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Nous avons parcouru une demi-borne environ lorsqu’un coup de feu éclate derrière nous. Je me retourne pour voir si c’est Pinaud que Bérurier a tué, mais non, les deux compères cavalent entre les troncs. Au pas gymnastique je les rejoins.

— Je viens de tirer une faisane, me crie Pinuche… Superbe volatile en vérité !

— Seulement on la retrouve pas, déplore le Gros…

— Tu es certain de l’avoir touchée ?

Ce doute déprime le Vieux qui renaude méchamment.

— Apprends, San-Antonio, que j’ai été l’un des meilleurs fusils de mon régiment. Médaille de bronze, s’il te plaît ! Quand j’avais vingt ans, je coupais une carte à jouer à cinquante pas !

— Seulement maintenant tu ne serais même plus capable de couper la parole à un muet !

Cette boutade, d’un humour discutable, j’en conviens[4], le laisse aussi froid qu’une expédition dans l’Arctique[5].

Tout à coup, le Gros qui fouillait un buisson pousse un cri de trident. Il se baisse et ramasse un tas de plumes qu’il brandit en hurlant :

— V’là l’animal !

Nous nous approchons et faisons cercle, ce qui à deux représente une certaine performance. En fait de faisane, c’est un pigeon que Pinuche a bousillé. Si cela enlève à la valeur du gibier, ça donne du prix à celle de son coup de flingot, un pigeon étant plus petit qu’un faisan.

Le père Pinuche se saisit de sa victime et se met à la palper dans la région du jabot.

— Il n’est pas tout à fait mort ? interroge Béru.

— Comment est son pouls ? demandé-je : agité, capricant, concentré, critique, cymatode, dicrote, fébrile, filiforme, formicant, fourmillant, fréquent, inégal, intercadent, intercurrent, intermittent, irrégulier, misérable, myure, ondulant, récurrent, serratile ou vermiculant ?

Pinaud hoche la tête.

— Il est arrêté, tout simplement !

Il va pour enfouir sa proie dans la boîte à masque à gaz qui lui sert de gibecière, mais quelque chose retient à deux mains mon attention pour l’empêcher de glisser sur une bouse de vache.

Et le quelque chose en question n’est autre qu’un minuscule étui de métal fixé à la patte du pigeon par une bague spéciale.

— Attends voir !

J’examine l’objet.

— Dis, Pinuche, c’est un pigeon voyageur que tu as abattu.

— Penses-tu !

— Ben regarde ! Ou alors çui-là était vaguemestre dans son unité !

Je m’empare de la bague et de son étui. À l’intérieur de ce dernier, je découvre une petite feuille de papier pelure couverte de signes et de caractères bizarres.

— Qué zaco ? fait Béru, lequel parle couramment l’italien.

— Un message chiffré…

Pinaud n’en revient pas.

— Nom d’un chien, se lamente-t-il, j’ai intercepté une communication de l’armée ! Pourvu qu’on ne me fusille pas !

Je le rassure.

— Voilà belle lurette qu’on n’utilise plus les pigeons dans l’armée, sauf avec des petits pois et des croûtons frits.

— Alors ? s’inquiète Bérurier, qu’est-ce que ça veut dire ?

— Aucune idée. C’est peut-être un : concours entre colombophiles, et c’est peut-être un truc louche. Je passerai ça au Vieux, il avisera.

— Tu crois que c’est comestible, un pigeon voyageur ? s’inquiète Pinaud qui revient en galopant à des considérations gastronomiques.

— Pourquoi pas ? tonitrue Béru. Un facteur, c’est un homme comme les autres, après tout.

C’était là un argument convaincant, que Pinaud crut[6].

CHAPITRE II

Je n’ai pas de SECRET pour vous

Quatre jours après cette partie de chasse mémorable qui se solda par l’hécatombe ci-avant décrite, le Vieux me fait appeler dans son burlingue secret. La pièce est triste comme un vieux numéro de la Revue Boursière, et le maître des Services paraît aussi joyeux qu’une catastrophe minière.

