Le temps de compter jusqu’à quatre et je perçois une clameur d’épouvante. Je me rue à la cuisine. Le bougre est environné de flammes. Il se croit déjà déguisé en Jeanne d’Arc à l’acte final, dernier tableau !
Je le chope en arrière comme pour le sortir de ce brasier-bidon ! Mais je m’arrange de telle façon — je suis prof de judo à mes heures — que je lui démets l’épaule droite.
Ses cris redoublent, naturellement. Moi, très Pont d’Arcole, j’éteins ce début d’incendie qui, — soit dit entre nous et la cage d’ascenseur —, mourait déjà de sa bonne mort…
Je reviens à ce brave cul-de-singe. Il se tient l’épaule en hurlant que ça lui fait mal.
— Ben, qu’est-ce qu’il y a, mon petit père ? Vous vous êtres gravement brûlé ?
— Non, c’est vous…
— Comment, c’est moi ! je renaude.
Je chique au gars très mécontent.
— Je vous tire d’un incendie et vous rouscaillez parce que je ne vous ai pas pris entre le pouce et l’index !
Il s’excuse, mais son bras le fait terriblement souffrir. C’est une mauvaise blague pour lui, j’en ai un peu honte, mais un petit coup d’assurance ne lui fera pas de mal.
On prévient Thibaudin de l’accident. Il est décidé que j’emmènerai cul-de-singe chez lui, à Évreux, et qu’en attendant je m’occuperai de la bouffe. Très habilement j’ai proposé ça au Prof, alléguant qu’il serait imprudent de faire appel à un remplaçant dont on ne serait pas sûr.
Donc, tout va bien de ce côté-là. Le soir je me charge de la jaffe, aidé par Martine qui saute sur l’occasion de se faire pétrir le balancier en loucedé. J’ai beaucoup pensé au cours de l’après-midi et je me suis injurié copieusement pour n’avoir pas pigé plus tôt que tout désignait Thibaudin comme coupable. L’impossibilité pour un autre d’avoir accès au coffre et aussi le fait qu’il gardait jalousement pour lui les fruits de ses recherches… J’ai même découvert, en musardant dans les étages, que sa chambre possède une seconde issue lui permettant de sortir du pavillon sans passer par le hall.
Dommage que ces Messieurs, en Haut-Lieu, aient décidé d’en finir discrètement avec lui. J’aurais aimé lui poser certaines questions… Maintenant j’enrage à la pensée qu’il va claboter en croyant nous avoir floués !
Le dîner n’est pas plus mauvais que les autres soirs. Martine dessert la table et je lui file rambour pour un avenir très immédiat dans sa carrée.
Ensuite je harponne le vieux discrètement.
— Je voudrais vous parler, Professeur.
Il a un vacillement dans les lampions.
— Ah oui…
— Retrouvons-nous tout à l’heure dans votre bureau, d’accord ?
— Entendu.
Une heure plus tard, après avoir conseillé à la môme Martine de grimper la première, je passe dans l’antre du père Thibaudin. Il est assis dans le fauteuil Voltaire et ses paluches tremblent sur les accoudoirs.
Apparemment il est anxieux.
Je m’efforce de sourire.
— Mon chef voulait me voir aujourd’hui pour tenir un conseil de guerre, mais hélas je dois avouer que nous n’avons guère avancé…
Il fait la grimace, cet hypocrite. Ah ! on peut dire qu’il cache bien ses brèmes.
— Je n’ai pas revu votre laboratoire depuis hier, j’aimerais y jeter un coup d’œil, maintenant que nous sommes seuls.
— Venez !
Il me lâche à regret. Visiblement, il ne tient pas à cette visite touristique.
Nous retournons dans l’immense pièce aux ustensiles barbares.
— Vous avez changé la combinaison du coffre, ce soir ?
— Non, pas encore…
— Ça vous ennuierait de le faire ? Je voudrais me rendre compte de quelque chose…
— Entendu…
Il écarte le bassin et tripatouille le bouton à système.
