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Enfin, tout le monde est attablé. C’est le moment c’est l’instant, musique please ! Que le maestro fasse gaffe, surtout ! Un coup de baguette malencontreux et on joue la « Pavane pour un assistant défunt » !

Le hic, c’est que les préséances m’obligent à servir Thibaudin le premier…

J’ai mon idée… Elle vaut ce qu’elle vaut, c’est à l’usage qu’elle prouvera si elle est bonne ou si elle ne mérite pas plus de considération qu’un billet perdant de la Loterie Nationale.

Je sers les caouas en premier afin d’en être débarrassé. Ensuite je m’occupe des thés. Ici c’est « Thé et antipathie » que je joue… Ils sont trois à en boire : le Vieux, Martine (because la ligne) et Minivier…

Je leur verse trois tasses normales, bien fumantes, et, au moment où ils se sont sucrés, je leur présente un plateau de toasts… Mais ce faisant, je m’arrange de façon à renverser le bol du Professeur…

Je m’excuse, j’éponge le sinistre et j’ai envie de gifler Martine, parce que cette espèce de petite crétine propose sa tasse au Vieux. Heureusement, un reliquat de galanterie française incite Thibaudin à refuser la proposition. Minivier qui se fout quatre sucres dans son thé ne peut offrir un échange standard à son boss qui, lui, n’en met que deux…

Je retourne à la cuisine et je prépare moi-même une tasse de ma composition… La moitié du flacon y passe. Avant de servir, je renifle un grand coup pour voir si ce liquide étranger n’est pas décelable, mais non… Ça chlingue le thé, uniquement.

Frémissant tout de même, je porte ce petit déjeuner mortel à ma victime. Thibaudin parle d’abondance des travaux de la journée.

Je surveille attentivement sa tasse ; quand il la porte à ses lèvres j’ai un petit choc au cœur. Lui ne tardera pas à en avoir un aussi, mais beaucoup plus violent !

Il boit une gorgée et s’arrête un instant de parler. Le v’là qui tique car le breuvage a sûrement un goût. Puis il passe outre, s’étant sans doute dit que je suis un piètre cuistot intérimaire, et il finit d’avaler le contenu de sa tasse. Comme disait une couturière de mes amies qui avait abandonné le métier : « Cette fois les dés sont jetés ». Il est en route pour la terre glaise… Après-demain, les fleuristes vont travailler ferme !

Je regarde s’éloigner la caravane de savants. Martine reste seule avec moi pour m’aider à déblayer le terrain.

— Tu parais tout triste ? observe-t-elle.

— Je pense à la vie, fais-je en haussant les épaules.

— C’est cela qui te déprime ?

— Oui. Je la trouve difficile à vivre par moment…

Elle me coule une de ses œillades friponnes qui flanqueraient des envies à un bonhomme de neige.

— Pourtant elle a ses bons côtés, mon chéri… Souviens-toi…

Allusion très nette à nos galipettes de la nuit précédente, mes z’enfants. Les femmes aiment bien vous émoustiller par des allusions qui vous vont droit au baigneur.

Je lui mets une caresse sur le popotin.

— Tu as raison, beauté brune, lui fais-je.

Elle secoue sa chevelure dorée.

— Pourquoi brune ? dit-elle avec un petit sourire pour hépatique guéri.

— Pourquoi blonde ? je rétorque d’une voix tellement lourde de sous-entendus que je suis obligé de laisser tomber la dernière syllabe.

Elle éclate de rire. Un quart d’heure plus tard nous retraversons le parc pour gagner le pavillon.

Grosse effervescence dans la casba… Nous trouvons le Vieux étendu sans connaissance sur les carreaux du hall. Tout son état-major fait cercle autour de lui avec des visages sinistres.

Les deux docteurs l’auscultent et s’interrogent du regard.

— Le cœur, fait Minivier.

Duraître approuve d’un hochement de tête.

