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Je lui demande où en est Thibaudin…

Il m’offre alors une lippe qui ne pourrait pas me donner l’heure exacte.

— Il a absorbé une trop grosse quantité de (X)[44] murmure le médecin-chef. Je ne sais pas s’il s’en tirera. Je viens d’alerter le Professeur Ménendon, de Paris. C’est le premier toxicologue de France, il arrive… Nous aviserons…

— On m’a dit que Thibaudin avait repris connaissance, pensez-vous que je puisse lui parler ?

Il secoue la tronche…

— Lui parler, oui… Il vous entendra mais ne pourra pas vous répondre…

— J’aimerais cependant essayer…

— Comme vous voudrez, mais ne le fatiguez pas trop… Il est dans un état de délabrement total… À son âge, c’est grave !

Il m’accompagne jusqu’à une chambre isolée des salles communes. La pièce est plongée dans une pénombre reposante.

Une écœurante odeur règne.

— On vient de lui faire un tubage d’estomac, m’avertit le médecin-chef. Je ne suis pas certain que ça donne des résultats positifs !

Je m’approche du lit. Le visage émacié du Professeur repose sur l’oreiller. Ses cheveux gris ressemblent à de la moisissure. Il a les yeux clos et sa respiration est courte…

Je regarde mon beau travail la gorge serrée.

— Monsieur le Professeur ! appelé-je doucement…

L’une de ses paupières se soulève à demi, mais l’autre reste baissée.

— Vous m’entendez ? Je suis le Commissaire San-Antonio…

Sa paupière soulevée a comme un papillotement.

— Quelqu’un vous a administré un poison, dis-je, mais rassurez-vous, nous nous en sommes aperçus à temps et vous serez sauvé…

Aucune réaction. On dirait qu’il se désintéresse complètement de la question…

— Je vais vous demander de faire un effort, Professeur… Essayez de vous souvenir si vous avez parlé de moi, sur le plan professionnel, à quelqu’un de votre entourage. Avez-vous dit à l’un des vôtres que j’étais un policier ?

Il reste figé comme un masque. Son visage semble sculpté dans de la pierre ponce. Il est gris et poreux…

— Vous ne pouvez pas répondre, Professeur…

Je lui prends la main.

— Si vous le pouvez, remuez un doigt !

Je sens dans la paume un léger frémissement.

— Parfait. Je repose ma question. Si vous bougez le doigt, ça voudra dire oui…

« Avez-vous dit au laboratoire que j’étais un policier ?

Sa main reste inerte comme un bout de mou dans la mienne.

— À personne, vous êtes certain ?

Il ne bronche pas…

Le Directeur de l’hosto me fait des petits signes[45]. Visiblement, il trouve que je charrie. Je vais buter le pauvre vieillard une nouvelle fois.

— Très bien, je soupire, laissez-vous bien soigner, Monsieur le Professeur. Et ayez confiance, je suis sur le point d’arrêter le coupable.

Sur cette promesse bien risquée, je me trisse, escorté du Médecin-chef.

— Je le trouve bien bas, fais-je…

— Oui, ça m’étonnerait qu’il en réchappe !

Je lui prends le bras.

— Je veux que vous le sauviez !

— C’est au Bon Dieu qu’il faut demander ça, Commissaire, pas à moi !

— Alors faites-lui la commission…

Je continue à me poser des questions embarrassantes. Dans le message-bidon, Monsieur X dit qu’un policier est dans la place. Comment a-t-il été mis au courant de ma véritable identité ?

Ai-je été reconnu, ou bien…

Décidément, ça continue à ne pas tourner rond…

J’entre dans un bureau de poste et je téléphone au Vieux pour qu’il m’envoie Pinaud, Bérurier et Magnin en renfort. Je suis décidé à frapper le grand coup !

