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Enfin le soir radine à pas de loup. Une ombre complice[28] s’étale en tapis noir sous les frondaisons.

Après le souper, la Martine jolie me file son œillade 17 bis, modifiée par l’arrêté du 3 avril dernier. Je lui réponds par un regard en cinémascope-couleur… Très emmouscaillé, le petit San-Antonio radieux. C’est toujours idiot de décevoir une dame. La jolie poupée que voilà s’apprête à se faire reluire par mes bons soins, et moi, grosse truffe, je vais être obligé de lui dire « pas ce soir », comme une femme adultère à son époux.

Comme la veille, Thibaudin, sa secrétaire et moi rejoignons notre base après avoir tortoré un « Velouté aux champignons » (Conserves Liebig, je vous le répète, à ne pas confondre avec Cocorico, le potage qui a vraiment le goût de la merluche) et un bœuf gros sel.

Cette fois, il y a clair de lune, comme dans Werther, et tous les espoirs me sont permis.

Séparation dans le hall. Le Vieux s’enferme dans sa carrée. Nous continuons notre ascension, la pin-up et bibi… Elle commence déjà à écrire ses mémoires avec sa chute de reins en grimpant l’escadrin. Je glisse une paluche ascendante sous ses jupes et la voilà qui se met à rigoler sous prétexte que ça la chatouille.

Parvenue devant sa niche, elle délourde, entre, donne la lumière et m’attend.

Au lieu de franchir le seuil, je la biche par une aile et lui décerne le premier prix de patinage linguistique, avec mention spéciale du jury. Elle croit que le jour de gloire est arrivé, mais je la détrompe gentiment.

— À demain, mon ange, j’espère que tu viendras me réveiller, comme hier ?

Elle n’ose pas présenter ses revendications avant d’en avoir parlé à son syndicat, et referme sa lourde avec humeur.

Je m’éloigne, pose mes nougats, et redescends en souplesse en utilisant la rampe comme moyen de locomotion.

Le gardien de nuit est médusé. Il trouve ces façons peu compatibles avec mes fonctions et me le fait savoir par un regard sévère.

Je me rehausse.

— Si par hasard quelqu’un me cherchait, dis-je, n’oubliez pas de me prévenir en rentrant.

Il a un signe d’approbation.

— Entendu.

Je cours à la brèche, je la franchis et je me tapis dans un fourré tout contre le mur en priant ardemment le ciel pour que je ne sois pas assis sur une fourmilière.

Maintenant, il ne me reste plus qu’à attendre le passage du mec qui ira soigner ses pigeons. Décidément, toute l’affaire tourne autour de ces volatiles.

Si au moins je pouvais fumer ! Mais va te faire voir, c’est le cas de le dire. Rien n’attire autant l’attention, la nuit, que le rougeoiement d’une cigarette.

Je prends mon mal en patience, je m’exhorte au calme, je ronge mon frein, je trompe le temps, je poireaute, je fais le pied de grue (assis), je croupis[29]

Et les heures de couler lentement, comme un flot de goudron… Pour comble de bonheur, v’là que des nuages malades se mettent à obscurcir les nues. La lune se dilue dans de la grisaille, tel un comprimé d’aspirine.

J’attends toujours. La pluie commence à tomber, j’attends encore ! Qu’est-ce qu’il fout, le colombophile ! Il ne leur porte pas de la croustance à ses zoziaux, cette nuit ? Après tout, peut-être qu’il ne les nourrit que tous les deux jours… À moins qu’un événement indépendant de sa volonté l’empêche de sortir de sa chambre ?

Je patiente encore une paire d’heures. Lorsque la demie de trois plombes retentit au beffroi de ma montre, je décide de laisser tomber. Mes fringues sont trempées et je claque des ratiches comme un couple de squelettes qui danseraient la Danse Macabre sur une banquise. Si je moisis encore une heure, je suis bonnard pour la congestion ou la pneumonie ! À moi la pénicilline !