Martine pousse les exclamations d’usage. J’ai tout de même un regard apitoyé pour ce pauvre bonhomme que je viens de rayer de la liste des vivants.

— Il vit toujours, déclare Duraître… Je pense qu’on devrait le transporter à l’hôpital d’Évreux, non ?

Minivier est sceptique…

— Il vaudrait mieux ne pas le bricoler… Je vais lui faire une piqûre d’huile camphrée…

Le voilà parti en courant. Les autres s’activent, trottent chercher des couvertures, des oreillers pour arranger Thibaudin… Le gros Berthier lui palpe le pouls d’un air navré…

— Ça bat encore, murmure-t-il…

— Crise cardiaque ? j’interroge.

— Oui.

Hypocritement je demande :

— Il y a de l’espoir ?

Le gros tas de lard fait la grimace…

— Faudra voir, après la piqûre… Mais je ne crois pas !

C’est alors que je pense au laboratoire. À mon avis, je dois profiter de la confusion et de l’inattention générale pour aller chouraver les documents du coffre…

Mine de rien je m’esbigne par le bureau du vieux. Il a eu le temps d’ouvrir la porte blindée avant de tomber… J’entre dans la vaste pièce et je galope droit au coffre. Je tourne l’écrou qui commande le déplacement du bassin, et je m’active sur la mollette… LIDO…

Facile… Ce n’est pas le premier coffre de ce genre que j’ouvre, mais là : échec et mat ! Il reste bouclé. Le vieux a dû changer la combinaison du coffre. Je remets le bassin dans sa position normale.

Je regarde autour de moi ce laboratoire où est né l’un des plus beaux remèdes qu’un homme ait jamais mis au point. Et dire que pour des nécessités de politique obscure, il a fallu que je liquide l’homme en question…

Un grand désenchantement s’empare de moi. Je pense au vieux Thibaudin qui clabote dans le hall… C’est rudement mochard !

J’ai un regard navré à sa table de travail où s’est matérialisé son génie !

Quelque chose me fait froncer les sourcils… C’est une petite tache ronde au beau milieu du sous-main. Une tache qui se trouve être un reflet très pâle… Un reflet de jour… C’est d’autant plus curieux que, je l’ai dit par ailleurs, la salle n’a pas de fenêtre… S’agit-il d’un trou ?

Je lève la tête et j’aperçois une pastille de lumière au plafond. Oui, juste au-dessus de la table de travail de Thibaudin, il existe un petit trou minuscule. La lumière qui tombe de là n’est pas perceptible en temps ordinaire parce qu’on allume l’électricité ! Or, maintenant, voulant éviter d’attirer l’attention, je me suis servi de ma lampe électrique pour me mouvoir dans le labo…

Troublé par cette constatation, je mets une table sur le large bureau de Thibaudin, une chaise sur cette table, et j’escalade le tout au risque de me défoncer le cigare…

Juché sur cette pyramide, je parviens à la hauteur de l’orifice. Je constate alors qu’il ne s’agit pas d’un trou normal, mais d’une petite lentille… Et tout à coup je pige tout !

Au-dessus du labo, grâce à cette lentille placée dans le plaftard, on peut voir, grossie, la table de travail du Vieux…

Il est possible de photographier le dessus de son bureau. Vous me suivez ?

Quelque chose de hideux, de glacé, de fou, de mortel, me choit dessus. La situation est si affreuse que j’ai envie de me filer une olive dans le chignon.

Et pourtant la réalité est là, tangible : il y a eu maldonne ! Le prof a été victime des gens qui le trahissent. On a dû s’apercevoir de la substitution des pigeons, et on a retourné ma ruse contre moi ! Le salaud qui pillait le cerveau de Thibaudin s’est servi de notre machination pour transformer le pauvre homme en coupable !

J’ai empoisonné un innocent !

Voilà !

CHAPITRE X

L’escalier SECRET !