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Vous avez conservé les deux que Magnin a ramenés ?

— Bien sûr…

— Pouvez-vous dire qu’on les amène, ainsi que celui qui se trouve dans mon bureau ?

Il décroche son tubophone intérieur et donne des instructions.

Quelques instants plus tard nous avons les pigeons. Un seul coup d’œil me révèle le « désastre ». Je ne pouvais pas faire prendre les miens pour les autres à l’espion… Les miens ont les pattes grises. La différence est si criante qu’elle saute aux yeux ! De nuit, elle ne nous est pas apparue, mais évidemment, à la lumière du jour c’est la première chose que notre mystérieux type a remarqué…

— Un mauvais point pour moi, dis-je au Vieux…

Ça lui va droit à la bille. Il ratifie mon mea-culpa d’une grimace réprobatrice.

— Cette question me tourmentait, poursuis-je, la voici donc éclaircie…

« Maintenant, montrez-moi le second message, peut-être nous apprendra-t-il quelque chose…

De bonne grâce, il le sort de son tiroir inépuisable.

Je fais la grimace, comme si je posais pour la publicité d’un laxatif. Il est écrit en caractères d’imprimerie. Vous allez me dire qu’un éminent graphologue arriverait à situer le rédacteur de ce billet en le comparant avec les écritures des gars du labo ; mais moi je n’aime pas beaucoup les rapports d’experts. Ces Messieurs ne sont jamais d’accord. Ils se prennent pour des magiciens alors que ce ne sont que des bricoleurs !

Je rends le billet au Vieux.

— Zéro pour cette question… Passons à autre chose…

— À quoi ?

— Au raisonnement pur et simple. Celui qui a adressé ce message pensait que nos services prendraient la décision qu’en effet ils ont prise… N’est-ce pas ?

Le bandonéon du Vieux se déplisse. Son regard éteint se rallume.

— Ensuite ? fait-il.

— Donc, celui qui trahit n’a plus besoin de Thibaudin, vous comprenez ?

— Ça se tient, admet le Boss.

— Alors, nous sommes en droit de nous poser la question suivante, chef : « Pourquoi n’a-t-il plus besoin du Prof ? »

— Parce qu’il a en sa possession tout ce qu’il désire ! répond mon éminent supérieur, lequel n’a rien sur le dessus du bol mais possède en revanche beaucoup de choses à l’intérieur…

— Voilà !

Un silence tendu comme la peau des Peter Sisters s’établit à son compte.

— Dites, Chef…

— Oui ?

— Comment l’homme en question, appelons-le provisoirement Monsieur X si vous le voulez bien…

Ça n’est pas fait pour lui déplaire. Lui qui vit les affaires d’espionnage les plus formides de l’époque, il se repaît de termes faussement mystérieux qui n’amuseraient même plus des garnements de douze ans.

— Comment ce Monsieur X, reprends-je, aurait-il l’invention complète alors que Thibaudin lui-même ne l’a pas !

Ça pose une vache équation, les potes, non ?

Mais il n’existe pas de mystère pour le Boss. Tout en massant son suppositoire, il suggère :

— San-Antonio, les gens qui travaillent avec le Professeur Thibaudin sont pour la plupart ses élèves… Il les a formés… Il a dirigé leurs travaux… Pourquoi l’un de ces scientifiques, mis sur la voie par la besogne qui lui est confiée, ne serait-il pas allé plus loin que son maître ?

Je sursaute :

— Mais c’est vrai, Patron, pourquoi pas !

Les lampions mi-clos, je lis dans le marc de Bourgogne[38]. « Oui, un jeune ambitieux… Ces gars sont tous des dingues de travail. À preuve : ils ont une belle secrétaire à portée de la main et ils lui disent à peine bonjour !

Sourire du Vieux qui connaît les faiblesses de son San-Antonio bien-aimé.

Je continue :

— … Monsieur X a pigé ce que cherchait le père Thibaudin. Mis sur la voie, en effet, il prend l’initiative… Il cherche, va plus vite que son Maître… Grâce au judas qu’il a percé au plafond, il suit la progression de celui-ci, ce qui lui permet d’orienter la sienne… Parbleu… Seulement les travaux du Professeur sont patronnés par l’État. De ce côté-ci, rien à faire… Lui veut monnayer ses travaux… Il peut gagner une fortune, s’installer en grand, devenir une gloire scientifique…

Le Chef se lève !

