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Comme la gonzesse qui avait filé un coup de périscope derrière elle, me voilà transformé en statue de sel ; ce qui donne soif, chacun sait ça et personne ne l’ignore !

Puis, brusquement, je prends une décision héroïque. Vite, je cavale hors du labo, jusqu’au hall…

Thibaudin est toujours allongé par terre. On l’a enveloppé dans des couvrantes et son personnel statue sur la conduite à tenir. Après tout ils sont toubibs, les gars, et je n’ai qu’à les laisser jouer…

— Il vit toujours ? je demande.

On répond à peine à ma question. Je vois la poitrine du Vieux se soulever faiblement… Oui, il tient encore le choc peut-être à cause de la piquouze qu’on vient de lui faire pour lui soutenir le palpitant.

Je fonce dans le bureau du mourant et je demande en priorité la communication avec Pantruche. Je l’ai illico. Heureusement, mon Chef n’est pas en conférence.

— Allô ! boss !

— Ah ! bonjour, mon cher… Alors ?

Je mugis :

— Alors j’ai fait le nécessaire, patron, mais je viens de découvrir qu’il y a erreur…

— Vous vous êtes trompé en administrant le…

— Non ! Erreur judiciaire. Thibaudin est innocent !

Pour la première fois il sort de sa légendaire réserve.

— Quoi !

— Je vous raconterai tout par le menu… Il faut faire quelque chose pour essayer de le sauver, Chef ! C’est horrible ! Il est étendu dans le hall, inanimé… N’existe-t-il pas un antidote à la saloperie que vous m’avez fait lui administrer ?

Il ne proteste pas.

— Restez à l’écoute, San-Antonio, je vais demander à notre toxicologue ce qu’il en pense…

J’attends en piaffant d’impatience. Je perçois faiblement la voix du Boss jactant sur une autre ligne. Vite ! Vite ! Oh mon Dieu, faites qu’on puisse tirer Thibaudin de ce mauvais pas. Je me dis que s’il clabote je file ma démission au Vieux !

Il ne sera pas dit que j’aurai contribué à la mort d’un homme de bien et que je continuerai mon petit bonhomme de chemin ! Ah non alors ! J’en veux à mon supérieur. Moi qui l’avais toujours jugé infaillible… Les hommes qui se croient si malins, si fortiches, ne sont dans le fond que de pauvres animaux livrés à eux-mêmes…

Misère ! Il pourra aller se boucler à la Trappe, ce grand toquard de Chauve ! Ou bien s’engager comme caporal ordinaire à l’armue du salé ! Excusez, je suis troublé !

— Allô ! San-Antonio ?

— Oui…

— Passez-moi l’un des médecins qui entourent Thibaudin, on va lui donner des instructions…

— O.K.

Je cavale dans le hall. Là je marque un poil d’hésitation… Le sacré métier, toujours lui, qui reprend le dessus et me fait réfléchir.

Suivez le raisonnement de l’acrobate, tas de gnafs ! Puisque le Professeur n’est pas coupable, quelqu’un de son entourage l’est, ainsi que nous l’avions primitivement pensé.

En appelant un des gars qui sont là, j’ai une chance sur six de tomber sur le vrai coupable ! Vous mordez le cas cornélien du San-Antonio joli ?

À moi de choisir… À moi de décider en trois secondes lequel est innocent…

Je regarde Minivier et Duraître…

— Docteur Duraître, m’entends-je appeler…

Voilà, je m’en suis remis à mon instinct. Tant pis s’il me fout dedans !

Duraître lève sa frite anxieuse. Il est plus pâlot que jamais…

— On vous demande au fil…

Il radine, l’air ennuyé et surpris…

— Qui ? me demande-t-il…

Je le pousse en loucedé dans le bureau et lui montre ma carte.

— Police ! ne cherchez pas à comprendre… Vous allez vous conformer exactement aux prescriptions qu’on va vous donner…

Hébété, il s’empare du bigophone sans me quitter du regard. Je ne sais pas s’il joue les incrédules, en tout cas sa stupeur est bien imitée.

