !

Il a trouvé le moyen de se gargariser un brin au passage.

— Bonne fin de nuit, Chef.

Je raccroche.

Les bourdilles du guet sont médusés. Mon histoire de pigeons les laisse sur le prose. Le brigadier, un gros sanguin, me regarde en rigolant.

— Des pigeons, fait-il…

— Oui, dis-je, des pigeons…

— Des vrais ?

— D’authentiques…

— Pour quoi faire ?

— J’ai une boîte de petits pois dans mes bagages, je voudrais l’utiliser…

Il n’est pas content de ma plaisanterie ; pourtant, impressionné par mon titre, il n’ose montrer sa mauvaise humeur.

Je leur serre la cuillère à tous et je m’esbigne.

CHAPITRE VI

la botte SECRÈTE

La province, la nuit… Quoi de plus mélancolique, de plus envoûtant aussi ?

Assis à mon volant, je regarde ces vieilles maisons silencieuses, ces édifices d’un autre âge, ces petites rues furtives aux pavés inégaux et je pense qu’il doit faire bon être épicier dans ce coin… Épicier ou n’importe quoi… Mais mener une vie tranquille dans des habitudes routinières… Dire bonjour aux voisins, suivre les défilés de la clique… Assister au banquet pour l’anniversaire du maire. Discuter de la construction des nouveaux lavoirs et se mettre sur son trente-et-un pour aller au cinéma…

Je me demande si au fond ça n’est pas ça, la vraie richesse, la vraie vie… Notre durée limitée exige ce train-train végétatif… Avons-nous le droit d’user notre sursis à de folles équipées au lieu de le savourer délicatement ?

Je retraverse la ville et prends le chemin du retour. Parvenu à la bifurcation, je remise mon baquet sur le bord du fossé, je mets mon feu de position et je fais basculer le dossier de mon siège afin de pouvoir en écraser. Le sommeil commence à me gagner pour de bon et j’ai idée qu’une ronflette ne me fera pas de mal.

Il ne me faut pas longtemps pour sombrer dans les vapes. Je me mets à rêver que je suis à cheval sur un gros pigeon et que je cherche à saisir Martine par sa jupe, tandis que le professeur Thibaudin me poursuit avec une seringue. Vous le voyez, c’est du cauchemar d’actualité.

Je ne sais combien de temps je pionce. Soudain, quelqu’un frappe à ma vitre… Je me soulève et j’aperçois Magnin, un type de nos services. Il rigole derrière ma vitre embuée.

J’ouvre la portière. La nuit a fraîchi. Une bouffée froide me saute dessus. Je me sens frileux et une vague nausée me tortille l’estom. C’est ce sacré cassis.

Magnin me salue d’un joyeux :

— Alors, patron, bien roupillé ?

Je fais quelques pas sur la route.

— J’ai mal aux cheveux, fils… Tu n’aurais pas un flacon de raide dans ta voiture ?

— Non, je n’ai que des pigeons et ils font un boucan du diable !

Ça me ramène au sens de la réalité.

— Bon, amène-toi, je file devant, tu me suis…

Nous récupérons nos véhicules respectifs et, l’un derrière l’autre, nous prenons le chemin du pavillon. Mais avant d’arriver en vue du laboratoire, j’oblique sur la droite et je stoppe devant l’immense grille rouillée du château abandonné.

Magnin sort une malle d’osier emplie de battements d’ailes.

Je l’aide à la coltiner jusqu’au hangar. Parvenus là, nous cherchons dans son cheptel deux pigeons ressemblant aux deux qui sont en pension ici. Lorsque nous avons fait notre sélection, nous remplaçons les uns par les autres et le tour est joué.

Je lie un morceau de fil aux pattes des deux pensionnaires précédents.

— Tu diras au Vieux qu’on les soigne bien, ces deux-là, recommandé-je à Magnin.

— Soyez sans crainte, patron…

Nous retournons à nos voitures et chacun prend une direction opposée à l’autre.

Je me zone avec la satisfaction du devoir accompli. En agissant comme je viens de le faire, j’ai paré à tout nouveau risque de fuite. En effet, vous n’ignorez pas qu’un pigeon voyageur a une base. D’où que vous le larguiez, il la regagne… Si l’espion du laboratoire confie un nouveau message à l’un des deux pigeons du hangar, celui-ci la portera illico à nos services. C’était simple mais il fallait y penser.

Cette fois c’est le vrai dodo… J’en écrase jusqu’à huit plombes le lendemain.

La première personne que j’aperçois en sortant de ma carrée, c’est — vous l’avez parié ! — ma petite pétroleuse. Elle s’est réussi une coiffure wonderfull et arbore, sous sa blouse non boutonnée, une robe de velours beige dont le décolleté rendrait dingue l’archevêque de Canterbury. Nature elle venait à la relance, cette petite goulue !

Je lui dis « Entrez donc vous êtes chez vous » et je lui prouve en deux temps et un peu plus de trois mouvements que tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée de bas en haut égale au poids du liquide déplacé…

C’est du rapide, quelque chose dans le genre du coup de clairon matinal.

Mais ça donne une orientation à la vie.

The main in the main, nous descendons pour le petit déjeuner… Ce qui est poilant, c’est de traverser tout le parc pour aller avaler une tasse de caoua !

Tout le monde est là lorsque nous arrivons. Thibaudin donne des instructions aux deux toubibs. Les trois assistants nous regardent entrer avec un petit air ironique. Sans doute, trouvent-ils que la secrétaire du Vieux et moi faisons bon ménage…

Je salue mon monde avec la courtoisie qui fait mon charme, et je m’attable.

Ça fait un drôle d’effet de cohabiter avec un espion. Nous sommes huit dans cette grande pièce… Sur les huit, l’un est le traître, l’autre le flic et un troisième, en l’occurrence Thibaudin, constitue le destin. C’est lui qui a créé le problème… Oui, étrange situation à la vérité.

Par-dessus mon bol de café, je regarde tout le monde… Lequel des six est l’homme que j’ai vu de ma lucarne ? Ce n’est pas Martine à coup sûr, il lui était impossible de sortir du pavillon sans attirer l’attention du sévère veilleur. Alors qui ? Je tâche de me rappeler la silhouette confuse… Si au moins il avait fait clair de lune… Je ne crois pas non plus qu’il s’agisse de Berthier, il est trop gros pour franchir un mur… Et puis, je crois que je l’aurais reconnu…

Bon, c’est l’un des quatre autres… Il leur est aisé de sortir la nuit sans donner l’éveil… Leurs chambres sont toutes au rez-de-chaussée puisque les constructions n’ont pas d’étage…

Ils n’ont qu’à sauter leurs fenêtres…

Il faut attendre…

La journée s’écoule sans le moindre incident. Chacun boulonne dans sa petite sphère et je donne le change en trimbalant des paperasses d’un air grave et compassé, sans oublier de faire du pince-mi et pince-moi à Martine chaque fois que je la croise dans un couloir…

J’attends la prochaine nuit avec impatience, car je suppose qu’alors l’homme aux pigeons ira soigner ses bestioles. Je me propose de faire le vingt-deux dans les parages car je donnerais le foie de M. Georges Bidault pour pouvoir identifier l’individu en question…

Les heures me paraissent interminables. Il y a le repas de midi… Calme plat. Cette équipe de savants me rend mélancolique… Ces gens-là sont soucieux comme des pingouins. C’est pas marrant de coexister avec eux. Ma parole, s’ils se mariaient, leurs nanas ne l’auraient pas belle. Ce serait ou la grosse crise de neurasthénie, ou les galipettes avec un rigolo du quartier.