— Voilà, fait-il…
— Puis-je demander le mot de passe que vous venez de choisir ?
— LIDO.
— Pas mal…
Je feins de me désintéresser de la question.
Seulement je triomphe intérieurement, les potes ! Car voyez-vous, je prévois tout, c’est le secret du travail bien torché. Je me dis que demain matin je lui ferai prendre sa potion calmante ; seulement après il faudra que je mette la main en douce sur tous les documents enfermés dans cette boîte d’acier. Conclusion, pour ne pas avoir à entreprendre de grands travaux, mieux vaut connaître la combinaison.
Nous repartons du labo, le Vieux et moi.
Je le raccompagne, comme chaque soir, jusqu’à sa lourde. Ensuite je redescends trouver le veilleur de nuit, et je dis au bull-dog de me prévenir si, par hasard, le Professeur retournait à son labo au cours de la nuit.
Ces dispositions arrêtées, je me consacre pendant une bonne heure à Martine. Je ne sais pas où elle a fait ses classes, mai je peux vous affirmer qu’elle trouve toujours du nouveau. C’est une petite merveille que cette gosse. Elle aurait été élevée au One two two qu’elle n’en saurait pas davantage sur l’art et la manière de vous faire visiter le septième ciel.
Un feu d’artifice, mes z’enfants ! joint aux grandes eaux de Versailles ; multiplié par Paris-by night ; majoré de la Kermesse aux Etoiles, avec la participation gracieuse de la revue du Lido et des Petits chanteurs à la Croix de Bois !
Quand on sort de sa couche, on se demande si on vient de passer à travers un engrenage ou si Sugar Robinson ne vous a pas confondu avec le type qui faisait du gringue à sa femme !
Lorsque je regrimpe dans mon pigeonnier[35] j’ai les cannes en coton à repriser. Au point que je suis obligé de m’agripper à la rampe pour ne pas m’affaler dans l’escadrin.
J’ai connu bien des escaladeuses, mais jamais des comme Martine.
Va falloir que je me fasse vulcaniser si je continue à la fréquenter, cette petite portion pour Monsieur esseulé !
CHAPITRE IX
J’observe encore le SECRET, mais d’un peu plus près
Aux aurores je m’éveille, ayant pris soin de remonter la sonnerie de mon Jaz !
Je lève illico le panneau vitré de ma tabatière, ce qui me permet de constater qu’une belle journée se prépare. Le ciel est rose-praline, l’air est léger comme le compte en banque d’un producteur de film, et il ferait assez bon vivre si je n’étais obligé de tuer un homme ce matin.
Je vais faire ma toilette dans la salle de bains commune. Et, muni du flacon que vous savez, je me dirige vers l’annexe.
Deux de ces Messieurs sont déjà levés : Duraître et Planchoni. Le torse nu, ils font de la culture physique dans le parc pour se maintenir en forme ! Le gros Berthier, qui n’a pas eu la patience de m’attendre, tortore une demi-douzaine d’œufs sur le plat. Il me rappelle Bérurier !
Promu cuistot par mes bons soins, comme vous le savez, je m’active dans l’officine. Le flacon fatal[36] dans ma pocket pèse une tonne et me brûle la peau à travers l’étoffe de mon grimpant.
Je fais chauffer de l’eau et beurre les toasts en attendant que tout mon petit monde de poseurs et de résolveurs d’équations soit réuni.
Les uns prennent du café, d’autres — et c’est le cas du vieux saligaud — préfèrent du thé. Le jeu (si je puis dire) consiste à isoler la théière du père Thibaudin et à ne pas se gourer dans le service. Ce serait une bien sale blague à faire au pauvre zig qui ferait l’objet de cette erreur. Il aurait droit à sa paire d’ailes et à son luth doré, le frangin… Et le récital n’aurait pas lieu salle Gaveau, je vous le fais remarquer, mais chez Saint Pierre…
36
Il faut bien sacrifier de temps à autre au vocabulaire de la plus pure tradition policière, pas vrai, les mecs ?