Au pavillon, ces Messieurs se sont mis au charbon. Ils travaillent en attendant les nouvelles. C’est leur façon à eux de tuer le temps. Je demande à Martine de m’appeler le Docteur Duraître et, quand ce dernier me rejoint, je l’entraîne dans le parc afin d’avoir une conversation à bâtons rompus.

— Docteur, lui dis-je… Il y a dans cette maison six personnes dont l’une est un criminel.

Ce préambule lui fait ouvrir une bouche grande comme le tunnel de Saint-Cloud.

— Vous dites ?

— La vérité. Et je vous compte dans ces six personnes, excusez-moi.

Ma franchise lui fait refermer le bec. Il le rouvre aussitôt pour demander :

— Qu’appelez-vous un criminel ?

— Un espion ! On s’intéresse à l’invention de Thibaudin… L’un de vous le trahissait, il n’y a rien de nouveau depuis les apôtres, vous le voyez…

— C’est insensé !

— C’est surtout immoral.

— L’un de nous !

— Oui. Puisque je vous ai choisi comme confident, sans trop savoir pourquoi au juste…

Je m’interromps et je souris… Si, je sais pourquoi je me suis adressé à Duraître plutôt qu’à Minivier… Il a les yeux de Félicie, ma vieille Môman… Vous savez : de grands yeux étonnés et craintifs qui pardonnent tout…

— Donc, puisque vous êtes dans le secret, je vous pose l’embarrassante question que voici : étant donné qu’un de vos collègues est un traître, lequel seriez-vous le moins surpris de voir démasquer ?

Il fronce les sourcils, regarde la pointe de ses godasses mal cirées, puis me regarde.

— Il m’est impossible de répondre à une semblable question, Monsieur ! Vous devez bien le penser… Ce serait faire un choix ignoble… Laissez-moi vous dire que si l’un des nôtres avouait avoir trahi, je serai pareillement surpris pour tous !

C’est la réaction d’un homme bien. Je ne puis que l’approuver.

— N’en parlons plus. Je voudrais maintenant vous poser une seconde question…

— Je vous écoute.

— Savez-vous à quelle invention travaillait Thibaudin ?

Il rougit, puis détourne le regard.

— Hmm ?

— Eh bien…

Il sourit tout à coup.

— Le bon Maître est très maniaque, vous l’avez certainement remarqué… Il faisait des mystères, prenait un excès de précautions… Mais il oubliait que Minivier et moi sommes des spécialistes des questions nucléaires et que c’est précisément ce pourquoi il nous a choisis…

— Alors ?

— Alors, dès le premier mois de collaboration, nous avons compris qu’il s’agissait d’un produit de protection contre les radiations atomiques…

— Il entretenait un secret de polichinelle, en somme ?

— En somme, oui !

C’est bien ce que j’avais gambergé dans ma petite tronche à détecter la couleur des dessous de dame !

— Et vos trois aides, ils savent eux aussi ?

— Bien que nous ne leur ayons jamais fait part de nos incertitudes, Minivier et moi, je pense que oui…

— Mouais… O.K., Docteur, je vous remercie.

Je regarde s’éloigner sa silhouette blanche, étriquée et dansante à travers les arbres… Il vient de me fortifier dans une impression : Minivier savait ! Et Planchoni aussi, sans doute !

Je continue de gravir l’escalier, les Jules… Suivez-moi ! Je vous rattrape !

La nuit descend par l’échelle de secours… Il fait un temps superbe et ça renifle bon les feuilles…

À l’instant où je gravis le perron, je vois radiner une bagnole noire des services… Au volant, devinez qui ? Cette bonne enflure de Bérurier… Il est congestionné comme un steak tartare et il fait de grands gestes en descendant de l’auto.

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44

N’insistez pas, je ne vous dirai pas le nom de ce produit. Si vous voulez vous débarrasser de votre conjoint, faites comme tout le monde : employez la poudre à doryphore !

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45

Comme disait une maman cygne en parlant de son mari, lequel appartenait à Saint-Saëns.