Je me lève et exécute quelques mouvements désordonnés, manière de rétablir la circulation. Je m’apprête à retourner dans ma soupente, mais je me dis qu’après tout, je pourrais aller jeter un coup d’œil aux pigeons.

Je fonce donc en direction du hangar effondré.

Ça roucoule à mon approche !

Je vais à la caisse grillagée et je plonge à l’intérieur le pinceau lumineux de ma Wonder : j’ai un sursaut, les mecs. Il ne reste plus qu’un pigeon dans la cage !

Pour une surprise, c’en est une ! Mon gars est venu dans la journée… Il a câblé un message… Et moi, j’étais icigo. Ce salaud-là a agi exactement comme si San-Antonio n’existait pas.

J’ai beau savoir que son message arrivera à nos services, je suis en renaud de m’être laissé feinter !

Dites, heureusement que j’ai pris mes précautions !

La flotte se met à lancequiner pour de bon. Je rentre tout crotté au pavillon.

CHAPITRE VII

Les ressorts SECRETS

Parvenu dans ma piaule, je me déloque afin de me sécher, puis je passe un beau pyjama et je repars en expédition.

J’arrive devant la chambre de Martine. Je me mets à gratter le panneau de la porte pour l’éveiller. Au bout d’un instant de ce manège, un rais de lumière filtre sous sa lourde. Elle a reconnu ma façon de frapper, car elle ouvre sans demander à qui elle a affaire.

— À ces heures ! demande-t-elle.

Je l’enlace.

— Figure-toi, Douceur extrême, que je rêvais de toi… J’ai voulu joindre la réalité au songe… Trop souvent, quand on sort d’un rêve, on est effroyablement déçu ; pour une fois que la réalité peut surenchérir…

Un tel langage attendrirait le cœur d’une statue de bronze. Il va droit à celui de Martine, et cette étape franchie, gagne d’autres endroits aussi sensibles de son académie.

Cette académie-là, croyez-moi, c’est du billard. Une académie qui donne la faculté de passer un bon moment[30].

Une gigantesque partie de Papa, Maman, l’abonné et moi s’organise, avec buffet froid, défilé en musique et chants choraux par les enfants des écoles.

Je lui joue « L’Enlèvement de Proserpine », « La Chevauchée fantastique », « La fée Carambole », « Recto-Verso » et « Sans bourse délier » une œuvrette de mon cru.

Elle en devient dingue, elle crie « Bis », et je remets le couvert jusqu’à plus soif.

Ensuite, je profite de son état vaguement comateux pour lui poser des questions. Vous le savez, avec moi le turbin ne perd jamais ses droits.

— Dis donc, chérie, après le repas de midi, nous avons pris le café chez les assistants, n’est-ce pas ?

— Mais oui, mon grand fou !

Grand fou ! Qu’elle ne recommence pas, sinon elle a droit à une dégustation de phalanges.

— Te souviens-tu si l’un de nous s’est absenté pendant ce temps ?

Elle hausse un sourcil.

— En voilà une question, pourquoi me demandes-tu ça ?

Pour couper court et me donner le temps de trouver une explication, je fais :

— Je te dirai après…

Elle réfléchit.

— Ben, le Vieux est parti avant tout le monde, je crois, non ?

Ça m’agace…

— Oui, je me rappelle, mais en dehors de lui ?

— Planchoni est allé chercher des cigares dans sa chambre…

— Il ne s’est pas arrêté… Qui d’autre encore est sorti ?

Elle fouille sa mémoire sans résultat.

— Personne d’autre, il me semble.

Je passe mes souvenirs en revue, de mon côté, et je ne trouve rien non plus… Donc, ça n’est pas pendant le repas qu’il y a eu le lâcher de pigeon… Sans doute cela a-t-il eu lieu le matin ? Oui, sûrement…

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28

Les romans policiers ont ceci de commun avec les romans d’amour, c’est que l’ombre y est toujours complice.

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29

Si vous trouvez d’autres expressions non répertoriées dans cet ouvrage, adressez-les moi sous pli fermé timbré à 25 centimes. Merci.

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30

Quelle virtuosité !