Il est droit devant son bureau d’acajou lorsque j’entre. Ses poings sont posés à chaque extrémité de son sous-main et son front relié pleine peau de fesse brille à la lumière de son réflecteur.

Il n’ouvre presque jamais ses fenêtres, sauf quand la femme de service vient passer l’aspirateur. Le reste du temps, pareil à un animal du Vivarium, aux mœurs délicates, il se contente du soleil tarifé par l’Électricité de France.

Sa bouche ressemble à celle d’un lézard. Elle est sans lèvres et on s’attend toujours, quand il l’ouvre, à en voir jaillir une langue fourchue.

Il me regarde pénétrer dans son antre avec des yeux aussi placides que ceux d’un potage Maggi.

— San-Antonio, vous ne devinerez jamais la raison pour laquelle je vous ai mandé !

« Mandé » ! C’est tout lui. Quand il jacte, on se croirait à une réception chez le Marquis du Trou-Fignon.

— Je n’en ai pas la moindre idée, Chef !

Il sort alors de son tiroir de droite l’étui que j’avais piqué sur la patte du pigeon.

Avec une adresse de jongleur, il le lance en l’air, essaie de le rattraper, n’y parvient pas et regarde tomber le petit tube métallique dans son encrier.

Il l’y repêche avec dextérité, l’ouvre avec non moins de dextérité en le tenant à travers un buvard, et sort le feuillet qui s’y trouvait initialement.

— Savez-vous ce que c’est que ça, San-Antonio ?

— Je reconnais le document, Chef, mais j’ignore ce qu’il concerne…

Il masse sa rotonde ivoirine en laissant sur son crâne poli une traînée d’encre du plus bel effet.

— C’est une formule…

— Ah ?

— Oui. Elle concerne un produit que nos savants mettent au point pour parer aux radiations atomiques.

— Pas possible !

— Si.

Le Vieux se met à faire du Jean Nohain de la bonne année.

— La France n’a pas la bombe atomique, voyez-vous, mais elle est sur le point de découvrir, sinon l’antidote de ce fléau, du moins un puissant palliatif… Une personne ayant le derme enduit du produit en question ne souffrira pratiquement pas des méfaits de la radioactivité !

— Bravo, c’est sensationnel.

— L’invention n’est pas encore au point, mais nos savants sont à la veille d’aboutir…

Je ricane.

— Et déjà la formule s’envole vers d’autres contrées !

— Comme vous le dites ! Sans ce coup de fusil de Pinaud, nous n’en aurions rien su ! Le hasard est grand !

— Il est non seulement grand, il est providentiel, complété-je.

Il y a une minute de silence comme dans toutes les cérémonies d’envergure. Le Vieux tourne dans ses doigts le petit rectangle de papier mince.

— Nos labos ont failli ne pas découvrir le pot aux roses, poursuit-il. Au moment où ils allaient abandonner les recherches, l’un des savants qui travaillent à l’invention est venu ici pour des raisons de service. On lui a montré ceci à tout hasard et il est tombé des nues en reconnaissant l’une de ses formules.

— Le pigeon aussi, murmuré-je. Tout le monde tombe des nues dans cette histoire.

Ma boutade n’est pas du goût du Vieux.

Pourtant c’est de la boutade extra-forte qui pourrait être signée Amora[7].

Le Boss s’assied, tire sur ses manchettes, chasse un grain de poussière sur le revers de son veston et enchaîne.

— Cette fuite et d’autant plus surprenante que des précautions sévères ont été prises pour garantir le secret aux savants.

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4

Je suis toujours le premier à reconnaître mes faiblesses. De toutes mes nombreuses qualités, la modestie étant la principale.

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5

Ces expéditions sont dangereuses. Ne parle-ton pas fréquemment, de « L’Arctique de la mort » ?

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6

Qu’on ne cherche pas un jeu de mot approximatif dans cette fin de phrase. Elle m’est venue à la plume au fil de mon inspiration. Comme dirait M. Médecin, député des Alpes-Maritimes : « Oh ! Niçois qui mal y pense ».

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7

C’est une publicité Jean Majeur, le cousin de l’homme qui a failli ne pas avoir le téléphone.