Il se présente :

— Allô, Docteur Duraître…

L’autre balance son blaze et ça paraît impressionner le jeune médecin, car il cesse de me regarder pour fixer respectueusement son combiné.

Il écoute attentivement en hochant la tête et répond par monosyllabes.

— Oui, oui, fait-il, j’en ai… Oui… très faible… Bon… Bien, monsieur le Professeur.

Il raccroche et s’élance vers la porte. Je lui chope le bras.

— Motus en ce qui me concerne, hein ?

Il a une brève affirmation et s’en va.

Notez qu’il est inutile que j’espère conserver l’incognito. Le message trouvé sur le second pigeon prouve que l’espion est au courant de mon identité…

Le branle-bas continue à emplir le hall, transformé en infirmerie, d’une agitation échevelée. Cette fois, Duraître a pris la direction des opérations… J’espère ne pas m’être gouré en l’estimant innocent.

Je sors sur l’esplanade et je fais un examen approfondi de la casba pour essayer de voir à quelle pièce du premier correspond la lentille fixée dans le plafond du laboratoire.

Mon exercice topographique me permet de délimiter le secteur. Je pénètre dans la baraque et je grimpe à l’étage au-dessus… Au bout de quelques minutes de recoupements, je finis par dénicher le judas… Il se trouve tout simplement dans les gogues !

Il n’existe pas d’endroit plus anonyme et d’utilisation plus générale, vous en conviendrez ?

Le trou à la lentille se trouve juste derrière la cuvette. On ne peut absolument pas le découvrir si on ignore son existence. Je m’accroupis au-dessus et j’aperçois le sous-main du Professeur grâce à la clarté qui arrive par la porte ouverte du labo. Ce sous-main me semble être à cinquante centimètres de moi ! Je vous parie un deux cents de valets contre un valet de chambre qu’on peut, d’ici, presque lire ce que le bonhomme écrit. Les photos qui sont tirées doivent être agrandies…

Je me redresse : photo !

L’un des membres du personnel possède donc un attirail de photographe, la chose ne fait pas de pli !

Je me barre du pavillon au moment où l’on transporte le père Thibaudin dans sa chambre.

Au passage je jette un regard éperdu à Duraître. Il me répond par une petite moue incertaine qui ne me dit rien qui vaille ! Pourvu qu’il arrive à sauver son patron !

Je suis peinard pour explorer les chambres de ces Messieurs… Je commence par la plus petite annexe. Celle qui héberge les trois sous-fifres : Berthier, Berger et Planchoni.

J’entre dans la première carrée et je me rue sur une valise glissée sous le lit. Elle ne renferme que du linge sale… Aucune trouvaille digne d’intérêt non plus dans le petit placard… Je reconnais l’identité du locataire à l’ampleur des fringues.

C’est la piaule de Berthier, l’obèse…

Je ressors, bredouille, et j’entre dans la chambre de Planchoni. Pas d’hésitation, c’est bien la sienne, il y a, fixée au-dessus du lit, une photo qui le représente aux côtés de sa bonne vieille môman. Ils ont, l’un et l’autre, la même frime chevaline. Ils pourraient servir d’enseigne à une boucherie hippophagique, c’est vous dire…

En explorant dans le placard, je trouve un appareil photographique, mais il n’est vraiment pas fameux. C’est un vieux machin carré, en boîte, comme on en gagnait avant-guerre dans les loteries ou comme vous en proposaient les bons de la Semeuse contre une flopée de timbres-réclame…

C’est certainement pas avec ce vieux 6x9 qu’il a pu photographier les documents… Pour faire ce boulot, on a utilisé sans doute un appareil perfectionné, avec flash…

Je quitte la seconde chambre pour pénétrer dans la troisième, à savoir celle de Berger. Mon attention est illico sollicitée par un attirail complet de photographe dans une sacoche de cuir accrochée à un clou.