— San-Antonio, vous ne devriez pas être ici !

— Pourquoi ?

— Mais parce que votre Monsieur X possède l’invention… Il va la communiquer à ceux qui le paient… Il faut trouver Monsieur X. Il faut lui reprendre ses documents…

Il n’a pas terminé sa phrase que je suis déjà dehors…

Comme quoi, le raisonnement est un escalier, mes z’enfants. Un escalier secret qui vous donne accès à des vérités apparemment inaccessibles[39].

J’ai bien fait d’en gravir les marches. Cette fois, je vous parie que je tiens bon la rampe.

Il a eu tort, le gars X, de penser qu’on pouvait me faire des sonotones aux lanternes sourdes !

Tiens, au fait, comment a-t-il percé à jour mon identité ?

CHAPITRE XI

Je rate une marche de l’escalier SECRET sans le savoir !

Tout en pilotant mon tréteau à cent trente chrono sur l’autoroute de l’Ouest[40], je fais le point de la situation. Une idée géniale, comme un escargot ou un agent cycliste, ne vient jamais seule, j’en ai une autre, encore plus balaise !

Encordez-vous, prenez vos piolets à pleine main et suivez-moi dans mon ascension morale. Surtout faites gaffe aux peaux de banane.

Avec l’impérissable génie qui a fait ma popularité, je pense de la façon suivante : « Monsieur X[41] a percé un trou dans le plafond[42] et y a collé une lentille grossissante. Bravo ! il a procédé ainsi pour pouvoir suivre les travaux du Vieux. Re-bravo ! Mais alors, mes belins chéris, ça prouve une chose, ça : c’est que Monsieur X ne pouvait se trouver dans le laboratoire… Puisqu’il était au-dessus ! Or, pendant que Thibaudin œuvrait, trois de ses employés travaillaient dans la même salle que lui, vous y êtes ?[43] Ceci me permet d’éliminer systématiquement les trois gars suivants : Duraître, Berthier et Berger… Reste donc comme suspects Minivier et Planchoni… Je peux vous avouer que ce sont deux des moins sympathiques, ce qui ne me fâche pas outre mesure. Je me fie à mon vieil instinct et quand la frite d’un gnace ne me revient pas, vous pouvez parier une peau d’ogre contre la peau de Job que l’intéressé n’est pas intéressant.

Je finis la route à tombereau ouvert sans cesser de me répéter ces deux blazes : Minivier ou Planchoni… Minivier ou Planchoni… Et qui sait ? Peut-être sont-ils coupables l’un et l’autre ? J’en doute fortement car, à mon avis, le gars qui a goupillé ça est un arriviste, et un arriviste tâche d’arriver tout seul…

On vient de transporter Thibaudin à l’hosto d’Evreux quand je stoppe devant la propriété du malheureux savant. Je suis bien déterminé à lui valoir une éclatante compensation.

Ayant appris qu’il avait retrouvé connaissance, je poursuis ma route jusqu’à Evreux. À l’hôpital, on me dit que le savant est isolé et qu’il n’est pas visible pour le moment. J’insiste et demande à parler au directeur de l’établissement. On finit par me donner satisfaction, sans doute grâce à mon charme efficace !

Le Diro est un Monsieur d’allure aimable. Il paraît sensible à ma qualité de bourdille, non parce qu’il a une prédilection pour les draupers, mais il a lu quelques-uns de mes souvenirs au cours de ses nuits de veille.

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38

Que je préfère au marc de café.

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39

Dans les cas graves, j’ai besoin de m’exprimer par sémaphores !

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40

Pourquoi appeler cette voie ainsi, étant donné que la France n’a pas encore d’autoroute à l’Est !

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41

Ça fait un peu mélo mais ça me plaît !

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42

Lequel plafond se trouve être le plancher de l’étage au-dessus !

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43

Et si vous n’y êtes pas, allez vous faire cuire une soupe à l’oignon…

« À l’oignon ou ailleurs !